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4 janvier 2013

Gimme the Loot

On reçoit notre cher Simon pour évoquer le cas de ce premier film. Premier film de son réalisateur et premier film de 2013 sur nos pages, qui succède en cela à Take Shelter, premier cru de 2012 traité chez nous, et on lui souhaite la même carrière, d'autant qu'il a sacrément besoin d'un coup de pouce :

Le premier beau film de 2013 est sorti ce 2 janvier dans un regrettable anonymat. Si il a notamment été présenté à Cannes (Un certain regard), à Deauville ou à Sundance, et qu’il a partout été très bien accueilli, il débarque en cette période post-foie gras avec une affiche pas jojo et une étiquette de « premier film américain indé/fauché sur la communauté noire à New-York » qui laisse craindre l’ennui. Il n’en est rien tant l’énergie qui se dégage du film est contagieuse, et tant la façon dont il transforme ses handicaps (thématiques, budgétaires…) en atouts est surprenante. Ca se passe à New-York, entre le Bronx, le Queens et Manhattan. Deux jeunes gens de 16-17 ans, Malcolm et Sofia, passent le plus clair de leur temps à sauter de toit en toit pour taguer les immeubles de leur quartier, en concurrence avec d’autres lascars de leur genre. Un jour le garçon a l’idée saugrenue qui selon lui leur permettra de s’imposer comme les stars de leur confrérie : taguer de leur nom la pomme géante qui est lâchée au-dessus du stade des Mets chaque fois que ceux-ci marquent un home run. Le film les suit dans leurs tribulations pour trouver les 500$ qui leur permettraient de soudoyer le gardien du stade et de s’y introduire, entre vols, petits trafics en tous genres, rencontres dangereuses et/ou amoureuses.




Racontée comme ça cette histoire peut paraître très anecdotique, et en effet elle l’est, mais elle intéresse finalement assez peu Leon. Ce qui est beau c’est ce qu’il en fait : il se dégage de ce New-York estival une torpeur, un côté poisseux extrêmement puissant et sensible, une véritable « atmosphère » ; la mise en scène, sous ses dehors discrets, est en fait très précise et affirmée. Elle est faite de très longs plans qui laissent les comédiens, qu’on devine amateurs ou en tous cas débutants, délier leurs longs dialogues très musicaux, tout en déambulant au milieu de gens ignorants du film qui se joue autour d’eux, grâce à de très longues focales et à des travellings et panoramiques très lents, très fluides. Des plans qu’on devine littéralement volés à la foule et à la ville. Ce système en apparence très simple mais très précis (Leon a préparé son film et répété avec ses comédiens pendant de longs mois, leur permettant une fois sur le « plateau » de tourner extrêmement vite) donne au film son identité, et n’est pas exempt de très belles fulgurances esthétiques (la « scène du château d’eau », évoquée plus bas, en est le plus bel exemple).




Atout plus trivial mais néanmoins important : les personnages de Malcolm et Sofia sont très bien dessinés. Leur relation, très marquée par des conventions communautaires un peu raides, laisse progressivement poindre une attirance contrariée très pudique et émouvante, et on en vient très vite à aimer ces jeunes gens nous-mêmes. L’originalité et la réussite de Gimme the Loot se joue aussi ici : Leon se détourne d’emblée de la critique sociale dans laquelle son sujet le menaçait de tomber et qui n’est ici qu’une toile de fond, certes bien présente mais sans aucun esprit de démonstration ou de dénonciation, au profit de l’observation de jeunes gens dont on sent la pulsation, l’énergie vitale, l’humour, et les espoirs (certes souvent déçus)… Ce ton que le film arrive à trouver est une vraie réussite, et suscite une réelle émotion, qui se joue dans les scènes qui réunissent Malcolm et Sofia, mais aussi dans leurs tribulations à chacun, séparément, et notamment dans la relation aussi excitante que cruelle de Malcolm avec cette « fille blanche » à qui il va livrer un peu d’herbe dans son appartement huppé de Manhattan. Là encore l’auteur trouve l’équilibre entre évocation des relations ambigües, teintées de fascination réciproque et d’incompréhension, entre deux communautés (bourgeoisie blanche de Manhattan vs population noire modeste du Bronx), et peinture très intense d’un rapprochement entre deux jeunes gens, de la montée du désir, de la tension érotique… cette belle combinaison va donc trouver son accomplissement dans cette magnifique « scène du château d’eau », vers la fin du film, à la fois très touchante et visuellement assez sidérante dans sa continuité. 




