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5 octobre 2013

Daïnah la métisse

Serge Daney disait de Jean Grémillon qu'il était le grand perdant d'un âge du cinéma français où tous les autres, les Carné et compagnie, avaient "insolemment gagné". J'ai vu ce film et voulu en parler il y a déjà quelques temps, mais il faut croire que Grémillon est condamné à passer après, à demeurer dans les limbes, y compris sur ce blog. La juste entreprise de réhabilitation et d'hommage lancée ce mois-ci par les Cahiers du Cinéma pousse à réagir. Réagissons donc en vous invitant à découvrir Daïnah la métisse, premier moyen-métrage (il ne dure que 45 minutes) parlant de Jean Grémillon, sorti en 1931. Le film raconte l'histoire d'une métisse mariée à un homme noir qui s'exprime comme elle dans un français de haute volée et travaille sur un paquebot comme amuseur, saltimbanque, prestidigitateur ou sorcier, afin de distraire les longues soirées de ces messieurs dames de la haute bourgeoisie française tout au long d'une interminable traversée.




Le temps de la croisière en direction de Nouméa, Daïnah use de ses charmes incontestables pour séduire tous les hommes et s'en distraire à son tour. Jusqu'au jour où elle mord un machinot frustré par ses avances non assouvies. Conduite à traverser l'inquiétante salle des machines du vaisseau, Daïnah recroise et attise les foudres de celui qui prévoit déjà de se venger. Une nuit, la jeune femme disparaît, et son mari va mener l'enquête.




Le film vaut surtout pour une scène (comme Remorques du même Grémillon, avec Jean Gabin, Michelle Morgan et Madeleine Renaud, sur lequel nous reviendrons peut-être bientôt), la scène absolument magnifique du bal masqué. Le mari de Daïnah fait des tours de magie noire qui permettent à Grémillion quelques expérimentations formelles assez hypnotiques, dignes du cinéma d'avant-garde muet (et pouvant évoquer certaines images de Vertov dans L'Homme à la caméra). Mais surtout il y a cette séquence, dans la continuité de la soirée, et tandis que le spectacle a laissé place au bal, où Daïnah elle-même, sous un masque sublime, en forme de grillage, qui la transforme en une étrange et envoûtante figure de féline, tournoie et danse presque jusqu'à la folie, au point de se débarrasser de tout partenaire et d'envoyer valser les autres convives dans le décor. Dans cette scène fascinante, la jeune femme, presque en transe et tourbillonnant au rythme de la musique, se laisse emporter par son mouvement et atteint une sorte d'orgasme solitaire au milieu de la piste, sous le regard subjugué des mauvais bourgeois aux visages unanimement recouverts de déguisements parfaitement monstrueux (on s'étonnerait guère que Franju ou Lynch s'en soient inspirés), tels des porcs rieurs et jouisseurs rassemblés dans un tableau digne des compositions cubistes de Pablo Picasso. C'est Daïnah qui se donne à voir, c'est sur elle que tous les yeux sont fixés, et pourtant c'est la seule qui ne joue pas, dont le masque ne dissimule rien, elle vit sans s'importuner de rien, chose qui, dans ce bas monde, peut coûter cher, mais qui, à l'écran, emporte, remue, bouleverse.


Daïnah la métisse de Jean Grémillon avec Laurence Clavius, Habib Benglia et Charles Vanel (1931)

1 juin 2013

Désirs humains

Tourné un an après l'excellent Règlement de comptes avec le même duo d'acteurs, Human Desire, film assez mineur du grand Fritz Lang, est une très lointaine adaptation de La Bête humaine de Zola, ou plutôt un très libre remake de son adaptation par Jean Renoir. A ceci près que la bête s'est mutée en froide machine. Lantier, l'homme aux pulsions sexuelles meurtrières héritées d'un patrimoine génétique baigné dans l'alcool à brûler, incarné chez Renoir par le puissant Gabin, noir de suie, ruisselant de sueur et chevauchant (avec Carette) sa Lison, locomotive monstrueuse, créature hurlante de métal, de feu et de fumée, cède la place chez Lang au Sergent Jeff Warren, de retour de Corée, sous les traits d'un Glenn Ford gringalet, tout clean et tout sourire, assis comme un pape dans la cabine confortable d'une imposante machine automatique qui avance seule et laisse à peine deviner à travers de minuscules hublots haut perchés les rails sur lesquels elle glisse.




