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16 janvier 2018

Lucky

Lucky est le tout premier long métrage que réalise John Carroll Lynch, un acteur dont vous connaissez forcément la grosse tronche puisqu'il incarne le fameux tueur du Zodiac chez David Fincher (spoiler). C'est un abonné des seconds rôles, nous l'avons également aperçu chez Marty Scorsese dans Shutter Island (il prêtait ses traits, ou plutôt le sommet de sa caboche, à l'île elle-même), Clint Eastwood pour Gran Torino (il était la célèbre bagnole), Woo pour Volte Face, Bill Friedkin pour Bug, mais aussi dans Crazy, Stupid, Love, Hesher, Paul, Fargo et chez ma cousine pas plus tard que le week-end dernier pour tirer les rois. En bref, sans être véritablement connu, il nous est très familier. On se souvient facilement de lui parce qu'il mesure environ 2 mètres de pied en cap et le tiers de cette vaste étendue est composé de sa gigantesque tronche en forme de ballon de rugby gonflé à bloc. John Carroll Lynch a une longue expérience derrière lui, acquise auprès de prestigieux cinéastes, et c'est fort de celle-ci et d'un carnet d'adresses bien garni qu'il a pu passer derrière la caméra (il a pour cela dû se baisser, ce qui lui a valu un sacré mal de dos) et obtenir la participation des plus grands. Car avant d'être le premier film de John Carroll Lynch (aucun lien de parenté avec David Lynch bien que celui-ci apparaisse ici), Lucky est d'abord la dernière apparition du légendaire et regretté Harry Dean Stanton.




John Carroll Lynch et les scénaristes qui ont écrit Lucky doivent être des fans véritablement amoureux du grand Harry Dean Stanton parce qu'ils lui ont taillé un film sur mesure. Une œuvre entièrement conçue pour sa vedette, ça n'est finalement pas si fréquent que ça. L'acteur porte ce film sur ses frêles épaules, il en est la grande attraction, tout tourne autour de lui et de son personnage qui doit faire face à la fin de sa vie. Lucky apparaît ainsi comme une jolie porte de sortie pour un acteur qui aura marqué, de par son allure unique, sa présence fascinante et son charisme si singulier, le meilleur du cinéma américain depuis la fin des années 60. Nous assistons au quotidien de ce vieil homme solitaire de 90 ans, aux habitudes bien huilées, ritualisées, et à la personnalité appréciée. Sans toutefois atteindre ce niveau, nous pensons un peu au Paterson de Jim Jarmusch devant l'espèce de poésie du quotidien que semble rechercher John Caroll Lynch et qu'il parvient à toucher du doigt à plus d'une reprise. Nous suivons Harry Dean Stanton dans ses journées : d'une démarche de cowboy tranquille, il amène sa silhouette longiligne dans un diner où il a sa place attitrée, dans une supérette dont il connaît bien la tenancière latina, dans son canapé d'où il suit un jeu télévisé et téléphone à un mystérieux et vieil ami, puis dans un bar où il retrouve sa bande, à commencer par un David Lynch très affecté par la disparition de sa tortue terrestre bicentenaire, nommée Président Roosevelt. Un rendez-vous chez le toubib suite à une chute soudaine lui fait prendre conscience de sa mort prochaine et inéluctable...




