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10 août 2019

Midsommar

Ari Aster est un cinéaste très doué, ça ne fait désormais plus aucun doute. Il est l'une des meilleures choses qui soient arrivées au cinéma d'horreur américain ces dernières années, je suis également d'accord là-dessus, bien qu'il faille lourdement relativiser cette affirmation en prenant en compte la faiblesse de la concurrence. Jordan Peele, par exemple, autre américain porté aux nues par la critique après seulement deux films aux thématiques similaires, ne lui arrive pas à la cheville ; en attendant aussi de découvrir The Lighthouse de Robert Eggers. Très peu de réalisateurs spécialisés dans le genre affichent aujourd'hui la même maîtrise et attestent d'une telle inventivité formelle, la plaçant au service de scénarios qui portent une vraie signature personnelle. Parce qu'Ari Aster a déjà une patte bien reconnaissable, des thèmes récurrents et un style remarquable, tout plein d'atouts qui expliquent une reconnaissance critique acquise en l'espace d'un an à peine et une place de choix aussitôt gagnée dans le cœur de la plupart des amateurs de frissons exigeants. Midsommar est son deuxième long métrage, après le déjà très remarqué Hérédité sorti en 2018, et il vient, pour beaucoup d'observateurs comme pour moi, confirmer tout son talent.




Ari Aster fait preuve d'une ambition rare et réjouissante, élevant un genre qu'il prend très au sérieux sans jamais toutefois manquer de le colorer d'un humour noir et pince-sans-rire bienvenu, qui a pour effet salvateur d'alléger un peu la barque dramatique conséquente de ses scénarios. Le bonhomme, qui nous décrivait dans son précédent opus l'explosion d'une famille ultra dysfonctionnelle, ravagée par la maladie mentale, le deuil et la dépression, a en effet toujours la main particulièrement lourde. Ici, l'introduction nous propose rien de moins qu'un suicide collectif familial impactant de plein fouet le personnage principal, Dani (Florence Pugh), une jeune femme bientôt amenée à suivre son compagnon (Jack Reynor) et ses trois potes dans la campagne du nord de la Suède, à la découverte d'une étrange communauté et de son culte religieux célébrant le solstice d'été. Elle ignore que ce petit séjour scandinave mettra à rude épreuve son couple déjà en sursis, menaçant ainsi le seul semblant de noyau familial qui lui reste...




Nous sommes d'emblée intrigués par la manière qu'a Aster de planter le décor et de nous plonger dans le bain. On pourrait se croire en terrain archi connu et rebattu, l'horreur sectaire étant très en vogue ces derniers temps, mais le cinéaste parvient toujours à trouver un ton légèrement en décalage, à surprendre juste ce qu'il faut, pour nous maintenir curieux et alerte, tout en ravissant régulièrement nos rétines avec le choix de cadrages judicieux, souvent déconcertants, et un montage étonnant, accompagné d'un travail saisissant sur le son. En pleine cohérence avec son œuvre antérieure, Ari Aster aborde les mêmes thèmes : le deuil, les névroses familiales, la dépression, le délitement du couple et l'embrigadement religieux. Ce coup-ci, il vise plus directement le trip hallucinatoire, le pur cauchemar filmé, distillant quelques moments chocs d'une morbidité insolite, des images gores très frontales, et cherchant à instaurer une ambiance bizarre par la description précise et patiente des rituels païens et des coutumes cheloues de cette communauté aux croyances ancestrales fort bien ancrées. Midsommar s'inscrit pleinement dans la veine de l'horreur sectaire et folklorique, en digne héritier du film culte de Robin Hardy, The Wicker Man, dont il ne cache jamais sa filiation directe et s'amuse même du fameux twist final. Son intelligence est de nous dépeindre cette joyeuse petite communauté de manière presque neutre, et non bêtement négative comme l'aurait fait un réalisateur quelconque. Cela a le mérite de nous amener à nous questionner sur notre rapport aux religions, aux traditions et aux croyances, avec un regard nouveau.