Le film est donc une espèce de mix curieux entre les premiers films de Spike Lee sans leur dimension politique (ou alors de façon beaucoup plus discrète et intime) et une version légère et débarrassée de pathos et de provocation du Kids de Larry Clark (pour l’atmosphère de la ville et l’âge et certaines préoccupations des personnages), et paradoxalement ça donne quelque chose d'assez neuf dans le ton, une œuvre de facture à la fois modeste et affirmée dans ses choix, qui fait preuve de belles qualités et nous épargne les écueils qui parsèment tant de films américains indé labellisés Sundance dont on nous abreuve chaque année. Le premier beau film de 2013 donc (déjà), une jolie découverte et un jeune réalisateur dont on guettera le prochain film avec curiosité.


Gimme the Loot d'Adam Leon avec Tashiana Washington, Ty Hickson et Zoë Lescaze (2013)

22 avril 2011

Kaboom

Avant de voir ce film je pensais que Gregg Araki et Xavier Dolan étaient des sortes de doubles. Faut dire que dans mon esprit Gregg Araki c'était l'acteur principal de Kaboom (interprété par Thomas Dekker en réalité), donc ça faisait de lui un jeune cinéaste homosexuel jouant un adolescent homosexuel dans son propre film. Ajoutons à cela une vague ressemblance physique et y'avait de quoi s'y méprendre. Xavier Dolan et Thomas Dekker partagent les traits apparemment communs aux adolescents homosexuels cinégéniques : chevelure noire sophistiquée et entretenue, maquillage discret autour des yeux et visage poupin, pour faire vite. Mais en fait Gregg Araki est un vieil eurasien maigrelet qui pourrait être le père, voire le grand-père, de Xavier Dolan. Pourtant ils semblent avoir le même âge mental. Leurs deux derniers films se ressemblent assez : formellement d'abord, notamment avec ces images ultra colorées, jusqu'au monochrome, ou avec l'usage prépondérant de la musique (on peut légitimement se pendre devant la fin du film en entendant l'un des morceaux phares de Placebo), fondamentalement ensuite avec cette présumée crudité lorsqu'il est question de déblatérer des sexualités diverses et variées (jusqu'à l'auto-suçage) abordées librement sur le mode de l'adolescence débile et débridée. Tant qu'il en reste là, le film de Gregg Araki dépasse facilement et largement Les Amours imaginaires, le pauvre clip de Xavier Dolan, sans pour autant nous emmener bien loin, mais disons que notre attention est ménagée et que nos sens ne sont pas trop malmenés, malgré quelques répliques de bande-annonce dignes des sempiternelles vannes d'American Pie. Un seul exemple : "Ce que tu bouffes c'est ma teucha, pas un plat de lasagnes", belle...


Gregg Araki en pyjus sur le tournage. Au cas où y'aurait quelqu'un à tirer...

Puis, assez subrepticement, le film prend un virage inattendu en conjuguant une dimension fantastique à son scénario initial de pure chronique adolescente dans la veine de Larry Clark mais sur un ton festif et psychédélique. Aux prémisses de ce tournant, que le film assume d'abord dignement et qu'il emprunte mystérieusement, il y a de quoi se réjouir de voir le scénario dériver et s'élargir. Mais finalement l'énigmatique cède le pas au grand n'importe nawak. Les personnages qui se tronchaient les uns les autres sans y penser jusque là se révèlent être demi-frères, abandonnés dans leur enfance par un même père qui est le gourou de la plus grande secte du monde, chef d'orchestre d'un complot mondial ayant mis la main sur toutes les ogives nucléaires de la planète pour déclencher une troisième guerre mondiale et y survivre dans un bunker souterrain pour finalement faire régner le "Nouvel Ordre" sur Terre, dont notre héros sans saveur serait "le fils élu", el hijo de pu en espagnol... Toute cette saloperie nous est expliquée dans la dernière scène du film, pendant un quart d'heure, d'une façon encore plus chiante que celle que je viens d'employer pour vous en faire part. Et voilà comment on se retrouve devant un épisode inédit de Charmed, sans le fessier endiablé d'Alyssa Milano pour nous scotcher sur place (et c'est pas la fadasse Roxane Mesquida qui s'en chargera). Il est évident que Gregg Araki a conscience de la nullité de son dénouement et qu'il en joue avec ironie. Sauf que c'est pas drôle et qu'on se demande pourquoi on perd son temps à regarder ce navet.


Kaboom de Gregg Araki avec Thomas Dekker et Roxane Mesquida (2010)