15 mars 2015

Divergente

Adapté d'un gros bestseller pour adolescents, et bourré lui-même d'adolescents (Shaïlene Woodley, qui jouait dans The Spectacular Now ; Zoë Kravitz, fille du célèbre chanteur René Kravitz, qui jouait dans X-Men Le Commencement ; Ansel Elgort, qui jouait dans Carrie, La Revanche ; Miles Teller, qui jouait du tamtam dans Whiplash ; Ben Lloyd qui jouait dans Tormented (?) ; et Theo James, qui jouait dans sa chambre), Divergente a été confié en toute connaissance de cause à un cinéaste pas terrible mais très au fait des goûts des jeunes gens de notre époque : Neil Burger. Comme son nom l'indique, l'homme n'a pas peur de tout ce qui est gras et lourd, et il nous le prouve à chaque instant de ce film, qui nous dépeint pendant 2h30, dans un Chicago dystopique rebaptisé le Grand Chicago Bold Bbq, une société divisée en factions, c'est-à-dire en cinq catégories "sociales" auxquelles les gens appartiennent en fonction de leur aptitudes : les érudits, les fraternels, les altruistes, les sincères et les audacieux. 


Sur cette photo de tournage on peut voir que la production hésitait jusqu'au bout entre deux titres, "Divergent" ou "Catbird", au point d'utiliser deux claps pour chaque scène. (Entre parenthèses, on remarque aussi que cette scène a nécessité 18 354 409 prises. Seriously ?)

La première scène, qui nous expose la situation et nous présente chaque faction avec l'aide d'une petite voix off, est éloquente : les érudits sont intelligents, ils savent tout, ils bossent dans des buildings tout de costards/tailleurs bleus vêtus, mais ils ont l'air de s'emmerder royalement. Les fraternels sont des cultivateurs habillés en orange, ils font pousser des patates et des carottes à longueur de journée mais sont tout le temps heureux. Les altruistes s'occupent des autres, n'ont pas le droit de se regarder dans un miroir plus de 30 secondes et sont habillés avec des loques grises. Les sincères ne peuvent pas mentir, mais on ne les voit pas des masses, il faut croire que tout le monde s'en fout et d'ailleurs ils n'ont aucun rôle dans la société. Quant aux audacieux, en gros c'est la police, ils assurent la sécurité et sont un peu foufous (ils courent souvent dans la rue, sans raison, et ils ne descendent pas du métro, ils sautent directement sur le quai en faisant un roulé-boulé), ils sont intrépides, peur de rien peur d'un chien, et ils font drôlement rêver la jeune héroïne, fille d'un couple d'altruistes qui s'emmerde sec à aider les autres. Et puis il y a les sans-factions (ceux qui ne sont ni intelligents, ni courageux, ni généreux, ni honnêtes, ni communistes, et qui du coup sont des clochards).


"Ça les gars, c'est un crayon à papier, un criterium... Répétez après moi, "cri-te-rium"... Bon laissez tomber, toute façon vous jouez pas des érudits. Allez, foutez-moi le camp..."

On vient de passer les 3 premières minutes du film, il en reste 292. Deux possibilités : soit on est audacieux et on est allé se fracasser le cerveau sur ce film au cinéma, soit on est assez érudit pour ne pas s'infliger ce spectacle sur grand écran ; quoi qu'il en soit, à ce stade, on cherche un miroir pour se regarder soi-même en chien de faïence. On se dit que forcément le film va nuancer son propos, remettre en cause ces clichés gerbants. Alors bien sûr, l'héroïne va se révéler être une "divergente", c'est-à-dire que, d'après un test effectué en deux temps trois mouvements, elle cumule diverses aptitudes et correspond par conséquent à plusieurs catégories. Le personnage contribue donc à remettre en cause le principe d'une société cloisonnée en castes. N'empêche qu'on ne croisera qu'une paire de "divergents" dans le film, évidemment présentés comme des surhommes extrêmement rares qui cumulent toutes les qualités (retour du héros des années 80, c'est Rocky version barbie-acné trempée dans une fondue savoyarde), alors que les clochards bons à rien pullulent. Les personnages complexes, comprendre qui possèdent plus d'une facette, ne courent pas les rues de Grand Chicago Bacon Classic.


Au vu des conditions de tournage, le cadreur a décidé de n'en faire qu'à sa tronche.

