31 mars 2014

Les Envoûtés

Je pensais mettre la main sur une pépite méconnue du cinéma d'horreur des années 80. Je me suis trompé. Attention, ce film n'a rien de honteux, mais on comprend aisément pourquoi il est plus ou moins tombé dans l'oubli. Et pourtant, ça commence plutôt bien ! Scène d'ouverture : Martin Sheen fait son jogging dans un abominable survêt' gris qui lui va comme un gant. L'acteur a la classe malgré tout. Un petit camion distributeur de lait le dépasse et c'est le véhicule que la caméra se met alors à suivre. Celui-ci circule dans les rues plutôt chics d'un quartier résidentiel de Minneapolis. Une brique de lait est déposée sur un perron. Immédiatement, nous sommes intrigués. Quel rôle va jouer cette maudite brique de lait ? Pourquoi insister là-dessus ? Et quand retrouverons-nous Martin Sheen ? C'était bien Martin Sheen, hein ? La scène se poursuit...




Martin Sheen est de retour. On est désormais sûr que c'est lui. Il y a peu d'acteurs, n'atteignant guère le mètre 70, qui disposent d'une telle classe. On reconnait bien son allure d'éternel adolescent, sa parenté chicanos, sa démarche chaloupée. Il est là et bien là, à l'aise dans ses baskets, dans son rôle, dans son survêt hideux, aucun doute là-dessus. La brique de lait l'attendait sur le pas de la porte de sa maisonnée. Il monte le perron, la saisit, rentre chez lui, embrasse sa femme, puis range la brique dans le frigo, s'essuie le front et donne une taloche à son môme. C'est l'heure du petit-déjeuner. Sa femme, simplement vêtue d'un peignoir de bain, prépare des toasts pour le gamin, âgé de 8 ou 9 ans et plus occupé à jouer aux petites voitures. Gros plan sur le bouton "marche/arrêt" de la cafetière, d'où l'on croit voir surgir une petite étincelle... Pourquoi !? On l'ignore encore.




Après avoir échangé quelques banalités avec sa femme, Martin Sheen rouvre nonchalamment le frigo pour s'enfiler une rasade de jus d'orange au goulot. Il gêne sa femme, qui souhaite s'emparer du beurre. Résultat : la brique de lait, posée en équilibre sur le plus haut compartiment du frigo, s'écrase sur le carrelage et le liquide se répand. Rien de grave. Le couple prend cet incident à la rigolade et Martin Sheen se met même à éponger le sol avec ses vieilles chaussettes. "Laisse-moi faire et va vite te doucher, tu sens plutôt fort" lui dit alors gentiment son épouse, toute rouquine et toute fraîche, tandis qu'elle nettoie le sol, pieds nus. En bon mari, Martin Sheen s'exécute, il file sous la douche. C'est un beau dimanche de printemps. Tout le monde a l'air de bonne humeur. Une chouette journée s'annonce. On s'attendrait presque à entendre Martin Sheen chantonner sous la douche. Mais il faudrait être bien naïf... Car dès les premières secondes du film plane une tension sourde...




Retour dans la cuisine. Alors que la maman insiste pour que Kevin vienne avaler son bol de céréales en train de se ramollir, la cafetière se met à émettre un curieux grésillement. Ni une ni deux, la jolie rousse choisit d'éteindre l'appareil. zzzzZZZZzzzz ! Ses pieds reposant nus dans la flaque de lait, son corps va alors recevoir une décharge électrique mortelle. Une décharge si forte que la pauvre femme sera incapable de décoller son doigt du bouton. Figée, foudroyée, morte sur le coup et sous le regard impuissant de son fils, terrassé lui aussi à la vue de cet affreux spectacle. Alerté par les lumières vacillantes de la salle de bains, Martin Sheen sort de la douche en toute hâte. En découvrant sa femme pétrifiée dans la cuisine, prenant aussi de plein fouet l'odeur de son corps brûlé et découvrant la mine peu réjouie de son fils, l'acteur nous livre alors l'une de ses spécialités : yeux plus exorbités que jamais, regard totalement affolé, grimace assez osée mais maitrisée à 100%, il joue la panique comme personne. C'est sur l'image de ce visage halluciné que se termine donc cette terrible et foudroyante introduction.




