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4 juillet 2015

Le Jour du vin et des roses

Nous accueillons aujourd'hui le joliment pseudonymé Nick Longhetti, lecteur assidu et compagnon de route du blog, qui s'est proposé de nous et de vous parler d'un film de Blake Edwards :

Pour que le cinéma puisse prétendre à une fonction d’art majeur, il se doit de s’imprégner de motivations sociales mélioratives. La mise en scène doit être au service du récit. Blake Edwards n’est pas Billy Wilder ni même Ernst Lubitsch. Pourtant ce réalisateur de talent est un magnifique conteur. Il n’est pas l’initiateur de la comédie sociale mais il en est un bon continuateur. Le Jour du vin et des roses est un véritable pied de nez, un choc qu’il est difficile d’analyser. Un film profondément humain, profondément réaliste et surtout profondément moderne dans sa construction. Days of Wine and Roses ouvre des possibilités nouvelles de mise en scène : la simplicité, l’empathie, le détachement mais surtout le réel. Révélateur de son temps, ce film dissèque, déconstruit les affres de la modernité, de ses faux semblants et de ses réussites illusoires. La formulation de « possibilités nouvelles » peut paraitre présomptueuse mais il est indispensable de voir l’avance considérable de ce film et de son impact sur le cinéma mondial.




La distribution est excellente. Le choix de Jack Lemmon est magistral. Cet acteur de génie possède une palette de jeu véritablement complète. Il peut tout jouer. Chez Edwards, il personnifie la continuation du dogme de la comédie sociale : de l’humour, de la tristesse. Véritable bête de cinéma, il vampirise par sa bonté et son charme débonnaire nombre de scènes réussies. Il est très bien dirigé ce qui prouve également l’aisance manifeste de Edwards dans son rapport avec ses acteurs. Un Cassavetes qui s’ignore. Pour répondre à la bestialité d’un Lemmon, il fallait une figure féminine en apparence espiègle. Lee Remick sera l’élue. Remick représente l’idée d’une Amérique provinciale et inadaptée au changement. Aussi devient-elle vulnérable aux nombreux pièges de la ville, après avoir, de bonté de cœur, suivi son amoureux dans une terrible escapade. Les seconds rôles sont exceptionnels. Les personnages ont eux-mêmes leur propre blessure. Il serait un peu vain de tous les citer mais leur importance est réelle : ils sont la réponse de la société vis-à-vis de ce couple. Ils sont la conscience collective du bien et du mal. Protection et aide contre dépravation et compromission.




Le pitch est assez classique : une romance tragicomique sur fond d’alcool. Cependant son déroulement cinématographique est beaucoup plus élaboré. On peut délimiter Le jour du vin et des roses en deux parties : la première est une véritable comédie avec un petit fond de critique sociale, la seconde par contre détériore fortement l’ambiance joyeuse du début du film pour la faire basculer dans le tragique. La force du film est de ne pas faire ressentir au spectateur le désespoir des personnages. Mais plutôt de lui faire comprendre l’origine du mal de la boisson chez des êtres fragilisés. Dans son intitulé, Le Jour du vin et des roses contribue à lui donner une fonction pédagogique. Car il est vrai, nul fond de moralisme douteux mais simplement la représentation à la manière du documentaire, de la puissance du réel. Le récent Foxcatcher de Bennett Miller et le classique Citizen Kane du sorcier Orson Welles, à des degrés divers, s’inscrivent dans cette lignée. Sunset Boulevard de l’ami Wilder était un film plus ambitieux, très drôle mais moins « docufiction ». Que les admirateurs de Billy se reprennent : il n’est pas question de comparer un film aussi parfait que Sunset Boulevard, il est juste utile de rappeler que du point de vue innovation, Edwards a lui aussi apporté sa pierre à l’édifice d’un cinéma ancré dans les perspectives de son temps.




Ce papier est une invitation. Découvrir un film plébiscité par la critique mondiale mais un peu oublié en France. Pour réellement s’imprégner de son ambiance unique, il est judicieux de ne pas trop exposer les épisodes qui jalonnent le film, tous plus puissants les uns que les autres. On retiendra par nécessité une scène particulièrement émouvante où un Lemmon à l’agonie déclare à sa dulcinée devant un miroir qu’ils doivent se refaire… Certes il restera sans doute très longtemps dans l’oubli dans notre beau pays, certes il y a eu avant lui et il y aura après lui des films meilleurs mais Le Jour du vin et des roses a un charme particulier : celui de l’honnêteté et du respect du genre humain.


