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10 août 2014

Rachel Rachel

Ils doivent se compter sur les doigts de la main les cinéastes qui ont voulu et su filmer une femme. Pas seulement sublimer le corps féminin en portant sur lui un regard masculin, ce que beaucoup de cinéastes ont fait et parfois très bien fait, ni même simplement composer quelque beau personnage de femme au sein d'un ensemble plus vaste, mais consacrer toute son attention à une femme, regardée pour elle-même et mise au cœur de l’œuvre pour en être le sujet autant que la pulsation. Paul Newman fait assurément partie des rares qui auront filmé une femme de cette façon-là, et dès son premier coup d'essai (Rachel Rachel est son premier film, on retrouvera cette façon de filmer les femmes, enfant ou adulte, quatre ans plus tard, dans le remarquable De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites).




Il est tentant, en ce sens, de comparer Newman à un autre acteur-cinéaste de la même période : John Cassavetes. On peut d'ailleurs trouver d'autres points de comparaison entre les deux hommes, qui sont sans aucun doute deux des plus beaux spécimens mâles sortis d'Hollywood (dans le sens où ils y sont apparus et où leurs réalisations en ont plus - Cassavetes - ou moins - Newman - débordé les frontières), et qui ont tous deux filmé leur épouse : Gena Rowlands pour Cassavetes, Joanne Woodward pour Newman. Orson Welles aurait pu compléter le trio d'acteurs-cinéastes tombeurs ayant filmé leurs femmes, mais je ne crois pas qu'il ait filmé Rita Hayworth de cette manière-là, sans le prisme de la séduction, sans distance admirative, sans désir masculin. Ce qui ne l'empêche pas de l'avoir sublimement filmée, entendons-nous bien. Mais chez Newman comme chez Cassavetes, on trouve cet amour peut-être plus immense qui consiste à regarder la femme en face, pour ce qu'elle est, à filmer l'autre, par exemple, tel qu'elle se vit - et particulièrement enfant - quand elle ne se sent pas regardée.




Rachel Rachel est passionnant par le portrait qu'il dresse d'une institutrice marquée par le métier de croque-mort de feu son père (très beaux flashbacks sur la jeunesse du personnage, petite fille blonde sérieuse, confrontée à la mort et prête à se la coltiner plus que de raison pour obtenir l'intérêt et l'amour de son père), désormais prisonnière d'une mère veuve et possessive. Rachel est une célibataire esseulée et soumise, assaillie de désirs intempestifs, envahissants et presque inquiétants (Newman joue simplement mais très efficacement sur les faux-raccords dans un montage brusque et troublant qui substitue à la réalité les visions sexuelles fantasmatiques étranges de son héroïne). Les divagations mentales de la jeune femme, de natures diverses, sont là dès l'ouverture du film, quand elle se réveille dans sa chambre, se parle à elle-même et se revoit petite fille tandis que sa mère vient la chercher pour "aller à l'école", phrase qui résume toute l'inertie d'une vie monotone passée à vieillir dans un village de campagne sans surprise.




Sur le chemin du travail, Rachel a ensuite des absences, et se voit par exemple en train de lécher la main du directeur de l'école. Pas loin de s'enliser dans une enfilade d'hallucinations, elle frôle le délire quand son amie la convie à l’Église, où un prêtre surexcité invite ses ouailles à se tenir les mains, contact physique qui est au nœud de la névrose du personnage. Et rien ne s'arrange quand sa collègue (incarnée par Estelle Parsons, la mémorable épouse hystérique de Gene Hackman dans Bonnie and Clyde) l'embrasse soudain à pleine bouche. A travers ce beau personnage, Newman évoque aussi l'homosexualité féminine, sur un plan intime plutôt que social, assez éloigné donc d'un film comme La Rumeur de William Wyler, avec ses deux institutrices soupçonnées d'homosexualité, jouées par Shirley MacLaine et Audrey Hepburn. Si bien qu'à la longue, Rachel pourrait devenir une fausse-jumelle de Carole, le personnage de Catherine Deneuve dans Répulsion...




