
A la quinzième minute de film j’enfourne enfin mes lunettes et je me décide à lire les sous-titres. A partir de là j’ai eu le privilège de comprendre la situation, mais aussi d’enfin piger les meilleures vannes de Mendès, et j’ai chialé. Pour tâcher de nous divertir dans le marasme de ce couple lamentable à la recherche d’un coin idyllique pour enfanter, Mendès déploie sous nos yeux révulsés une galerie de personnages hauts en couleur, hystériques et loufoques, en un mot comme en cent complètement improbables et imbuvables, typiques de ce cinéma américain qui se veut « décalé ». Parmi eux, un Jeff Daniels égal à lui-même, qui aura la langue à jamais collée à un tire-fesse, lui qui porte le lourd fardeau de ces acteurs piégés dans une scène culte. Il réussit cependant à mettre sa touche personnelle dans ce rôle en rendant son personnage encore plus con que celui qu’il campait dans Dumb & Dumber, comme lorsqu’il hésite pendant dix plombes sur le mot « indigène ».
Le film se résume en une sorte de road trip (on ne se refait pas tout à fait, Mendès reste collé à l’asphalte, le working title étant "Away we go on the road again"), où un couple de minables mal lunés et mal léchés (tout ce qui est "mal" peut les caractériser), croise un défilé de tarés aux abois comme l’Amérique en compte des millions selon Mendès. On passe de la mère qui qualifie ses enfants de freaks, de débiles et de "lesbiennes" (une insulte chez elle...) en leur présence pour se fendre la gueule à cent à l'heure sur leurs dos, à un couple de sectaires hippies à la sexualité outrancière, et c’est là qu’apparaît la star du film (46ème minute), aka Maggie Gyllenhaal. Dans une scène déjà mythique, celui qui incarne son compagnon (Peter Sarsgaard) se surprend à posséder quatre bourses (aucune ne provenant du généreux Crous) sous son missile anti-personnel. Mais ces personnages secondaires, c’est autant de pets dans la brume. Et il y a deux gros gorilles en tête d’affiche qui cherchent tout le film le secret d’une vie équilibrée et d’une famille heureuse. Et on a envie de les prier d’arrêter d’être des gros cons dix minutes, pour s’épargner la peine d’aller chercher des réponses dans un film de Mendès.
C’est le deuxième Mendes que je vois en deux jours et si le dicton « Jamais deux sans trois » dit vrai, alors demain je serai mort. J’ai pas arrêté d’appuyer sur « avance rapide », mes doigts fuselés glissant sur ma zapette, et je ne m’étais pas autant servi de mes crayons depuis la dernière fois que j'ai falsifié ma fiche d'impôts pour gruger la CAF.
Away We Go de Sam Mendes avec John Krasinski et Maya Rudolph (2009)