5 mars 2015

Alceste à bicyclette / Gemma Bovery

J’ai de la sympathie pour Fabrice Luchini. Le personnage peut parfois agacer dans ses multiples interventions promotionnelles, sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, quand il se lance dans son éternel numéro de "bon client" en roues libres, citant à tours de bras ou rebootant Valéry en l’adaptant à un pseudo-langage des cités qu'il croit actuel et qui est pourtant déjà vieux d’il y a quinze ans au moins. Mais je lui garde ma sympathie, d’abord parce qu’il a été Perceval et tant d’autres personnages mémorables chez Rohmer, ensuite parce que certains de ses spectacles valent leur pesant de cacahuètes. Sa passion de la littérature s’y éprouve et s’y transmet formidablement, bien mieux que dans ses envolées médiatiques surfaites. Aussi peut-on comprendre que notre homme saute sur les scripts qu’on lui envoie et qui évoquent, de près ou de loin, l’amour des lettres (rappelez-vous, déjà en 2007 il était à l'affiche de Molière). Mais bon sang il y a des limites. Je vois mal ce qui peut donner moins envie de lire Molière ou Flaubert qu’Alceste à bicyclette et Gemma Bovery.




Petite blague pour détendre un peu les esprits, enfin surtout le mien, parce que je suis tendu là et je n'ai pas envie de faire de cet article une salade composée d’injures contre deux films anodins. Blague donc, que je vous autorise à resservir dans les dîners pour y paraître sympathique :

- Gay et Pagaie sont sur un bateau. Gay tombe à l'eau. Qui reste-t-il ?
- Pagaie.
- Ok, mais du coup qui reste-t-il ?
- Pagaie !
- Soit, mais du coup ?
- Pagaie putain Pagaie !
- D’accord, pas Gay, il est tombé à l'eau, mais du coup, qui reste-t-il ?

Ad libitum... Maintenant beaucoup moins drôle : Philippe Le Guay et Anne Fontaine sont sur un bateau. Philippe Le Guay tombe à l'eau. Qui reste-t-il ? Anne Fontaine, et là pas d'entourloupe possible, et c'est tout le problème, parce que du coup on est bien dans la merde. Et c’est idem si c’est Le Guay qui reste à quai. Mais, l’un dans l’autre, si l'un des deux chavire, ça fera du bien au cinoche français.




Il ne faut jamais dire Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. Mais on peut dire Anne Fontaine, je ne mangerai plus de ta merde. Je m’abstiendrai de faire toute vanne sur le blaze de Philippe Le Guay, il n’a pas besoin de ça. Mais tant pour la finesse de leur nom que pour celle de leur art, Phil Le Guay et Femme Fontaine peuvent se donner la main. Dans le film de Le Guay, deux acteurs jadis grands amis se retrouvent pour adapter Le Misanthrope. L’un, Lambert Wilson, est une vedette qui a fait dans le compromis pour réussir, il jouera Philinte, l’ami d’Alceste, prompt au compromis. L’autre, Luchini, est un misanthrope, il jouera Alceste, le misanthrope. Tout cela est bien ficelé. Le personnage de Luchini vit reclus à la campagne, loin des planches, mais il finira par accepter la proposition de son ami de remonter le chef-d’œuvre de Molière, jusqu’à ce que les tensions entre eux rejaillissent, évidemment, le bellâtre mondain reprenant ses habitudes de séducteur pernicieux et l'atrabilaire amoureux se repliant définitivement après une énième blessure sentimentale. Pour mettre un peu de piquant entre les deux vieux croulants, Le Guay glisse non seulement une femme aimable mais aussi une jeune actrice porno qui veut se lancer sur scène, personnage qui ne suscite rien de savoureux, outre une vieille réplique de Luchini maintes fois recyclée (l'actrice porno lui aurait avoué qu'« une double péné à 8h du mat', c'est auch »). Je veux bien l’aimer, Luchini, mais j’aimerais que son amour de la littérature ne le pousse pas davantage à errer dans ces comédies littéralement dramatiques dont les fabricants osent s’appuyer sur les grands auteurs pour nous livrer de fabuleuses bennes à ordures.




