8 juin 2008

JCVD

Gare à vous, on tient là une perle de cette année 2008. Comme le laissaient présager les extraits du film qui nous arrivaient depuis un certain temps ou les merveilleuses interviews promotionnelles de Jean-Claude Van Damme, fort d'un charisme éblouissant et d'une pléiade de clins d'œil ravageurs à des journalistes tétanisés, ce JCVD tant attendu est un grand film.

L'acteur karatéka Belge aux mille facéties interprète son propre rôle, celui d'un homme parti à Hollywood, devenu une grande star mondiale, et aujourd'hui réduit à enchaîner les petits rôles minables dans de sombres productions Bulgares pour joindre les deux bouts et assumer un divorce difficile qui va lui coûter sa fille, lasse qu'on se foute d'elle à l'école à la moindre rediffusion télévisuelle des joutes verbales insensées que son paternel accumulait généreusement alors qu'il était drogué jusqu'à l'os devant des journalistes sans scrupule.



Mais ne vous détrompez-pas, si Van Damme joue Van Damme, ou Jean-Claude Van Varenberg de son vrai nom, nous avons néanmoins affaire à une fiction. En effet, par le biais d'une construction très fluide et largement profitable au récit, et à travers divers chapitres, différents points de vue ou plusieurs changements de lieu et de temps, nous est contée l'histoire d'un Van Damme revenu à la source, en Belgique, pour remettre les pendules à l'heure, et qui va être pris dans un braquage malheureux. Après un tournage difficile sous les ordres d'un réalisateur abruti et indifférent aux problèmes de la star sur le déclin (séquence "film dans le film" qui n'est autre que l'époustouflante ouverture de JCVD, dans laquelle on voit l'acteur dans son registre, massacrant à toute allure toute une armée de malfrats dans un plan séquence du tonnerre), après avoir vu un rôle à sa portée lui passer sous le nez au profit de Steven Seagal, après s'être résolu à l'idée que John Woo l'a définitivement oublié, lui à qui il a permis de venir travailler aux États-Unis et qui y a rencontré grâce à lui un immense succès, après avoir entendu sa petite fille déclarer à un juge qu'elle ne voulait pas rester avec son père, après bien d'autres embuches encore, Van Damme rentre au pays. Il vient d'accepter un rôle miteux que son agent lui a proposé sans même avoir lu le scénario en question. Il a besoin de cash, de liquidités. Et c'est pour ça qu'il va entrer dans une poste, en Belgique, après s'être excusé auprès d'une chauffeuse de taxi énervée, et après avoir fait des photos avec deux fans dans un vidéo-club, toujours serviable et modeste. Mais dans cette poste a lieu un braquage dans lequel Van Damme va se jeter tête la première, pour finalement non seulement faire partie des otages, mais devenir aux yeux du pays et au service des braqueurs le supposé preneur d'otages.

Tel est le point de départ du film. Or, laissez-moi vous le dire, il s'agit d'un grand film. Et c'est d'abord parce que nous avons là un grand acteur. Van Damme a vieilli, il porte sur lui-même un regard absolument lucide et intelligent, il a un regard sagace sur sa carrière, pleinement conscient de ce qu'il est, de ce qu'il a été, et donc de ce qu'il est devenu. Il a 47 ans et il est à son sommet. Première des choses, il est devenu extrêmement beau. Il a toujours eu une certaine présence mais ici elle est plus irradiante que jamais. Van Damme crève l'écran, qu'il parle ou non, qu'il se batte ou reste assis, son charisme est fulgurant. Force est de constater qu'il s'agit bien là d'un immense acteur. Dans ce film, impossible d'affirmer le contraire, même en faisant preuve d'une mauvaise foi sans borne, il déploie un talent d'acteur, un "acting" comme il dit, totalement sidérant. Il joue tout, il incarne tout, et sans la moindre difficulté apparente. C'est un grand, un très grand acteur que nous découvrons grâce à ce film.



Mais ça n'est pas tout. Ce film, contrairement à ce que présuppose son titre, n'est pas qu'un acteur. Dans le sens où l'acteur n'est pas seul impliqué dans la réussite de l'œuvre. Et dans ce sens-là uniquement. Car il faut bien le dire, sorti de ces considérations, le film est, ni plus ni moins, l'acteur. Il est bâti à son image, et c'est un mérite ô combien vertueux. C'est en effet une œuvre brillant, qui alterne un humour très efficace et une langueur émotionnelle poignante. Comme son acteur, ce film sait parfaitement ce qu'il est, signe d'une grande intelligence. On jongle entre cette biographie fascinante et une fiction dont la cocasserie est clairement assumée et revendiquée. C'est un va et vient permanent entre grandeur et décadence, de l'action pure et dure, brutale et saisissante, à une réflexion soutenue et interminable, ardue et passionnante, un questionnement sans relâche quant au métier d'acteur, au jeu des apparences, à l'existentialisme. La photographie du film, très à la mode (à base d'atténuation des couleurs vives, d'augmentation des gris et du marron, de saturation éblouissante des blancs) chez Spielberg notamment, qui en fait son cheval de bataille depuis près de 5 films, trouve ici tout son sens: c'est toute une imagerie à la mode au service d'un minable petit braquage au fin fond de la Belgique. Qui plus est ce style donne un côté vieillot, délavé, au film, typique de ces mornes villes pauvres telles que les cinéastes Belges se tuent à nous les dépeindre depuis des années. Cet aspect de morne banlieue qu'affichaient bien des films indépendants américains dans les années 70. On pense bien entendu à Un après-midi de chien de Sidney Lumet, qui racontait si brillamment un braquage foiré, et que JCVD pastiche d'une certaine façon, avec un Zinédine Soualem grimé, perruque à l'appui, en John Cazale. Le personnage de Soualem est d'ailleurs l'antithèse, l'autre pendant, de celui de Van Damme. Là où notre héros joue pleinement son propre rôle, Soualem, à force de peau blanchie, de perruque aux cheveux raides, et de méchanceté pure et dure, presque invraisemblable, est l'emblème du pur personnage de fiction, de la pleine création, du parfait imaginaire. À la réalité répond la fiction. Et à la fiction répond la réalité quand à la fin du film, Van Damme, utilisé comme bouclier humain par un des braqueurs, avec une balle dans le bras, se défait de son ravisseur d'un sublime coup de pied retourné avant de lever les bras au ciel acclamé par la foule, pour se réveiller soudain de cette rêverie insensée, toujours braqué par le dernier des preneurs d'otages, dont il se défait d'un banal coup de coude dans le ventre avant de voir les forces de police maîtriser le criminel.

