En 1950, Norman Foster, acteur et réalisateur américain, tourne Woman on the Run, film noir que l'on a bien failli ne jamais voir. Il s'en est fallu de peu pour que cette petite merveille du genre ne disparaisse à tout jamais en 2008 dans l'incendie des locaux de la Universal qui détruisit son unique copie 35mm, mais par chance le film a été subrepticement numérisé cinq ans plus tôt par Eddie Muller, qui signe "Sauvé des cendres", le livre accompagnant la toute récente édition dvd du film chez Wild Side. Il est ainsi possible aujourd'hui de redécouvrir cette œuvre géniale signée par un collaborateur de longue date d'Orson Welles. La qualité du film n'est probablement pas sans lien avec l'héritage exceptionnel de Norman Foster, qui emprunte assez manifestement au maître quelques uns de ses traits formels (notamment les plans tout en profondeur de champ avec un personnage dans le fond du cadre et un autre très détaché au premier plan, l'ombre et la lumière contribuant à découper et à étager les strates d'espace dans l'image) et rend directement hommage à la fin magistrale de La Dame de Shangaï en situant à son tour l'ultime séquence de son film, trois ans après Welles, dans une fête foraine. Mais un maître de marque ne fait pas tout, et si Norman Foster n'est somme toute pas Orson Welles, et si par conséquent Woman on the Run ne délivre pas les exubérances formelles faramineuses et uniques en leur genre de La Dame de Shangaï, La Soif du mal ou Mr. Arkadin, il n'en reste pas moins un film incroyablement tenu et plein de belles surprises.
Dès l'ouverture, Foster captive et surprend son auditoire. Frank Johnson (Ross Elliott), un quidam qui promène son chien dans les rues de San Francisco, assiste à un meurtre et manque de se faire tuer à son tour. Le criminel, croyant l'avoir abattu, prend la fuite. Quand la police arrive sur les lieux, l'inspecteur chargé de l'enquête (Robert Keith) démontre à Frank, seul témoin de l'affaire, que le tueur lui a bel et bien tiré deux balles dans la tête, à ceci près qu'il a visé l'ombre de sa tête, projetée sur un muret derrière lui. Frank Johnson, craignant d'être traqué et abattu par son agresseur, assassin un rien myope mais pas manchot, va littéralement se transformer en ce qu'il a bien failli devenir, un homme mort, et disparaître de la circulation comme de la surface du film. La police, ainsi qu'un journaliste (Dennis O'Keefe) en quête de scoop, vont se lancer à sa recherche en allant à la rencontre de son épouse, une femme sur le retour, déçue par la vie et détachée de son mari depuis belle lurette. Le film suivra donc cette femme désenchantée à la répartie destructrice qui, harcelée par l'enquêteur et le journaliste qui la suivent de près, retombe peu à peu et paradoxalement amoureuse de Frank, ce peintre épousé dans une autre vie et qu'elle a lentement perdu de vue jusqu'au moment de sa fuite, cette nuit où elle a totalement, concrètement, perdu sa trace.
Le film dresse le portrait émouvant de cette femme, Eleanor Johnson, interprétée par la magnifique Ann Sheridan (l'influence de Welles est telle que Norman Foster choisit une sorte de Rita Hayworth fatiguée et malmenée pour incarner son héroïne), tout en racontant et sa quête d'un amour perdu, et son enquête - qui compte de nombreux et judicieux rebondissements - avec une efficacité folle (le film ne dure qu'1h14), le tout teinté de fameuses répliques, typiques du genre noir, dignes de l'humour d'un Dashiell Hammett en pleine forme, et parsemé de plans d'une beauté plastique étonnante (par exemple cette ombre qui dévore le visage de l'actrice sous le manège). Mais, non content d'emporter l'adhésion, Foster force carrément l'admiration avec sa séquence finale, au bord de l'abstraction visuelle et sonore, quand Ann Sheridan, bouleversante figure d'impuissance, est prisonnière d'un grand huit dont la vitesse fulgurante et la structure même, échafaudage de barres blanches entrecroisées dans la nuit noire, brouillent sa perception, tandis que le rire horrible d'une créature de manège retentit en boucle, scandé par les cris des passagers du roller coaster grisés par l'appel du vide. Avec cet ultime tour de force formel, Norman Foster parachève un bien beau film de genre, dont la disparition eût été une grande perte.
Woman on the Run de Norman Foster avec Ann Sheridan, Dennis O'Keefe, Robert Keith, John Qualen, Frank Jens et Ross Elliott (1950)
Ça file super envie, d'autant plus que je raffole des films noirs de cette période !
RépondreSupprimer... et d'autant qu'Ann Sheridan est une très bonne actrice ! (Qui ressemble en effet étonnamment sur ces photos à Rita Hayworth dans 'La Dame de Shangaï', la blondeur en moins.)
RépondreSupprimerSur ces photos mais encore plus dans le film !
SupprimerSi j'avais une machine à remonter le temps, je me debarasserais pas des dictateurs, mais, je sauverais des bouquins (de la bibliotheque d'Alexandrie), des films, des tableaux etc... Et je les mettrais en partage sur soulseek (en lossless, bluray remixé)
RépondreSupprimerEt surtout tu mettrais les bouquins d'Alexandrie sous blister, pour les protéger du feu.
SupprimerTout pareil que Rémi, super film ! Merci Eddie Veddermuller.
RépondreSupprimerNeeeed!!
RépondreSupprimerMerci pour cet article bien salivant :D
J'espère que le film te plaira :)
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