La scène d'introduction du film est l'une des plus efficaces du film, avec ce plan large en plongée où la locomotive tourne sur elle-même, arrimée à une plate-forme mobile. La faute à un effet d'optique, on ne sait pas immédiatement si ce mouvement vient de la caméra ou de la plateforme soutenant le mastodonte de fer endormi, véritable dinosaure inerte, manipulé sans effort. Mais c'est bien le seul plan du film qui daigne jouer de la figure mythique du train, quitte à la démythifier, et qui parvienne à lui donner un semblant d'intérêt. La locomotive n'a cependant pas de quoi se plaindre quand on sait que Glenn Ford n'aura pas la même chance... Le film tout entier en subit les conséquences, perdant un peu de son âme et progressant en pilote automatique, avec un Lang en pantoufles aux manettes, enfoncé dans son fauteuil comme Edward G. Robinson au début de La Femme au portrait, rêvant peut-être son film au lieu de le tourner.




Mais Fritz Lang, même en pantoufles, reste Fritz Lang, et le film vaut somme toute le détour. Ne serait-ce que pour voir, malgré tout, et malgré le peu de cas que le cinéaste fait de lui, Glenn Ford, minaudant avec ce sourire ravageur qui le rend assez irrésistible (et il fallait bien ça !). Les acteurs sont à leur place, même si l'alchimie n'est pas toujours idéale entre eux, notamment entre Glenn et Gloria Grahame. L'actrice, au physique atypique pour ne pas dire irritant, et au jeu ici malaisé, correspond idéalement (et à priori mieux que Rita Hayworth, que Lang envisageait d'abord dans le rôle) au personnage de demi-chienne (renoirienne ? Lang a aussi remaké La Chienne dans La Rue Rouge, avec plus de bonheur) que lui réserve le récit. Demi-clebs seulement parce que la chienne est ici moins coupable que victime. Poussée à un adultère longuement consommé avec son propre parrain par nul autre que son rustre de mari (encore une fois, on aurait mal cru à un couple formé par cette montage de barbaque qu'était Broderick Crawford et la majestueuse Rita…), Vicky ment sans cesse (le jeu faux de Golden Grahame y ajoute) et calcule ses idylles par intérêt ; mais elle le fait pour échapper à sa condition et à l'ennui croulant de sa vie, symboliquement enclose au milieu des rails, partagée entre une cage à oiseaux et un poste de télévision, comme cela a déjà été analysé. Lang en fait finalement la sainte de son film quand l'amant de Vicky, le sergent Warren, déçu par ses mensonges, l'abandonne à un triste sort. Vicky voit son statut de victime innocente s'accomplir dans un des wagons du train que fait semblant de conduire un Glenn Ford de nouveau souriant et détaché, pilotant son corbillard sur rails sans les mains.




Au-delà des acteurs (tout de même bien peu mis en avant par Lang, et œuvrant au service de personnages assez faibles), il faut voir le film pour vérifier quelque chose. Dans la scène où le sergent Jeff, commandé par Vicky, s'apprête à tuer le mari de cette dernière, saoul comme un cochon, au milieu des rails et en pleine nuit. Lang, qui excelle toujours à construire l'espace par la mise en scène, et notamment dans les scènes de nuit à la gare, filme ses deux acteurs de dos, l'un poursuivant l'autre qui titube, en vue d'ensemble et en légère plongée, le plan de l'image étant perpendiculaire à celui des rails. Au moment où Glenn Ford est censé passer à l'acte, un train défile entre les personnages et la caméra, nous dissimulant l'action : a-t-elle eu lieu ou non ? Une chose est sûre (ou pas, en fait), c'est qu'à l'instant précis où le train arrive, et jusqu'à la coupure scandant la fin de la séquence quelques secondes plus tard, l'image noir et blanc se teinte d'un étrange et presque imperceptible filtre vert (plus ou moins perceptible selon les lecteurs, particulièrement peu remarquable sur les captures ci-dessous, par conséquent d'une grande inutilité, mais très net sur mon écran de télévision).





Je n'ai trouvé nulle part mention de cette irruption surprenante d'un semblant de couleur (en tout cas d'une altération de la teinte de l'image) dans le film de Lang, pas même chez l'illustre Bernard Eisenchitz dans Fritz Lang au travail. Cette facétie du cinéaste passe-t-elle inaperçue ? N'intéresse-t-elle pas les commentateurs de l’œuvre ? Ou bien n'existe-t-elle tout simplement pas ? Serait-ce un simple défaut de pellicule ? Une erreur de copie dans l'édition DVD du film chez Wild Side, ou sur l'exemplaire précis qui m'est passé entre les mains ? Que ce défaut surgisse sur une scène comme celle-là et s'y trouve si précisément et si idéalement placé relèverait d'une heureuse coïncidence qui donne envie de miser sur un oubli, volontaire ou non, des commentateurs du film. A moins qu'il ne s'agisse que de cet assombrissement de l'image qui précède et succède toujours aux fondus enchaînés dans les vieux films ? Toujours est-il que la séquence, qui détermine un basculement dans la conscience de Jeff Warren (ce fond verdâtre serait celui de la pourriture et de la corruption, sauf que le personnage ne tue ici sa maîtresse au lieu du mari qu'indirectement), est belle et fait gagner au film cette puissance dramatique dont il manque par ailleurs. Le surgissement inopiné de la couleur, ou à tout le moins l'altération involontaire de la pellicule, même presque invisible, déplace l'attention du spectateur (pour peu qu'il remarque ce drôle d'effet) et marque un déplacement narratif : le meurtre du mari, qui devait libérer la femme, n'a pas lieu et la condamne. Si cette scène a été tournée telle quelle, et si l'effet a été recherché, cela mérite qu'on en parle, sinon, c'est un petit miracle hasardeux qui méritait qu'on en parle aussi.


