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6 novembre 2017

Solaris

Entre deux braquages de Danny Ocean, Steven Soderbergh et George Clooney ont tourné ensemble ce film de science-fiction que tout le monde a plus ou moins oublié aujourd'hui. Prudent, Soderbergh s'est très tôt défendu de réaliser un remake du film d'Andreï Tarkovski, préférant présenter son Solaris comme une nouvelle adaptation du chef d’œuvre de Stanislas Lem. Je n'ai pas encore vu le film de Tarkovski, ça ne saurait tarder, mais j'ai lu le bouquin de Lem. Inutile de dire qu'il vaut mieux tout oublier du livre avant de se lancer dans cette adaptation que Soderbergh a vendue comme étant plus fidèle que celle de Tarkovski. Mon petit doigt m'affirme pourtant que l’œuvre de Tarkovski doit partager infiniment plus de points communs avec ce classique de la littérature de SF, notamment dans l'effet d'envoûtement produit sur le lecteur/spectateur, que la version de Soderbergh, d'une indigence et d'une pauvreté effarantes.




Un très pâle George Clooney est donc appelé au secours sur la station orbitant autour de la mystérieuse planète Solaris. Là-bas, rien ne va plus. Seuls deux guignols supposés analyser la planète sont encore vivants mais restent cloîtrés chacun à leur poste, ne faisant aucunement avancer les études solaristiques. Bien que son premier interlocuteur ne daigne pas l'informer sur les événements étranges qui surviennent à la station, George Clooney va très vite se rendre compte de ce qui cloche. La planète Solaris a le drôle d'effet de matérialiser les pires expériences amoureuses de chacun des personnages. En réalité, surtout celles de George Clooney puisque dès la première nuit passée là-bas, il découvre au petit matin à son chevet la meuf dont il était jadis amoureux et qui lui a pourri l'existence quelques années plus tôt. Une plaie, un nid à emmerdes aux yeux globuleux, pour laquelle Clooney éprouve encore curieusement des sentiments. L'actrice se nomme Natascha McElhone, on ne l'a vue dans rien de notable depuis, tout simplement car elle doit être aussi chiante en vrai qu'à l'écran. C'est en tout cas mon explication et j'y tiens mordicus.




Il doit exister une recette, des ingrédients indispensables pour qu'une histoire d'amour fonctionne au cinéma. Ces ingrédients, je les ignore, mais je sais reconnaître quand ils sont à l'écran, car j'ai un cœur d'artichaut. Steven Soderbergh les ignore totalement lui aussi et ça, c'est plus embêtant... On se fout éperdument des sentiments qu'ont l'air d'éprouver Clooney et McElhone l'un pour l'autre. On n'y croit pas une seconde. Des flashbacks lourdement explicatifs sont là pour nous informer de leur passé, de leur première rencontre jusqu'à leur ultime engueulade. Il s'agit d'autant de saynètes lourdingues à l'impact émotionnel extrêmement superficiel pour ne pas dire tout à fait nul. On voit Clooney cul nu à deux reprises (il n'accepte de se dévêtir que devant la caméra de son ami Steven), mais rien n'y fait. On s'en fiche. Le cinéaste a donc débarrassé le livre de Lem de ses thèmes principaux pour mieux se concentrer sur cette histoire d'amour, et on se demande bien pourquoi étant donné ce qu'il en fait. Leur rencontre est filmée comme une pub Nespresso, l'attitude et le jeu de George Clooney ne faisant rien pour nous défaire de cette désagréable impression. Leurs disputes, en mode "shaky cam", sont des moments pénibles et difficiles à surmonter. A chaque fois, la désinvolture frappante de Steven Soderbergh laisse songeur. Ce type-là tourne plus vite que son ombre et ça se voit...




Les acteurs ne sont pas là pour porter secours au réalisateur sans inspiration. George Clooney, peut-être justement en manque de Nespresso, est plus apathique que jamais. Sa collègue Natascha McElhone a beau rouler des yeux dans tous les sens et disposer d'une tronche originale, elle perd tout son intérêt après 30 secondes à l'écran. Une black dans le rôle d'une chercheuse constamment de mauvais poil incarne le troisième larron de la station, choix important de la part de Soderbergh puisqu'aucune femme n'habite la station dans le bouquin. En offrant ce personnage infréquentable et complètement imbuvable à une femme de couleur, le metteur en scène semble militer contre la discrimination positive. C'est moche. Quant à Jeremy Davies, son jeu tout en mimiques et en langage gestuel est tout bonnement insupportable, on finit par réaliser pourquoi tous ses personnages finissent systématiquement avec une balle entre les deux yeux (ici, il est retrouvé mort via un twist ridicule, tombé du ciel, comme planté là pour sortir le spectateur de sa léthargie, en vain).




Autre point particulièrement regrettable pour qui a lu le bouquin : la planète Solaris se limite ici en une sorte de boulard violacé, traversé d'éclairs bleutés. Le mot "océan" n'est jamais prononcé, pour la fidélité, il faudra donc repasser. Si vous naviguez sur ces pages avec un PC sous Windows, allez donc dans "Mes Documents" puis "Mes Images" puis "Échantillons d'images", c'est là que Bill Gates entrepose quelques .jpeg hideux pour vous dépanner si vous n'avez strictement aucune idée de fonds d'écran. Ces images sans saveur générés par des logiciels sans âmes correspondent assez bien au spectacle que nous offre Solaris selon Soderbergh. C'est pendant ces moments-là qu'on se dit que la science-fiction est un genre cinématographique qui devrait être réservé aux cinéastes les plus doués, les plus à même de nous gratifier d'images marquantes, inoubliables, de nous emporter dans une ambiance irréelle. Steven Soderbergh ne propose qu'ennui et froideur. Son film n'a aucun éclat. A déconseiller donc, surtout à ceux qui n'ont pas lu le livre et que cela pourrait dégoûter à vie. Ceci dit, le talent et l'imagination de l'écrivain sont tels qu'ils chasseront bien vite de vos mémoires les tristes images de cette si morne et plate adaptation.