Mais quand elle retrouve une vieille connaissance, un ancien camarade d'enfance revenu au pays, le personnage de Rachel, jeune femme solitaire, perdue, si désespérée qu'elle se jette au cou du premier homme venu, avec sa frange blonde et son air négligé, évoque plus directement l'héroïne éponyme du Wanda de Barbara Loden, tourné l'année suivante. Loden, dans son unique et incroyable film, a voulu et su elle aussi filmer une femme, en des temps où c'était bien rare, et avec une force peu commune. Si Newman signe un film moins radical et moins puissant que celui de Loden, il a le mérite de présenter un autre intérêt majeur : être un homme et filmer une femme en évinçant toute notion de désir ou de convoitise au profit d'un regard à la fois direct et saturé d'amour. Car c'est avant tout la présence de Joanne Woodward, la présence absolue de cette femme, qui fait événement. Elle est plus éclatante ici, déjà relativement loin de la jeune première qu'elle fut et pratiquement sans maquillage, que dans un film comme Feux d'été, antérieur de dix ans, où, toute en beauté, elle séduisait son Newman, alors acteur, dans un rôle tout trouvé d'irrésistible pyromane. Filmée dans sa nature, la présence brute et évidente qui se dégage de la moindre des expressions de l'actrice, de la moindre inflexion de son visage, de son sourire mutin, innocent, sincère et enfantin, comme de ses traits défaits par la tristesse, conjugué à un personnage fin et d'une grande humanité, nous maintient fascinés et émus d'un bout à l'autre du film.


Rachel Rachel de Paul Newman avec Joanne Woodward, James Olson, Kate Harrington, Estelle Parsons et Donald Moffat (1968)

13 mars 2008

The Notebook

Atteinte de la maladie d'Alzheimer Allie (Gena Rowlands) vit en maison de retraite. Tous les jours un autre vieux nommé Noah (Sam Shepard) vient lui lire la même histoire. Cette histoire c'est la leur, qu'Allie a couchée sur carnet quand elle a appris qu'elle était malade, pour que Noah la lui lise encore et encore et qu'elle ne l'oublie pas. À grands coups de flashbacks on retrouve donc Allie (Rachel McAdams) dans les années 30, jeune fille issue d'une famille extrêmement riche dans le sud alabamesque des États-Unis, éperdument amoureuse d'un beau jeune homme de basse condition, Noah donc (Ryan Gosling), dont sa mère tâche de l'éloigner sachant qu'il est pauvre et qu'elle veut que sa fille se marie par intérêt, comme elle, et qu'elle ait une vie aussi pourrave que la sienne. Ainsi sont-ils séparés non seulement par des beaux-parents ignobles, mais aussi par les obligations de la jeune étudiante qu'est Allie et par la guerre, qui lui prend Noah. Mais à la fin du conflit, alors qu'Allie s'apprête à épouser un avocat, elle tombe sur une photo de Noah dans le journal, qui vient de gagner Roland-Garros (cocorico), et décide d'aller le retrouver. Leur amour est intact et ils n'auront de cesse de le consommer. Mais Allie fera des allers et retours entre ses deux hommes, incapable de prendre une décision, avant de finalement choisir Noah avec qui elle passera le reste de sa vie jusqu'à ce que la mémoire les sépare.


Faut vraiment aller au cinéma voir des navets pour admirer des trépanés tout heureux de se prendre un gros gisclar sur le kloss

C'est l'histoire la plus chiante qui soit. C'est un film pour mamans mais c'est le dernier échelon du genre. C'est le Atonement du pauvre, y'a qu'à voir les actrices des deux films pour en voir les symptômes : alors que Keira Knightley nous refilait la chair de poule dans l'autre film, ici Rachel McAdams à deux voies nous donne quelque haut-le-cœur. Chacun sait que la plus ennuyeuse et convenue des histoires peut accoucher d'une grande œuvre d'art, et que ça n'est qu'une question de traitement, si l'on peut dire. Mais ne comptez pas là-dessus avec Nick Cassavetes. Si Roland Barthes a écrit Le degré zéro de l'écriture, ici Nick Cassavetes signe fièrement le degré zéro de la mise en scène. Ce film est d'une platitude, d'un mièvre, d'une petitesse sans frontières. Avant chaque scène, chaque dialogue, chaque plan, on sent venir, on imagine ce qui pourrait suivre de plus évident et de plus bête, car nous sommes nous-mêmes bien peu de choses (c'est mon amie la rose qui me l'a dit ce matin), et on n'est jamais déçu, on y a bien droit, inlassablement. Quand il n'arrive pas à le mettre en scène Nick Cassavetes raconte un élément de l'histoire en voix off. En réalité le générique d'ouverture donne le ton : une très longue suite de plans de paysages et d'oiseaux en vol au ralenti, filmés avec un filtre rouge écarlate sanguinolent sur fond de violons dégoulinants. Quand on est le fils de John Cassavetes, qu'on a la chance de réaliser un film grâce à cette filiation bienheureuse, et qu'on tourne une chiure pareille, on a encore moins le droit au pardon. En plus ce pauvre type traîne sa mère, la grande Gena Rowlands, dans la merde en lui refilant le pire rôle possible, ça c'est ce qu'on appelle un fils illégitime. Un gros bâtard.


The Notebook (N'Oublie jamais) de Nick Cassavetes avec Ryan Gosling, Rachel McAdams, Gena Rowlands, et Sam Shepard (2004)