Désirs humains de Fritz Lang avec Glenn Ford, Gloria Grahame et Broderick Crawford (1954)

10 mai 2012

Le Président

Nous accueillons à nouveau notre pigiste indé Joe G., la tête pensante du webzine polémiste à tendance musicale (ou vice versa) C'est Entendu, véritable tête chercheuse de la pensée en mouvement, qui s'intéresse aujourd'hui, à l'heure où nous nous félicitons qu'un nouveau président vienne d'être élu pour nous gouverner, au Président d'Henri Verneuil, incarné par celui que beaucoup considèrent (à tort) comme le président de l'actorat français, Jean Gabin :

Posons-nous la question : comment montrer l'exercice de l'état par le biais du cinéma ? A notre époque, on a choisi de le faire de façon directe, crue, en appelant un chat un chat et un dircab un dircab, et ça s'intitule bien évidemment L'Exercice de l’État. En 1961, cependant, Henri Verneuil (qui est rappelons-le l'un des seuls cinéastes à s'être réellement intéressés de près à la politique, en tant que sujet), Henri Verneuil donc, choisissait de répondre d'une manière bien différente à cette question. Avec, selon moi, un résultat bien plus intéressant.



Le Président narre le récit de la vie politique d'un vieil homme respecté, le Président Émile Beaufort, joué par Jean Gabin. Tiré de l’œuvre de Georges Simenon, le film de Verneuil s'intéresse à la retraite de Monsieur Beaufort, retiré depuis vingt ans dans son domaine près d’Évreux et qui dicte à sa secrétaire ses mémoires tandis qu'à Paris, le gouvernement en proie à une crise économique s'apprête à être renouvelé par le Président de la République, qui selon toute vraisemblance devrait porter son choix concernant le futur Président du Conseil (soit le Premier Ministre tel qu'il était encore envisagé sous la 4ème République) en direction d'un certain Philippe Chalamont, joué par Bernard Blier. Tandis que Beaufort suit l'avancée du remaniement parisien par le biais de la radio et de la télévision, le récit de ses mémoires s'attarde sur les difficultés qu'il a rencontrées lorsque lui-même siégeait à la présidence du Conseil des Ministres, ce qui l'amène à se souvenir de deux mémorables expériences, lesquelles il se garde cependant d'énoncer à voix haute.



A travers ces deux souvenirs, on comprend les liens qui ont uni Beaufort et Chalamont, et la raison pour laquelle ils se sont éloignés l'un de l'autre de manière irrévocable, Beaufort conservant une preuve de la faute de celui qui fut son Directeur de Cabinet afin de l'empêcher de nuire à nouveau. Le second souvenir présente la dernière intervention de Beaufort devant l'Assemblée, son apothéose et sa sortie, face à une majorité menée par Chalamont dans une superbe scène que, comme l'un des journalistes présents le dit, "on pensait ne jamais voir arriver". Et puis vient le moment où Chalamont se présente à la porte de Beaufort, la veille du matin auquel il devra accepter ou non le poste de Président du Conseil, afin de convaincre Beaufort de le laisser diriger la France malgré la faute qu'il a commise dans le passé, pour la sortir de la crise, suivant les plans élaborés par Beaufort vingt ans plus tôt, les mesures-mêmes qui lui valurent de perdre la confiance de l'Assemblée.



Ce récit en deux temps d'un parcours politique est édifiant. A la façon d'une histoire à suspense, il nous tient en haleine jusqu'au dénouement de la rencontre tardive des deux hommes et nous peint avec intelligence l'envers du décor étatique, les difficiles choix, les secrets et les réunions qui font l'avenir d'une nation. Verneuil peint une réflexion sur l'intégrité par-dessus tout en même temps qu'il y aborde des thèmes aussi actuels que l'ambition de l'Europe, la crise de confiance libérale ou le dénigrement suicidaire des grands organes. Par opposition au trop réaliste, trop terre-à-terre et trop morose L'Exercice de l’État, c'est une voie romanesque qui, sans aller et à juste titre jusqu'au trop romancé d'un film comme La Révolution Française, où l'on essayait d'insuffler de l'héroïsme dans des faits réels avec tant de force que la grandeur de l'évènement se voyait siphonnée par le cinéma, permet au film de Verneuil d'être crédible en même temps qu'il est inspirant. Voilà un film que l'on pourrait qualifier de bien-pensant par ce qu'il propose comme morale et qui pourtant n'est qu'une source d'inspiration positive vis à vis de la démocratie, des valeurs et des institutions françaises. Un film qui émet un enthousiasme inhabituel, qui redonne foi. Un film "politique" avant d'être un film sur "la politique".