Le film fait sa vie tranquillement au même rythme que Lucky (le sobriquet du personnage campé par Harry Dean Stanton), il est joliment rythmé par les mélodies à l'harmonica jouées par l'acteur. Les diverses rencontres que fait Lucky nous offrent des moments plus ou moins savoureux, qu'ils soient musicaux, dialogués, teintés d'humour ou chargés d'émotions. On retient tout particulièrement cet échange avec un vétéran de la Deuxième Guerre Mondiale joué par Tom Skerritt (c'est d'ailleurs la première fois, depuis Alien, que les deux acteurs sont réunis à l'écran) et cet autre passage poignant accompagné par la sublime chanson de Will Oldham, "I See a Darkness", interprétée par Johnny Cash. Certains dialogues, s'ils étaient traduits en français, passeraient pour de très vilaines élucubrations dignes d'ados découvrant le monde. Mais, dans la bouche de tels acteurs, et prononcés avec un tel talent, ils réussissent à passer pour des réflexions philosophiques assez profondes et justes sur la mort et la vie en général. C'est simple mais ça fonctionne. Le film fait mouche lorsque Harry Dean Stanton énonce calmement un monologue existentiel face à ses amis du bar, incrédules devant la nouvelle lucidité de leur mascotte. Il nous émeut aussi lors de sa conclusion, quand l'acteur star, après avoir contemplé un grand cactus qui lui ressemble, cabossé, abîmé et que l'on imagine au moins aussi vieux que lui, adresse un ultime regard caméra doublé d'un beau sourire à nous autres spectateurs, forcément touchés de le voir partir ainsi. En somme, ce joli et modeste petit film est un hommage sincère à un acteur adoré des cinéphiles, qui nous manquera beaucoup. 




Lucky de John Carroll Lynch avec Harry Dean Stanton, David Lynch, Tom Skerritt et Beth Grant (2017)

11 mars 2015

I Used to be Darker

Deux ans après le beau Putty Hill, Matthew Porterfield continue de jouer sa petite musique folk venue de Baltimore. Un air singulier, frais, discret et agréable, que l'on reconnaît de plus en plus rapidement, qui nous devient étrangement familier. On retrouve en effet la même délicatesse, la même douceur, la même sensibilité dans ce regard porté sur des personnages paumés, pour la plupart tout juste sortis de l'adolescence, et qui ne rentrent dans aucune des cases habituelles du mauvais cinéma indé US. Des personnages que le cinéaste américain prend le temps de nous dévoiler pour mieux les faire exister, et auxquels on finit naturellement par s'attacher. Alors que Putty Hill empruntait beaucoup au documentaire, ce nouveau film nous donne encore l'impression de montrer la vie telle qu'elle est, d'être une simple mais belle photographie d'un instant donné dans l'existence de ses personnages. Ici, on suit surtout Taryn (Deragh Campbell), adolescente en crise qui se retrouve chez sa tante après avoir fui le foyer familial. La jeune fille atterrit dans une petite famille en pleine dissolution. Son oncle et sa tante, musiciens de Baltimore, se séparent, sous le regard impuissant et réprobateur de leur fille unique, Abby (Hannah Gross), du même âge que Taryn. 




Matthew Porterfield filme tout ça patiemment, élégamment, et parvient peu à peu à nous captiver, à nous intéresser à ces existences qui se défont. Le réalisateur n'a même jamais dû ressentir la tentation de transformer cette rupture en un spectacle facile, d'en faire un prétexte à un enchaînement forcément captivant de scènes dérangeantes faites de vives engueulades et de coups de sang. Rien de spectaculaire ici, simplement la réalité telle qu'elle est le plus souvent, sans éclat. Kim, la tante, et Ned, l'oncle, se quittent, et c'est comme ça. La vie continue. Ils chantent chacun leur mal-être, lors de moments musicaux toujours très beaux où leurs voix sont uniquement accompagnées d'une guitare (les deux acteurs, très bons, sont des musiciens confirmés - d'ailleurs, Ned Oldham n'est autre que le frère de Will, plus connu sous le nom de Bonnie "Prince" Billy et déjà croisé chez Kelly Reichardt). On retient bien quelques scènes, quelques passages plus mémorables, mais le film semble toujours suivre un fil tranquille, une évolution toute naturelle. Porterfield parvient à nous maintenir en alerte malgré un rythme assez langoureux et des circonvolutions discrètes, et il réussit parfois à capturer quelques vrais mais discrets moments de grâce. I Used to be Darker, dont le titre est emprunté aux paroles d'une superbe chanson de Bill Callahan, dégage une calme mélancolie, une beauté effacée ; la douceur du regard d'un cinéaste dont on continuera à écouter et regarder les petites histoires.