Et puis l'histoire est finie, Van Damme va quand même aller en prison, condamné pour extorsion de fonds, lui qui avait demandé au commissaire (interprété par François Damiens, formidable acteur belge déjà croisé dans Dikkenek ou Cowboy), qui le prenait pour le braqueur de la poste un virement d'un million d'euros sur le compte de son agent, histoire de rendre plus crédible l'idée selon laquelle l'acteur Van Damme, au bout du rouleau, aurait pu commettre cette sombre prise d'otages. Mais après ce purgatoire, et c'est le dernier plan du film, Van Damme voit sa fille, au parloir, prête à le pardonner ou plutôt à se faire pardonner. Il s'est racheté une réputation et une autorité, en même temps qu'il a remis les pendules à l'heure.



C'est un très grand film auquel nous avons droit. Un film d'une rare et si précieuse intelligence, et surtout d'une prodigieuse liberté. Un film qui a su très intelligemment se façonner à l'image de l'acteur qu'il raconte. À mi-chemin entre le rire et la détresse, l'action et la réflexion, la fiction et la réalité. Un film superbement inspiré, qui va du plan séquence brutal sans concession où l'acteur fait son métier, bastonnant majestueusement des armées entières comme il sait encore le faire à 47 ans, à un autre plan séquence de huit minutes, où l'acteur fait son métier, et en plein film, s'élève soudain bien au-dessus des bassesses du plateau pour se percher parmi les projecteurs et analyser son parcours, sa situation, sa condition, dans un monologue aussi déconcertant que palpitant où le bel et puissant athlète se laisse aller à pleurer pour mieux dire sa vérité. Film d'action drôle et efficace aussi bien que méditation, distanciation Godardienne, et émotion pure. Voila ce qu'est JCVD, c'est un grand film.


JCVD de Mabrouk el Mechri avec Jean-Claude Van Damme, Zinédine Soualem et François Damiens (2008)

10 commentaires:

  1. Par rapport à une Benoit Mariage, il est bien ?

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  2. c'est une magnifique critique pour un film que j'ai, désormais, une envie irrépressible de voir! Rémi & Félix, mes héros.

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  3. Je suis allé le voir ce soir avec mon frère et ben je le regrette point.
    Il va s'en dire que même si j'avais déjà envie de le voir, cette excellente critique (que j'ai lu en diagonale sachant qu'il y aurait du "spoil") m'a conduit à y aller plus tôt que prévu.
    Alors j'ai pas grand chose à rajouter tant tu as bien décrit le tout.
    Mention à François Damiens que j'ai suivi toute l'année dans ses impostures hilarantes dans l'Edition Spéciale.
    JCVD, formidable, tour à tour indestructible, digne, effondré, bouleversant...
    j'ai aimé la construction du film, la photo (qui effectivement rappelle Janusz Kaminski).
    Bref, un vrai film au contraire de la bouse vue il y a 2 jours (je m'en remets pas oui)

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  4. T'as vu quelle bouse y'a deux jours ?!

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  5. Ca fait plaisir de voir que tu lis les coms, TANCHARD.
    Indiana sinon

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  6. Ah oui, j'avais lu ton commentaire mais j'étais chez Félix, et j'avais l'impression que ton com avait été posté bien avant. Faut dire qu'il y avait poulpard chez Félix, et avec Poulpard le temps paraît toujours bien long. Ce type est un caillou dans une godasse qu'on ne peut retirer, ce type est un viol.

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  7. Content que tu aies aimé Olive.

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  8. Ca donne envie de le voir. J'ai juste une question. Vous vous êtes déjà marré à une rediffusion d'interview de Van Damme? Non parce que moi, oui. Jusqu'à mes 15 ans. L'acharnement, ca va. Je ne comprends pas pourquoi arthur se pavanait en se foutant de sa gueule alors qu'il est certainement 1000 fois plus con que ce mec, qui a toujours su jouer de son image. Bref, Van Damme je l'aimais déjà bien, je pense que je peux l'aimer qu'un peu plus.

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  9. Ah et j'ai jamais voté à vos sondages, parce que ca se passe je ne sais pas quand, mais je veux que vous voyiez With or Without Youth de Bono.

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  10. Le caillou dans ta godasse te tend ses trois doigts centraux et te demande de lire entre les lignes.

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