Une fois débarqué en Suède, Ari Aster nous saisit de jolie manière avec de belles promesses d'horreur en plein air, en plein soleil, là où d'ordinaire elle ne surgit jamais avec un tel éclat. L'atmosphère est plutôt réussie, s'appuyant notamment sur des décors très soignés, où le souci du détail s'observe dans chaque recoin de l'image, et des effets spéciaux simples, efficaces et réussis. Ça fait plaisir à voir et on aimerait pouvoir s'emballer complètement, que tout cela décolle pour de bon. Hélas, malgré toutes ces qualités qui sautent littéralement au yeux, force est de constater qu'il manque encore quelque chose... Ça coince quelque part. Il manque un truc pour que je ressorte totalement convaincu et emballé par ce film si séducteur. J'en viens à penser qu'Ari Aster est parfois trop ostensiblement à la recherche du cadrage bizarre et déconcertant, du plan séquence ou du mouvement de caméra qui en met plein la vue et nous fout sur le cul, là où il ferait peut-être mieux de se montrer plus mesuré, de mettre de côté son style et sa virtuosité, pour se concentrer davantage à faire vivre son récit et, surtout, ses personnages. Ari Aster ne se focalise pas assez sur son héroïne, il ne choisit pas de nous faire vivre ce séjour à travers ses seuls yeux et son unique point de vue, il s'éparpille beaucoup trop et c'est sûrement ça le plus gros problème de Midsommar.




Nous ne ressentons aucune espèce de compassion pour cette bande de jeunes étudiants, des garçons assez détestables et fort peu intéressants, dont la bêtise et la lâcheté machistes servent le propos du film mais nuisent à notre implication. En fait, c'est tout juste si nous partageons les tourments terribles que traverse la pauvre Dani, incarnée par une Florence Pugh irréprochable mais peut-être trop naturellement radieuse pour un tel rôle. Will Poulter, l'obsédé sexuel de la troupe, avec sa tronche impossible et ses quelques répliques amusantes, est très bien aussi là-dedans, mais on se contrefout de ce qui pourra bien lui arriver, à lui comme aux autres. Ils disparaissent un à un, et alors ?! Mais le plus gros boulet de Midsommar s'appelle Jack Reynor, un acteur effroyablement lisse et fade, dont on pourrait trouver mille clones dans les séries US actuelles, qui joue donc le boyfriend de Dani. C'est une erreur de casting manifeste ! Il faut cependant préciser que son personnage n'a aucun intérêt non plus, seulement condamné à être un petit-ami pourri, fantomatique, aux bras ballants et aux t-shirts informes, oubliant l'anniversaire de sa compagne et essayant pitoyablement de sauver les meubles. Le boulet du film c'est lui, je vous le dis ! Son personnage est si peu incarné que cela parasite les scènes dont il est l'élément central, comme par exemple lors de cette insensée cérémonie d'accouplement. Dommage...




Si, grâce à son charme visuel incontestable et sa mise en scène flamboyante, Midsommar n'ennuie jamais malgré les 2h27 qu'il affiche au compteur, son rythme s'avère progressivement défaillant, sans la réelle montée en régime attendue et espérée, à tel point qu'il semble manquer un dernier acte. Par ailleurs, il faudra dire à Ari Aster qu'il ne suffit pas d'accumuler les horreurs et les bizarreries pour entretenir le mystère et développer une véritable tension anxiogène. La surenchère qu'il applique ici, et qui était aussi de mise dans Hérédité, s'avère encore une fois trop peu opérante. Paradoxalement : plus court, plus condensé, délesté de quelques scènes où l'on est uniquement dans la redite et où l'on suit des personnages dont on se fiche pas mal, le film aurait sans doute été bien plus percutant et mémorable. L'effet recherché paraît ici dissout et on ne ressort pas KO ni sonné de la drôle d'expérience proposée par le cinéaste. Avouons tout de même que Midsommar fait du bien dans le paysage cinématographique actuel et qu'il est plaisant de voir débarquer en salles une telle curiosité, intelligente et si éloignée des clichés habituels. Il y a de très belles choses dans Midsommar et ce film, riche et retors, s'il ne vise pas la peur immédiate, ne manque pas complètement de nous interroger, générant un malaise léger et diffus. Il n'y arrive cependant pas autant qu'espéré et ses faiblesses m'ont encore l'air assez criantes, me plongeant dans des sentiments partagés qui doivent expliquer aussi cet article un brin indigeste. Un jour peut-être, Ari Aster trouvera enfin l'équilibre idéal et nous proposera un film aussi brillant que lui. 