Toujours est-il que Shailaide Woodley va devoir choisir sa case, et comme elle est gaga des audacieux, qui ont l'air si cools, elle va renier sa famille d'altruistes et partir faire ses classes en tant qu'initiée chez les têtes brûlées. Et c'est peut-être là que ça continue à puer mortellement. En gros : un audacieux c'est une espèce de connard qui n'a peur de rien et qui n'utilise son cortex cérébral qu'avec parcimonie. On est audacieux quand on choisit d'entrer dans la police, quand on n'a pas peur de se jeter dans le vide, quand on sait se battre, quand on ne craint pas de tuer, quand on fait de la tyrolienne en prenant son pied et quand on se fait tatouer. Sic. Aux inconscients idiots et violents le privilège de l'audace. Mais comme un audacieux est aussi un con, l'héroïne doit parfois se montrer un peu plus bête qu'elle n'est, sous peine de passer pour une érudite et donc de se faire virer de chez les audacieux (pour se retrouver sans-faction). Véridique. Le film est très long, très long, mais pour vous épargner 2h30 de pathos, d'incohérences et de débilités profondes, voici un résumé rapide du fin mot de l'histoire : les érudits (qui luttent contre l'instinct humain, les émotions) se servent  de leur intelligence pour manipuler les cons (les audacieux/la police) dans le but d'exterminer les gentils (les altruistes). Plus belle la vie. Plus simple aussi.


Le jeune comédien Miles Teller, récemment à l'affiche de Whiplash, aime l'autorité. Il est en train de se construire une jolie filmo à base de percu' et d'armes à feu.

Pas de coup de Tipp-Ex, de rature dégueulasse ou de petite astérisque apportés à la séquence d'ouverture, les traits de caractère associés à chaque "aptitude" ne sont pas démentis ni nuancés.  Les catégories sont bien là, les intellos sont chiants, et accessoirement des ordures manipulatrices dépourvues d'émotion ; les altruistes sont des victimes faiblardes ; les audacieux un troupeau de connards punks sans peur et sans reproche ; les cultivateurs des imbéciles heureux ; les gens sincères, sans intérêt ; et les clochards des incapables dépourvus de toutes les qualités humaines essentielles. Belle vision de l'humanité pour les adolescents de l'an 2010, et jolie leçon de vie délivrée par ce récit d'apprentissage qui certes prône l'affirmation de soi et le libre-arbitre, mais n'oublie pas d'envelopper ces belles valeurs dans l'esprit de compétition, les défis crétins, la boxe thaï et les décalcomanies. Vous serez forcément une meilleure personne et un adulte accompli si vous sautez la tête la première et sans parachute du 92ème étage d'un building de Chicago Chicken Mythic. La suite, Divergente 2 : l'insurrection, sort dans quelques jours, puis viendront deux autres films, Allegiant part 1 et Allegiant part 2. Sur place ou à emporter ? Ça ira, merci.


Divergente de Neil Burger, avec une grande frite et un coca zéro, et aussi avec Shaïlene Woodley, Theo James, Kate Winslet, Zoë Kraviz, Ansel Elgort, Miles Teller, Jai Courtney et Maggie Q (2014)

12 commentaires:

  1. Je ne vous remercie pas car j'ai "revu" le film une seconde fois en lisant votre critique :(

    Ce film est au cinéma ce que l'invasion de criquets a été à l'Egypte.

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  2. Jai Courtney, là, celui qui jouait déjà l'ignoble fils de McClane dans l'affreux Die Hard 5... comme je l'aime paaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaas !!!! Quelle vieille tronche de cake...

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  3. Il paraît qu'il a un rôle réservé pour le remake de la Guerre du feu.

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  4. J'ai "vu" un autre film de SF dystopique très con au pitch assez similaire : The Giver, avec Jeff Bridges dans un monde futuriste en noir & blanc qui gagne des couleurs quand les habitants récupèrent un peu leurs sens. Mon pitch est sans doute pas tout à fait fidèle, et j'ai mis le mot "vu" entre guillemets parce que je n'ai pas tenu très longtemps devant ça. Triste de voir Jeff Bridges et Meryl Streep là-dedans.