I Used to be Darker de Matthew Porterfield avec Deragh Campbell, Hannah Gross, Kim Taylor et Ned Oldham (2013)

7 octobre 2008

Old Joy

Le dernier opus de la saga du réalisateur coréen Park Chan-Wook a de quoi surprendre. Qu'on me dise tout de suite si je me trompe mais il me semble que Park Chan-Wook est LE metteur en scène contemporain de la vengeance, chez qui la vengeance est un plat qui se mange congelé. À tel point que dans son déjà célèbre Sympathy for Mrs Devil, la vengeance n'a jamais lieu, le film pourtant long de 4 heures étant trop court pour que la vengeance ait le temps d'arriver. Qui n'attend pas un hypothétique Sympathy for Mrs Devil 2, histoire d'enfin voir la vengeance tant préparée dans le premier ? De la même manière, pendant toute la durée d'Old Joy, le nouveau film de notre cinéaste coréen préféré, on attend que la vengeance arrive, mais rien ne suscite jamais la moindre possibilité d'une vengeance. 
 
 
 
 Deux amis se perdent dans les bois et aucun des deux n'a de ressentiment envers l'autre, aucun des deux ne prend l'autre en grippe, même si l'ambiance n'est quand même pas géante. Et pourtant, on tend à penser, connaissant sur le bout des ongles la carrière de Park Chan-Wook et son penchant pour les vengeances les plus sanglantes, que quelque chose est pourri dans ce couple d'ami, peut-être quelque chose qui s'est passé hors champ, peut-être quelque chose qui s'est dit en off, peut-être quelque chose du passé qu'aucun flashback ne nous aura dévoilé, à nous de bosser sur notre imagination, pas de twist final en vue. On en vient à espérer que Will Oldham assassine le clebs de son meilleur ami en représailles d'une partie de cartes qui aurait mal tourné dans leur jeunesse... Tout est bancal, tout est suspect, jusqu'à la musique de Yo la tengo dont chaque accord se termine sur ce qu'on appelle en musique un "canard", une fausse note ô combien désagréable. La scène cruciale arrive enfin dans les bains d'eau chaude. Will Oldham s'approche dangereusement de son ami et entame un massage des épaules langoureux. D'une minute à l'autre la noyade peut arriver. Mais non, rien ne se passe. Sinon le début d'une relation entre deux copains chaleureux.
 
 
 
 À la fin du film, lors de l'interminable voyage du retour, j'étais persuadé que Will Oldham allait enfin se débarrasser, par pur et simple esprit de vengeance, de son pseudo-ami en s'emparant du volant pour propulser leur voiture dans un arbre, ayant au préalable constaté que lui seul serait protégé par un airbag. J'ai pensé que peut-être le personnage évite ce stratagème pourtant malicieux en pensant au petit chien endormi sur la banquette arrière qui aurait pu finir tanqué dans sa nuque. Et puis le générique de fin se déroule, et je regarde en arrière, inquiet de l'après-midi passée devant ce film, et je me rends compte que je n'ai vu ni vengeance, ni rien d'autre. Rien que quelques arbres et un acteur principal que je qualifierais de "frontal" en la personne du chansonnier Will "Terrible Forehead" Oldham. Dans le front de cet homme est caché le spindle contenant tous les cds qu'il a prévu de sortir dans les prochaines années. En guise de conclusion je reprocherais volontiers à Park Chan-Wook de surfer sur la vague du succès pour sortir sur grand écran et sur galettes son dernier film de vacances à la montagne en compagnie de deux américains très moyens.  
 
 
Old Joy de Park Chan-Wook avec Will Oldham (2008)