Le Président de Henri Verneuil avec Jean Gabin et Bernard Blier (1961)

15 juin 2009

Ça se soigne ?

On pourrait douter qu'un seul acteur ou une seule actrice soit capable de faire aimer un film par ailleurs à la limite du néant. James Stewart, Marilyn Monroe, Jean Gabin, Joan Crawford, Gary Cooper, Barbara Stanwyck, Marlon Brando, Mel Gibson ou Isabelle Huppert l'ont fait, au moins une fois. Thierry Lhermitte s'ajoute définitivement à la liste grâce à ce film de Laurent Chouchan, le fils adoptif à peine caché des deux chansonniers inséparables que sont Laurent Voulzon et Alain Suchi. C'est d'ailleurs grâce à ses parents imposables sur la fortune que Laurent Chouchan a pu accomplir son rêve en donnant un rôle sur mesure à notre idole à tous : Thierry Lhermitte. Le film raconte l'histoire d'un type pour qui tout va bien et qui du jour au lendemain tombe en dépression. Autrement dit l'histoire est un gros prétexte pour que Lhermitte puisse déplier tout l'éventail de son si riche talent d'acteur, du comique au tragi-comique. Pour les fans de Lhermitte, c'est un "must have", pour les autres, c'est un "must have had" au moins. Pour les plus radins ou les plus pauvres, c'est un "must have had and sold on e-bay the day after tomorrow to the first port-de-boucain connected on the web". 
 
 
 
Quand je dis que Lhermitte suffit à faire aimer ce film, et qu'il y parvient miraculeusement malgré un entourage faiblard, ça n'est pas peu dire. Tout ce qui se trame autour de lui a l'odeur typique d'un corps malade. Les seconds rôles qui servent la soupe à Lhermitte sont tous en-dessous. Avec en tête d'affiche Julie Ferrier, celle nous a tous agressés le soir de la cérémonie des Césars en exhibant un sein et qui inspirerait sans doute une trilogie à Cronenberg intitulée "Le bourdon" (en VO: "The Bumble-bee") ; et François Xavier-Demaison, lui et son jeu d'acteur kafkaïen, avec sa tristement célèbre imitation dite de la "Marmotte", lui qui ne sait pas qu'il imite un gros phoque 24h/24, et à la perfection, ce qui lui interdit de traîner en caleçon sur les plages de la côte d'Azur sous peine d'être harponné par un pêcheur au gros à peine bigleux et un peu impulsif, comme il y en a tant dans la région PACA. 
 
 
 
Quel plaisir, quelle jouissance, de voir tous les personnages incarnés par rejetons maléfiques de la vieille maison Canal+, hantée du cellier au grenier, trainés dans la fange par un Lhermitte asocial, irrité jusqu'au bout des cheveux et bourré d'Omega 3. Car enfin il s'agit quand même de parler de lui. Lhermitte est le dernier des gars du Splendid à encore s'amuser et nous faire rire. C'est aussi le dernier de gauche, avec Balasko, qui vote à babord parce que si elle va à tribord le bateau chavire. Y'a aussi Anémone qui votait à gauche, mais depuis quelques années elle vote à droite, en fait depuis que Tiberi la croit morte, lui qui glane les voix des trépassés pour se faire réélire un peu partout. 
 
 
 
Bref dans ce film on a droit à un festoche de Thierry Lhermitte. Il a toujours été un peu taré et il l'est de plus en plus en vieillissant. Combien d'émissions de télévision a-t-il soumises à son joug en y passant deux secondes avant d'être emporté par deux vigiles morts de rire. De même, il prend chaque scène du film de Chouchan à son compte, à bras le corps, pour en faire ce qu'il veut. Et ce que veut Thierry Lhermitte c'est nous faire marrer, tout en se marrant lui-même. Si Lhermitte plaît aux gens, c'est notamment à cause de ses petites rides aux coins des yeux, celles qu'on appelle "rides d'expression". Ces rides-là naissent en riant. Merci Thierry. Tu m'as refilé tes rides et je n'ai que 12 ans ! Merci Titi ! 
 
 
Ça se soigne ? de Laurent Chouchan avec Thierry Lhermitte (2008)