A ce moment-là, on est dedans, et on pense tenir un sacré film. Cette ouverture fait l'effet d'une douche froide. Elle pourrait être ridicule. Elle ne l'est pas du tout. Elle est simplement d'une redoutable efficacité. On sent qu'un cinéaste au savoir-faire incontestable se tient derrière la caméra. Il s'agit de John Schlesinger, plus connu pour avoir réalisé Macadam Cowboy et Marathon Man. On se souvient de quelques moments particulièrement tendus dans Marathon Man, comme par exemple la fameuse scène de torture où les dents de Dustin Hoffman étaient sérieusement menacées par un Laurence Olivier habité, eh bien quelques passages des Envoûtés sont un peu du même acabit. Hélas, ils sont trop rares et un peu perdus dans un scénario qui peine à nous captiver vraiment. Après l'introduction glaçante, une ellipse nous amène quelques mois plus tard, à New York, où Martin Sheen et son fils ont déménagé. Notre héros, psychiatre pour la police, se retrouvera mêlé à une enquête sur une série de meurtres horribles apparemment liés à des rituels vaudou. Progressivement, Martin Sheen lèvera le voile sur une secte aux ramifications plus complexes et profondes qu'il ne le croyait...




On sent l'inspiration de John Schlesinger trop intermittente. Après un départ canon, son film peine à trouver son rythme et on finit même par s'ennuyer. L'histoire, qui mêle sorcellerie, rituels vaudou et sectes secrètes au sein de la Grosse Pomme, est pourtant très séduisante sur le papier, mais le mélange ne donne pas le résultat escompté. Le film flirte tantôt avec le thriller parano tantôt avec l'horreur sectaire mais n'excelle sur aucun tableau. Reste quelques éclairs de génie, réellement terrifiants, qui donnent au film tout son intérêt. Je pense à cette scène où la nouvelle compagne de Martin Sheen, victime du sort d'un sorcier, voit sa joue enfler, gonfler, et d'où finit par sortir une nuée d'insectes. C'est franchement dérangeant. Inutile de ne pas spécialement apprécier la compagnie des insectes pour être dégouté par cette scène. Et puis il y a cet autre moment, a priori anodin mais qui est pour moi le sommet du film. La terreur y naît d'une trouvaille de mise en scène aussi simple que démoniaque. Alors qu'ils s'apprêtent à participer à un rite impliquant un sacrifice humain, un groupe de personnes sort tout bêtement d'un ascenseur, parmi lesquelles ledit sorcier, au physique très inquiétant. Le groupe passe alors devant la caméra et il se termine par le sorcier, un peu en retrait, dont le regard toujours fixe, comme possédé, croise alors le notre lors d'un regard-caméra furtif mais sacrément vicelard. A ce moment-là, on pense être passé à côté de ce qui aurait pu être un sacré film... Un sacré film...


Les Envoûtés de John Schlesinger avec Martin Sheen, Helen Shaver, Robert Loggia, Harley Cross et  Janet-Laine Green (1987)

14 commentaires:

  1. Je vais le mater, ce soir, sur arte, rien que pour la scène d'intro ! Ta description est déjà glaçante. D'autant que j'étais en train de me servir du lait (!) et d'éteindre ma cafetière (!) quand j'ai commencé à lire ta critique (!) J'ai les j'tons ! Je me suis perché sur mon comptoir en bois, parce que le bois n'est pas conducteur. Je bronche plus ! J'ai coupé le jus dans mon appart ! D'ailleurs c'est bizarre que je continue à pouvoir surfer sur le web... Si ça se trouve tout mon appart est "envoûté", je suis doomed, et là je commence à me caguer !

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    1. Si t'as tes Kickers aux pieds, tu risques rien ! :D

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    2. C'est vrai qu'elles sont en bois ! Mais je ne portais que mes chaussettes en acier (conducteur redoutable).

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  2. le début narratif est assez bien réalisé, on s'introduit de façon anodine dans cette famille américaine pour assister à un banal accident domestique qui emportera une mère dévoué, home sweet home us.
    L'utilisation de cette bouteille de lait est assez bien fait mais cependant j'ai eu du mal à croire que l'américain moyen puisse prendre ses chaussettes pour s'en servir comme serpillère. Puis la gentille maman gronde son mari, l'envoie prendre sa douche et ne trouve rien de mieux que de marcher pieds nus dans la flaque de lait, là on se dit que c'est un peu forcé mais bon il faut bien expliquer aux cerveaux lents que ce sera la raison pour laquelle elle sera électrocutée en touchant sa cafetière qui semble défectueuse. Et tout ça est très vite compris par le good husband qui prend sa douche à l'étage au même moment. Quand il arrive sur place il trouve sa femme faisant sauter les plombs, et tressautant sous les décharges électriques. Et oui c'est un film d'horreur.