Midsommar d'Ari Aster avec Florence Pugh, Jack Reynor, William Jackson Harper et Vilhelm Blomgren (2019)

20 novembre 2018

The Young Lady

Tous ceux qui ont vu Outlaw King ont forcément remarqué l'actrice qui joue la Reine d’Écosse, l'anglaise Florence Pugh. Cette jeune actrice avait été révélée il y a deux ans par Lady Macbeth (aka The Young Lady en version française...), le premier long métrage du réalisateur britannique William Oldroyd, adaptation du roman de Nikolaï Leskov, Lady Macbeth du district de Mtsensk. J'ai lancé ce film les yeux fermés et la surprise fut d'autant plus agréable, car on tient là un drame de la plus belle eau qui révèle donc une actrice aussi charmante que douée et un cinéaste au talent évident. L'action se déroule à la fin du XIXème siècle dans une région rurale de l'Angleterre. On y suit une jeune femme, Katherine, mariée par intérêt et sans le moindre amour à un homme plus âgé. Sa vie ennuyeuse et stricte est bouleversée au départ de son mari car elle découvre pendant son absence la passion amoureuse et les plaisirs de la chair avec un de ses palefreniers nommé Sebastian. Autant ne pas en dire plus.





Lady Macbeth est avant tout le portrait d'une femme désireuse de sortir de son carcan étouffant dans lequel elle est maintenue par son mari autoritaire et son beau-père acariâtre. Les personnages sont vraiment bien plantés et de façon assez subtile, les dialogues sont très réussis. On devine chez chacun d'eux des failles profondes qui nuancent le tableau qui pourrait sans ça tomber dans la caricature. Florence Pugh, qui suscite d'abord l'empathie, finit par incarner une femme presque effrayante de cruauté et d'intelligence machiavéliques, à l'aura impressionnante. Cette évolution perverse est étonnamment bien retranscrite, tout comme l'ambiguïté morale de ce personnage. Son basculement progressif se fait finement. On pourrait un temps reprocher au réalisateur de ne pas accorder assez de place à l'amour qui lie Katherine à Sebastian, mais là n'est finalement pas le sujet du film.





La mise en scène de William Oldroyd est particulièrement maîtrisée. Le cinéaste atteste d'un vrai sens du cadre et nous propose une reconstitution historique très sobre et légère, loin des productions lourdaudes qu'on nous sert parfois quand il s'agit d'adapter de telles tragédies shakespeariennes. C'est d'ailleurs presque un reproche que l'on pourrait faire à William Oldroyd : son film aurait peut-être pu prétendre à une autre envergure. On sent une forte volonté de rester dans l'épure totale, avec cette absence de musique, ces silences si présents, ces cadres au millimètres et cette durée très courte pour nous raconter une telle histoire (en 88 minutes, c'est réglé). C'est à la fois le grand charme du film et, peut-être aussi, sa petite faiblesse. Cette description pourrait vous faire craindre un résultat à l'écran trop austère et froid, nous laissant à distance, mais il n'en est rien : bien rythmé, le film est assez lumineux et avenant, la présence centrale de la belle Florence Pugh participant beaucoup à cela.





Le style intelligemment adopté par William Oldroyd dépeint parfaitement cette espèce de prison soyeuse dans laquelle vit la jeune femme. Les quelques scènes en extérieur, valorisant les beaux paysages de cette région anglaise, apparaissent d'ailleurs comme de vrais bols d'air frais, pour nous comme pour le personnage principal. On prend un grand plaisir à suivre cette terrible histoire qui parvient habilement à traiter de thèmes forts et encore très actuels comme l'émancipation féminine et les rapports de classes. On termine le film avec la certitude qu'une actrice est née et que ce cinéaste est à suivre de près. 


The Young Lady (Lady Macbeth) de William Oldroyd avec Florence Pugh (2016)

13 novembre 2018

Outlaw King

Il y a des "grands films malades" et d'autres films, de taille plus modeste, atteints de la même maladie. Outlaw King, le nouveau long métrage de David Mackenzie, appartient à la deuxième catégorie. Il s'agit d'un projet que le réalisateur britannique, révélé par le sympatoche mais surestimé Comancheria, portait depuis longtemps dans son cœur. Il se place en quelque sorte dans la continuité chronologique du Braveheart de Mel Gibson puisqu'il nous narre la lutte de Robert Bruce contre les troupes du Roi d'Angleterre pour obtenir l'indépendance de l’Écosse, au début du XVème siècle. Un projet a priori ambitieux que l'on a envie d'accueillir avec espoir et bienveillance, mais deux indices de poids appellent immédiatement à la méfiance : le film est distribué par Netflix et l'acteur principal incarnant le leader écossais n'est autre que Chris Pine. Chris Pine.