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  5. Aujourd'hui, je suis parti pour recopier des bouts de lecture sur le cinéma qui m'ont plu dernièrement (cf. le commentaire que je viens de laisser sur la page consacrée à 'Salem's Lot'), et cette photo de Chélène Ouaoudlé me fait penser aux propos suivants de Jean Renoir à propos de la « vamp », qui datent de 1937 :


    « (...) Chez nous, le vieux théâtre de boulevard puis, en Amérique, le cinéma ont fait triompher à travers le monde une conception à mon avis tout à fait grotesque de cet emploi. Selon cette conception, la “vamp” doit être grande et d'une minceur qui confine au squelettisme. On emploie à son sujet des épithètes telles que : souple comme une liane, éthérée, diaphane (il y a aussi une moutarde qu'on appelle comme ça). On dit aussi “l'eau glauque de son regard”.
    Les deux incarnations les plus parfaites de ce personnage distingué sont Greta Garbo et Marlène Dietrich. Je m'excuse bien fort auprès du camarade qui a donné en pâture au lecteurs de 'Ce soir' la vie de ces deux stars, mais je suis obligé d'avouer que je ne peux pas les encaisser.
    Greta Garbo me fait irrésistiblement penser aux caricatures du milieu du siècle dernier représentant des voyageuses anglaises avec des costumes à carreaux, des cheveux jaunes, des grands pieds et des dents qui avancent (« Tralalalalère, voilà les Angliches, aoh yes plum pudding » — air connu). Elle me donne aussi l'impression de ne pas avoir une très bonne haleine et il faut toute la folie anti-esthétique de nos contemporains pour avoir admis que ce grand échalas puisse briser des cœurs ou provoquer de romantiques sacrifices.
    Quant à Marlène Dietrich, elle me fait mal, parce que je pense à toutes les privations que cette Allemande potelée a dû s'imposer pour acquérir le physique réglementaire. Elle serait tellement charmante en mère de famille donnant à téter à une dizaine d'enfants. Que le cinéma ait transformé cette charmante mémère en un paquet d'os, voilà qui est impardonnable.
    Tout ça c'est c'est la faute à ce faux bourgeois artiste que fut Alexandre Dumas fils et à son insupportable personnage de 'La Dame aux camélias'. (...) »


    Malgré quelques remarques un rien sexistes, et quel que soit le jugement qu'on porte sur Garbo et Dietrich, ces quelques lignes restent d'une pertinence (et d'une drôlerie) absolue !

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  6. Je partage absolument les jugements esthétiques de Renoir sur Dietrich. Jamais compris d'où venait sa réputation de femme irrésistible.

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  7. Je vois ce que tu veux dire, car pendant longtemps j'ai eu le même sentiment mais désormais je l'aime infiniment, pas du tout en tant que « vamp » — et pourtant dans certains de ses rôles chez Sternberg, même si, paradoxalement, ce sont apparemment les plus sophistiqués : 'Agent X27', 'Blonde Venus'... (Beaucoup moins dans 'La Femme et le pantin'). Il me faudrait plus de temps que je n'en ai dans l'immédiat (après avoir passé trop de temps à recopier des textes ici même !) pour expliquer pourquoi dans le détail, mais je dirai trop rapidement pour l'instant que ce qui me touche dans ces « Sternberg/Dietrich films » c'est le rapport entre le rôle (et son apparence, et l'évolution de cette apparence) et ce que raconte le film, beaucoup plus que le soi-disant « mythe ». En revanche, Dietrich m'est indifférente dans les films où elle fait du sous-Sternberg : 'Desire', les deux films de Wilder. Et elle me redevient très proche dans des films « autres » : 'Ange' de Lubitsch, 'L'Ange des maudits' de Lang, son petit rôle mélancolique dans 'La Soif du mal'.


    C'est Garbo, à à vrai dire, que je n'ai jamais réussi à aimer qu'en théorie... Cela changera peut-être également, qui sait !

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  8. Dans "La Soif du mal" elle est parfaite. Son physique colle absolument à ce rôle de vieille maquerelle, dans le sens où elle est porteuse d'une mélancolie, d'une lassitude terribles. Il y a une faiblesse, une fatigue (et parfois une aigreur) dans ses traits qui en font tout sauf une séductrice au final.

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  9. C'est tout à fait ça, et de surcroît sa presque dernière phrase dans le film (« What does it matter what you say about people ? », avant son « Adios » final) pourrait s'appliquer, autant qu'au personnage interprété par Orson Welles qui vient de mourir dans le film, au personnage public (pour ne pas redire au « mythe ») de Dietrich. Ce qui ajoute, si on l'entend ainsi, une discrète touche d'émotion à cette fin, dejà très émouvante « au premier degré ».

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  10. Je lui dirai, il sera content ! ;-)

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