    Cela m'a rappelé la scène introductive du Cercle Infernal (avec Mia Farrow) que j'ai préféré. car ici la démonstration est un peu forcé, le temps que la mari met pour relever la bouteille de lait renversée m'a paru une éternité. Puis prendre ses chaussettes pour l'essuyer du n'importe quoi. enfin tout ça pour dire que je me suis arrêté au 2ème cadavre enfant mutilé/découpé.

    Film ayant un peu vieilli. Et pas terrible. Marrant : Martin Sheen a le look de Marty Mc Fly.

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    1. Le film a un peu vieilli oui. Mais tu as tout de même raté quelques bons trucs !

      Tu parles du Cercle Infernal, je veux justement le voir depuis un bail ! :)

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  3. oui Félix, je te l'accorde mais pour ce genre de film il faut se mettre un peu en condition et savoir à l'avance de quand il date afin de se préparer à ce que l'on risque de voir. Là je susis tombé dessus par zapping, et effectivement le début m'a intéressé, de même le fait de voir Martin Sheen assez jeune, il aurait fallu que je sois plus indulgent mais l'heure un peu tardive et des personnages archétypes du cinéma us m'ont fait abandonner. Dommage j'ai raté les insectes ... sinon je préfère Macadam Cowboy du même auteur avec le très bon DUSTIN dont semble s'inspirer Martin ici.

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    1. Je comprends tout à fait qu'on puisse laisser tomber, oui !

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  4. Le cercle infernal date de 1977 (Full circle). Je l'ai vu lors d'une soirée Cinéma Bis de la Cinémathèque Française, à l'époque située sur les Grands Boulevards justement dans une salle de serie b/z, et j'avais apprécié l'ambiance britannique années 70 du film. La scène d'introduction est à voir, et on en reparle ...

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  5. Il semble qu'il y ait eu une petite mode de ce genre d'histoire, à l'époque : un an après ce film de Schlesinger, Wes Craven (qui osait alors tout, on le disait « sans filtre ») réalisait 'L'Emprise des ténèbres', avec Bill Pullman en Haïti. Quelques scènes en restent assez fortes, même si l'ensemble a pris un sacré coup de vieux. Et puis au fond, nous autres indécrottables occidentalo-chrétiens, je me demande si nous pouvons vraiment être sensibles à ces histoires de vaudou. Le manque d'empathie culturelle, ça existe, même à son corps défendant ! Jusque chez Jacques Tourneur, j'ai le sentiment que nous sommes plus inquiets devant le fantastique celte du 'Rendez-vous avec la peur' que devant 'Vaudou' (je ne parle pas ici des qualités cinématographiques respectives de ces films). Du moins ce que je viens d'abusivement généraliser vaut-il dans mon cas...

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    1. la perception des choses dépend toujours de sa propre culture, ce quoi on a été éveillé, on est alors plus réceptif ou plus favorable mais il faut également tenir compte du désir propre à chacun d'accepter l'inconnu, d'avoir envie de découvrir de nouvelles choses et donc d'être à l'écoute. Malheureusement cela nécessite bien souvent une éducation car la majorité des gens "préfèrent" découvrir en fait ce qu'ils connaissent déjà.

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    2. Je suis d'accord, à ceci près que l'alternative me semble un poil simpliste : une autre tendance existe, qui consiste à souhaiter approfondir/raffiner/complexifier ce pour quoi, au départ, on a une sensibilité privilégiée (et pas simplement à ressasser ce qu'on connaît déjà). Par manque de temps, il me semble que la majorité des « amateurs » (au sens premier du terme) se partage entre ceux qui creusent en profondeur un petit nombre de sillons, voire un seul (les « spécialistes »), et ceux qui creusent plus superficiellement un plus grand nombre de sillons (les « papillons »). Selon l'humeur (plutôt légère, ou plutôt sérieuse) et les circonstances, je peux trouver plus ou moins d'intérêt à l'une ou à l'autre de ces dispositions. Quant à ceux qui parviennent à creuser en profondeur un grand nombre de sillons, je ne sais pas comment il font. Sans doute est-ce une question d'éducation, de précocité, de gestion du temps et de capacités innées...

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  6. Il y a un superbe raccord qui conclut la scène d'intro évoquée ici : l'agitation frénétique du corps de la femme laisse place à celle d'une danse vaudou.
    Malheureusement, je me suis endormi assez vite ensuite. Damn.

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    1. en fait le véritable défaut réside dans cette heure tardive de programmation, pas évident de rester éveillé à cette heure là, surtout si le film est moyen. Dommage car j'aurai voulu voir la fin.

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