Du côté de Fontaine, Luchini vit également reclus à la campagne, il a quitté le boucan parisien pour se consacrer à la boulangerie, en Normandie, sur les terres de Flaubert. Mais, entre deux fougasses, il redécouvre les fugaces sensations de l’érection quand il fait la connaissance de son nouveau couple de voisins, Charly et Gemma Bovery, dont les patronymes ne tardent pas à lui évoquer le chef-d’œuvre de son auteur fétiche. Et ça ne s’arrête pas là. Gemma s’ennuie beaucoup dans sa campagne et rêve d’une autre vie, comme Emma dites donc. Bref, vous l'aurez compris, le film est une sorte d'adaptation de Madame Bovary à travers le portrait d'un double de l'héroïne flaubertienne (façon The Hours mais sur Flaubert et pour les nuls). Big up quand même pour Luchini, qui change de partenaire et bénéficie de la plus belle promotion canapé de l'histoire du cinéma français, passant sans transition de l'épaule droite certes confortable de Lambert Wilson aux nibards indénombrables de l'anglaise Gemma Arterton. Chez Fontaine, qui marche dans les pas de Le Guay, on essaie aussi de pimenter un peu l'amour de la langue et de ne pas s'en tenir à la stricte littérature, aussi nous gratifie-t-on de quelques plans qui visent juste et sont, en même temps, à pleurer, à pleurer de joie et de tristesse d'ailleurs, je veux parler des plans sur les grosses miches de Gemma Arterton, reluquées par Luchini tandis qu’il lui apprend à pétrir la pâte à pain (pas un plan sur Gemma Arterton ne démarre d'abord sur sa poitrine, en fait)... Tout cela ne donne envie d’aimer ni la littérature, ni le cinéma, mais cela pourra vous conforter dans votre passion si vous aimez les nichons. Et là, enfin, je pige un peu mieux Luchini, qui n'a pas tant fait ce film pour transmettre aux spectateurs le goût du participe présent de Flaubert que pour se voir transmettre quelques raisons de bander. Et face à ça, face à ce Luchini-là, qui pendant la promo n'avait de cesse de répéter : "Je m'en taaaaaaape, mate l'affiche...", face à ça, je ne trouve rien à dire.




Aussi me contenterai-je de réclamer à une âme charitable de réaliser, à partir de quelques séquences du film d'Anne Fontaine (on aurait plutôt attendu cela du film de mec dans ce maudit diptyque, mais comment en vouloir à Le Guay ?), quelques gifs dignes de ceux tirés des aventures du mini-short de Gemma Arterton dans Tamara Drew. Je songe entre autres à cette scène complètement gratuite où l’actrice britannique se met au jogging et trottine dans un village normand dans une tenue de sport qui aura vu du pays... Ou à cette autre scène où Gemma retire son manteau et se retrouve en sous-vêtements pour le plus grand plaisir du grand blond bouclé au strabisme divergent des Amours Imaginaires, qui incarne ici la version moderne de Rodolphe, et que le spectateur a aussitôt envie de soumettre à la question dans un pur autodafé. Luchini lui-même cherche le gif sur toute la toile. On peut le croiser (@Robert_Luchini_officiel) à toute heure du jour et de la nuit, et surtout de la nuit, en train de rôder sur twitter, TumblR et Printerest, quémandant ce foutu gif qui lui trotte dans la tronche depuis le tournage et qui a carrément remplacé dans sa caboche toutes les citations de Jean de La Molière, Louis-Ferdinand Fontaine, Paul Nietzsche, Friedrich Valéry, Philippe "Murray" Head et Fabulous "Fab" Barthes qu'il croyait à jamais enregistrées sur son disque dur.


Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini et Lambert Wilson (2013)
Gemma Bovery d'Anne Fontaine avec Fabrice Luchini et Gemma Arterton (2014)

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