Comment une telle production de 120 millions de dollars de budget peut-elle finir sur Netflix ? Mystère... De rapides recherches sur internet nous apprennent que suite aux réactions mitigées de spectateurs déconcertés par le rythme et la longueur du film lors de sa projection en avant-première au festival de Toronto, David Mackenzie a choisi d'en raboter pas moins de 20 minutes. Le cinéaste prétend avoir fait ça sans regret, le sourire aux lèvres, améliorant ainsi son film et arguant que celui-ci reste "épique" malgré sa plus modeste durée. Il faudrait cependant être bien peu regardant sur la marchandise pour ne pas remarquer que le produit fini souffre d'un montage à la serpe, pour des effets involontairement comiques lors de ces transitions soudaines qui coupent parfois brutalement des personnages secondaires pour mieux poursuivre l'action ailleurs. Bancal et brouillon, bienvenue dans le catalogue Netflix !





Dès les premières secondes, on sent toute l'ambition de David Mackenzie. Celui-ci choisit d'ouvrir son film par un long plan séquence de dix minutes qui produira peut-être son petit effet et qui a surtout le mérite de planter rapidement le décor. Cette scène, tout comme quelques autres, est toutefois gâchée par ce triste effet de vignettage très à la mode ces derniers temps. Cet assombrissement de la périphérie du cadre, rétrécissant l'image, va pourtant à contre-courant, selon moi, d'un film d'aventure historique qui revendique une certaine ampleur. En règle générale, cette rengaine des dirlos photos en manque d'inspiration ne donne pas un cachet particulier aux films, contrairement à ce qu'ils s'imaginent sans doute, mais plutôt une allure cheap malvenue. Ce n'est pourtant pas dans Outlaw King qu'on y a le plus souvent affaire, mais ce film prend pour les autres. C'est cruel !





Plus le temps passe, plus on jauge l'importance du fossé qui sépare les prétentions affichées par le cinéaste et le pauvre résultat à l'écran. Où sont passés les 120 millions de dollars ? Peut-être dans les chevaux, très nombreux et bien nourris ? Pas dans le casting, ça c'est sûr. Quand ton acteur fétiche se nomme Chris Pine, tu pars avec un lourd handicap. Mackenzie l'avait déjà dirigé pour Comancheria, il a dû juger que le bellâtre californien au regard bleu d'abruti serait crédible en grand héros national écossais. Faire du fade et lisse Chris Pine l'acteur vedette de sa grande épopée historique constitue en soi un pari très risqué. Pourtant, il faut bien avouer que la starlette américaine n'est guère à blâmer. Pine fait ici tout son possible et trouve sûrement son meilleur rôle (vous me direz, vu le reste de sa filmo...), on ne s'acharnera donc pas sur son cas. A ses côtés, on apprécie l'actrice choisie pour jouer la Reine, Florence Pugh, qui dégage charme et fraîcheur de vivre hollywood chewing gum. Sa présence délicate est l'un des atouts d'un film dont on pourra hélas regretter que les personnages manquent d'épaisseurs, notamment les ennemis anglais, malgré toutes leurs gesticulations.





Escarmouches, duels et combats en tout genre s'enchaînent après une grosse demi heure d'installation débouchant sur un constat, sans appel : David Mackenzie ne filme pas mieux qu'un autre ce genre de scènes, mais il se débrouille pas si mal. On focalise encore sur les mauvaises habitudes de ce type de productions, à commencer par l'illisibilité parfois gênante de l'action et, détail de moindre importance mais tout aussi énervant, ces gerbes de sang ridicules souvent ajoutées en postprod qui font de chaque être humain un ballon de baudruche gorgé de sang ne demandant qu'à éclater. C'est laid, inutile et bête, ça me rappelle une de mes collègues de travail. En plus, ça n'est pas spécialement réaliste. Je n'ai pas tenté l'expérience, mais je suis à peu près sûr de ne pas repeindre les murs de mon sang à la moindre égratignure. Quand arrêteront-ils aussi de faire ça ?! Outlaw King est le film du ras-le-bol. Manque de bol, c'est tombé sur lui. C'est cruel, encore une fois, rappelons donc par souci de justice que filmer les batailles médiévales, bordéliques par nature, est un défi particulièrement lourd à relever pour n'importe quel cinéaste...





