On reçoit notre cher Simon pour évoquer le cas de ce premier film. Premier film de son réalisateur et premier film de 2013 sur nos pages, qui succède en cela à Take Shelter, premier cru de 2012 traité chez nous, et on lui souhaite la même carrière, d'autant qu'il a sacrément besoin d'un coup de pouce :
Le premier beau film de 2013 est sorti ce 2 janvier dans un regrettable
anonymat. Si il a notamment été présenté à Cannes (Un certain regard), à
Deauville ou à Sundance, et qu’il a partout été très bien accueilli, il
débarque en cette période post-foie gras avec une affiche pas jojo et
une étiquette de « premier film américain indé/fauché sur la communauté
noire à New-York » qui laisse craindre l’ennui. Il n’en est rien tant
l’énergie qui se dégage du film est contagieuse, et tant la façon dont
il transforme ses handicaps (thématiques, budgétaires…) en atouts est
surprenante. Ca se passe à New-York, entre le Bronx, le Queens et
Manhattan. Deux jeunes gens de 16-17 ans, Malcolm et Sofia, passent le
plus clair de leur temps à sauter de toit en toit pour taguer les
immeubles de leur quartier, en concurrence avec d’autres lascars de leur
genre. Un jour le garçon a l’idée saugrenue qui selon lui leur
permettra de s’imposer comme les stars de leur confrérie : taguer de
leur nom la pomme géante qui est lâchée au-dessus du stade des Mets
chaque fois que ceux-ci marquent un home run. Le film les suit dans
leurs tribulations pour trouver les 500$ qui leur permettraient de
soudoyer le gardien du stade et de s’y introduire, entre vols, petits
trafics en tous genres, rencontres dangereuses et/ou amoureuses.
Racontée comme ça cette histoire peut paraître très anecdotique, et en
effet elle l’est, mais elle intéresse finalement assez peu Leon. Ce qui
est beau c’est ce qu’il en fait : il se dégage de ce New-York estival
une torpeur, un côté poisseux extrêmement puissant et sensible, une
véritable « atmosphère » ; la mise en scène, sous ses dehors discrets,
est en fait très précise et affirmée. Elle est faite de très longs plans
qui laissent les comédiens, qu’on devine amateurs ou en tous cas
débutants, délier leurs longs dialogues très musicaux, tout en
déambulant au milieu de gens ignorants du film qui se joue autour d’eux,
grâce à de très longues focales et à des travellings et panoramiques
très lents, très fluides. Des plans qu’on devine littéralement volés à
la foule et à la ville. Ce système en apparence très simple mais très
précis (Leon a préparé son film et répété avec ses comédiens pendant de
longs mois, leur permettant une fois sur le « plateau » de tourner
extrêmement vite) donne au film son identité, et n’est pas exempt de
très belles fulgurances esthétiques (la « scène du château d’eau »,
évoquée plus bas, en est le plus bel exemple).
Atout plus trivial mais néanmoins important : les personnages de Malcolm
et Sofia sont très bien dessinés. Leur relation, très marquée par des
conventions communautaires un peu raides, laisse progressivement poindre
une attirance contrariée très pudique et émouvante, et on en vient très
vite à aimer ces jeunes gens nous-mêmes. L’originalité et la réussite
de Gimme the Loot se joue aussi ici : Leon se détourne d’emblée de la
critique sociale dans laquelle son sujet le menaçait de tomber et qui
n’est ici qu’une toile de fond, certes bien présente mais sans aucun
esprit de démonstration ou de dénonciation, au profit de l’observation
de jeunes gens dont on sent la pulsation, l’énergie vitale, l’humour, et
les espoirs (certes souvent déçus)… Ce ton que le film arrive à trouver
est une vraie réussite, et suscite une réelle émotion, qui se joue dans
les scènes qui réunissent Malcolm et Sofia, mais aussi dans leurs
tribulations à chacun, séparément, et notamment dans la relation aussi
excitante que cruelle de Malcolm avec cette « fille blanche » à qui il
va livrer un peu d’herbe dans son appartement huppé de Manhattan. Là
encore l’auteur trouve l’équilibre entre évocation des relations
ambigües, teintées de fascination réciproque et d’incompréhension, entre
deux communautés (bourgeoisie blanche de Manhattan vs population noire
modeste du Bronx), et peinture très intense d’un rapprochement entre
deux jeunes gens, de la montée du désir, de la tension érotique… cette
belle combinaison va donc trouver son accomplissement dans cette
magnifique « scène du château d’eau », vers la fin du film, à la fois
très touchante et visuellement assez sidérante dans sa continuité.
Le film est donc une espèce de mix curieux entre les premiers films de
Spike Lee sans leur dimension politique (ou alors de façon beaucoup plus
discrète et intime) et une version légère et débarrassée de pathos et
de provocation du Kids de Larry Clark (pour l’atmosphère de la ville et
l’âge et certaines préoccupations des personnages), et paradoxalement ça
donne quelque chose d'assez neuf dans le ton, une œuvre de facture à la
fois modeste et affirmée dans ses choix, qui fait preuve de belles
qualités et nous épargne les écueils qui parsèment tant de films
américains indé labellisés Sundance dont on nous abreuve chaque année.
Le premier beau film de 2013 donc (déjà), une jolie découverte et un
jeune réalisateur dont on guettera le prochain film avec curiosité.
Gimme the Loot d'Adam Leon avec Tashiana Washington, Ty Hickson et Zoë Lescaze (2013)