Solaris de Steven Soderbergh avec George Clooney, Natascha McElhone, Viola Davis, Jeremy Davies et Ulrich Tukur (2002)

26 octobre 2013

Vorace

Été 98. Alors que Zizou et toute sa bande plongent le pays dans la liesse, sort dans les salles françaises et en catimini le 4ème long métrage d'Antonia Bird, et malheureusement son dernier, puisque la réalisatrice britannique est décédée hier, le 25 octobre 2013, à l'âge de 54 ans. Repartie travailler à la télévision après la sortie de Vorace, Antonia Bird aura quand même eu le temps de marquer les mémoires des fans de cinéma de genre, et notamment grâce à cette ultime et très méritante livraison cinématographique. On ignore si la cinéaste était végétarienne ou non, mais tout porte à croire qu'Antonia Bird a voulu d'une manière ou d'une autre purger son malaise face à la barbaque en nous faisant croquer de la chair fraîche dans un film d'horreur old school qui met en scène des cannibales puisant leur force dans la consommation effrénée de viscères humains. A partir d'un scénario a priori épuisé jusqu'à la corde par un nombre incalculable de séries B plus ou moins ridicules, la cinéaste parvint à signer une œuvre inventive, originale et intemporelle.




L'action se déroule durant la guerre américano-mexicaine. John Boyd (Guy Pearce), un officier fraîchement décoré pour avoir pris à lui tout seul un avant-poste ennemi, mais manifestement perturbé par son fait d'arme entaché de lâcheté et faisant face à un gros cas de conscience, se retrouve parachuté au fin fond de l'arrière pays, dans un fort de Californie dont la garnison est presque intégralement composée de rebuts de l'armée. Les divers personnages nous sont présentés en quelques coups de pinceaux avec une efficacité certaine et un humour appréciable. Le film s'anime avec l'arrivée de Colqhoun (Robert Carlyle, acteur fétiche d'Antonia Bird), un pionnier traumatisé, en loques et épuisé, qui raconte à ses hôtes les actes de cannibalisme auxquels se sont livrés certains de ses compagnons de voyage égarés après avoir trouvé refuge dans une grotte. Aussitôt, le colonel Hart décide de lancer une expédition pour secourir d'éventuels rescapés.




Le voyage des soldats ne manque pas de faire monter la pression et de distiller des indices sur la véritable identité de Colqhoun, auquel Robert Carlyle insuffle toute sa folie naturelle. L'acteur chipe pratiquement le premier rôle à Guy Pearce. Et pourtant l'acteur de Memento, qui incarne un anti-héros et joue presque en retrait, misant tout sur son regard azuréen et sur son élégante beubar de trois jours, tient là son meilleur rôle. La séquence-phare du film survient alors quand l'équipée parvient à la grotte et se retrouve piégée par le véritable cannibale de l'histoire (la fin de ce paragraphe révèle des éléments-clés de l'intrigue), Colqhoun lui-même qui, après avoir creusé le sol de ses mains comme pour trouver refuge, en extirpe des poignards et se met à massacrer la majeure partie de la troupe. Robert Carlyle livre une prestation littéralement habitée pour manifester la folie de son personnage et le suspense à deux vitesses mis en place par Antonia Bird fonctionne à merveille : Guy Pearce et un lieutenant s'enfoncent dans l'obscurité de la grotte en craignant d'y rencontrer un malade puis en ressortent à toute allure pour affronter celui qui les a conduits dans ce traquenard. Après quoi la cinéaste relâche et relance soudain le rythme de la séquence, non sans humour, lorsque Colqhoun se retrouve face au peureux de la troupe (Jeremy Davies) et lui dit, le regard habité, "Cours !", avant que ne s'emballe une mélodie endiablée pour accompagner la course poursuite des deux personnages.




Comment ne pas être pris aux tripes par la bande originale composée par Damon Albarn (aidé par Michael Nyman), plus inspiré que jamais, y compris sur ses side-projets Blur et Gorillaz. Dès le début du film, la musique épouse les images de Bird, ces grands paysages enneigés, et surtout colle à l'ambiance inquiétante de l'ensemble du film (notamment quand elle est mêlée aux ricanements crispants de Carlyle en voix off), avec de temps à autres dans ces mélodies une certaine pointe d'ironie, une forme de décalage et de dérision qui désarment la tension et font régulièrement respirer le récit. Comment ne pas être séduit par la légende de Wendigo, qu'une indienne raconte à Boyd, cette histoire d'un homme devenu surhomme en mangeant la viande de ses semblables. Le film perd bien le rythme de temps en temps, et la fin est un peu poussive lorsque Colqhoun revient au fort en Colonel Ives, mais Vorace fait clairement partie des rares réussites d'un genre balisé et sombrant souvent dans le ridicule, sans aucun doute grâce à la conviction de son auteure et de ses acteurs. On laisse le soin aux amateurs des gender studies de mettre à jour le sous-texte sur l'homosexualité masculine que le film contient de toute évidence, et on se contentera pour conclure de dire que c'est un film de genre de qualité - chose qui ne court pas les rues aujourd'hui - qui mérite plus que jamais d'être revu à la hausse.


Vorace d'Antonia Bird avec Guy Pearce, Robert Carlyle, Jeremy Davies et David Arquette (1998)