Ce n'est donc pas l'action et l'aventure qui nous feront vraiment vibrer mais plutôt l'humour involontaire de certaines situations absurdes et de quelques dialogues qui n'ont pas grand chose de moyenâgeux et encore moins de lyrique. Il faut attendre la 93ème minute pour assister à ce qui est pour moi le point culminant de l’œuvre de Mackenzie. Chris Pine et sa bande parcourent à cheval les paysages humides de leur belle région quand le leader descend soudainement de sa monture, comme s'il avait été soudainement frappé d'une illumination géniale. Marchant lentement dans la tourbière, il lance alors sur un ton assez solennel "They want to take our land [longue pause] but they don't know our land". Les autres le regardent alors avec un air circonspect, un peu perdu, les mains sur les hanches, vraisemblablement pris de court par l'ingéniosité de leur leader. Fin stratège, Robert Bruce leur signifie là qu'il a trouvé de quoi piéger naturellement les troupes anglaises : la bataille décisive se déroulera en pleine tourbière, les cavaliers anglais, surpris, s'embourberont dans la gadoue et dans des piquets judicieusement placés ! La beauté de cette courte scène réside dans la façon qu'a Chris Pine de prononcer sa phrase et dans la réaction incrédule de ses collègues. Du grand art ! J'ai dû me la repasser cinq fois de suite...





Juste après ce passage génial, le montage de Mackenzie faisant toujours des merveilles, on enchaîne directement avec un autre moment plus fugace mais tout aussi amusant, pendant la préparation de la grande bataille. Un des fidèles de Robert Bruce se présente à ce dernier pour lui montrer fièrement un piquet qu'il vient de tailler, lui demandant d'en valider la taille et l'affûtage tandis que d'autres attendent à la file indienne derrière lui, munis de leurs piquets non encore appointés. Chris Pine jauge alors le piquet en le regardant rapidement de bas en haut, s'assurant de sa solidité, et donne aussitôt le feu vert pour en démarrer la production. C'est excellent ! On est pas loin de la parodie pure. Il faut voir le gars repartir avec son piquet, avec la satisfaction du travail bien fait, et les autres patienter derrière lui, têtes basses ! C'est du génie !





En dehors de ce genre d'éclats inattendus, il y aussi quelques beaux échanges à signaler. La Reine, fraîchement éprise du Roi, se lamente que celui-ci s'en aille déjà alors que les funérailles de son père viennent tout juste de s'achever. "Robert, tu viens d'enterrer ton père" lui dit-elle, visiblement inquiète que son nouveau mari fasse passer le boulot avant sa vie de famille et sa santé. "Je dois quand même payer mes impôts !" lui répond Chris Pine, droit dans ses bottes. Énorme ! On apprécie aussi le ridicule mais historiquement tout à fait crédible "Robert Bruce fils de Robert Bruce fils de Robert Bruce" prononcé avec le plus grand sérieux au moment de l'intronisation du Roi. Peu après, un zonard vient tapoter sur l'épaule de Robert Bruce pour le prévenir gentiment que les troupes anglaises sont déjà en marche. "Ça sera notre premier gros test" répond alors Chris Pine, en regardant au loin. Sérieusement, faites un effort dans les dialogues, essayez au moins un minimum de nous donner l'impression que tout ça se déroule dans le passé, il y a plus de 700 ans...





Nous n'attendons certes jamais une grande finesse historique ou psychologique d'un tel spectacle, mais David Mackensie est ici proche du néant absolu. On comprend assez mal les petites tractations qui permettent à Robert Bruce de s'attirer rapidement les faveurs et l'adhésion d'un peuple qui sort pourtant de huit années de guerre et qui vient de voir la tête de William Wallace plantée sous leurs nez par ces salops d'anglais. On ne sent aucune espèce de souffle porter notre héros, on ne comprend pas comment il peut réussir à recruter du monde pour combattre à ses côtés. On a simplement de la peine pour tous ces malheureux. "Il nous manquait un chef !" dit l'un d'eux en tapant du poing sur la table avant d'avaler une grande lampée de bière pour fêter ça. On doit s'en contenter...





Reconnaissons tout de même que cet Outlaw King est nettement plus recommandable que la plupart des blockbusters actuels qui déboulent chaque semaine en grandes pompes dans nos salles de cinéma. Il apparaît facilement supérieur aux standards Netflix puisque l'on termine le film sans haine ni violence, presque avec le sourire, en n'ayant pas passé un si mauvais moment et en s'étant même marré quelques fois. S'imaginant qu'il suffit de mal filmer de longues batailles, de déverser des hectolitres d'hémoglobine et de multiplier les figurants pour insuffler un souffle épique à son film, David Mackenzie n'est pas à la hauteur de ces si grandes et nobles intentions. Son projet de cœur n'a certainement pas l'allure dont il rêvait. Mel Gibson peut dormir tranquille...


Outlaw King : le Roi hors-la-loi de David Mackenzie avec Chris Pine, Aaron Taylor-Johnson et Florence Pugh (2018)