Le Jour du vin et des roses de Blake Edwards avec Jack Lemmon, Lee Remick, Charles Bickford et Jack Klugman (1962)

7 mars 2012

Le Stratège

On m'avait dit "Ce film va te faire aimer le baseball, même si t'y connais que dalle, même si tu te fous de ce sport débile ! Non, je t'assure, ce film va te passionner pour le baseball, sans même connaître les règles de ce jeu chiant comme la mort !". C'est vrai, je le reconnais, pendant la première demi-heure, j'étais carrément dedans, j'étais devenu un fervent supporter des A's d'Oakland. La mayonnaise avait pris ! J'étais captivé par toutes ces discussions absurdes autour du recrutement des joueurs. J'étais en immersion totale dans ce petit monde dont j'ignorais strictement tout. Pendant cette première demi-heure, je comprenais sans difficulté que ce film ait été acclamé par la critique. Le souci, c'est que le film dure près de deux heures et quart. Je l'écris en toutes lettres exprès. Rendez-vous compte. Deux heures et quart de baseball. Et en coulisses, s'il vous plaît, pratiquement jamais sur le terrain. Seules des bribes de matchs nous sont montrées, jamais assez pour qu'on rentre dedans ou que l'intensité d'un match ne transparaisse à l'écran. On doute même qu'un match de baseball puisse seulement parvenir à être un peu intense. Je dois néanmoins bien reconnaître que je suis allé consulter la page wikipédia française consacrée au baseball dès le générique de fin, mais je ne crois pas qu'il s'agisse là d'un tour de force réalisé par le film ou que cela soit la preuve de sa qualité. Je suis aussi allé lire l'intégralité de la page wiki consacrée aux pneumatiques après avoir vu Rubber.




Deux heures et quart à voir Brad Pitt essayer de recruter des lanceurs, des receveurs et, pire encore, un champ extérieur droit ! Deux heures et quart à mater Brad Pitt donner des coups de fil à droite à gauche, infatigable, intenable, le tout en mâchouillant frénétiquement des chewing-gums, croyant-là singer à la perfection le manageur sportif ultra anxieux. L'acteur en fait des caisses ! Au début, là encore, je dois l'avouer, j'ai trouvé son jeu assez plaisant, à l'image du film, mais très vite, il a fini par me lourder sévèrement. Alors Brad doit être content, il a désormais son petit film sportif dans sa filmographie, comme Paul Newman, comme Robert Redford, et comme tant d'autres de ses modèles qui ont su avant lui saisir l'occasion d'interpréter des rôles d'homme à poigne, pour mieux les investir de toutes leur présence charismatique. Sauf que Brad Pitt en fait trop. C'est écrit sur son front qu'il cherche les récompenses, qu'il est à la pêche aux Golden Globes. Et c'est lassant.




L'autre souci, c'est que le personnage incarné par Brad Pitt a une gosse. Une gamine de 12 ans qui apprend péniblement à jouer de la guitare et qui aime, ô malheur, pousser la chansonnette. Soit dit en passant, quand le film tente vainement de nous dépeindre la vie familiale lamentable de Brad Pitt (séparé de sa femme et profitant de sa fille à de très rares occasions), dans le but de nous faire ressentir de la compassion pour son personnage, il touche le fond. Brad Pitt montre alors qu'il sait verser des larmes à la demande. Tant mieux pour lui. Mais revenons-en à cet insupportable détail, qui vient flinguer Le Stratège au moment le plus cruel. Dernière scène du film. Après avoir prouvé l'efficacité de ses méthodes de management, Brad Pitt se retrouve seul dans sa bagnole, rappelé à sa triste situation d'homme moderne. Il enfourne un cd dans son lecteur. Retentit alors insidieusement l'air d'une musique démoniaque que l'on a déjà tous bien trop subi. "I'm just a little bit cauff'' in da middle life amaz'ing nada mas' and I don't know where to go but nada mas I'm tired and I'm all right, oh-oh dum dudum deedum doudi dada doudi da dou dou dou dou..." entonne sa petite fille sur ce cd enregistré par ses soins. Là non, désolé, ça ne passe plus, pas avec moi. Si j'ai pris mon mal en patience pendant les deux derniers tiers du film, cette ultime scène m'a achevé. Voir chialer Brad Pitt seul au volant de sa bagnole, à la toute fin du film, sur les paroles terribles de cette chanson de malheur, ça a fini de me convaincre. Je venais de voir un film de merde, tout juste bon à offrir une nomination au tant convoité Oscar du Meilleur Acteur pour cette enflure de Brad Pitt, qui cabotine du début à la fin, la mâchoire inférieure plus en avant que jamais, la bouche toujours ouverte. J'ai dit "stop" et ça tombait bien, c'était fini. Ouf !


Le Stratège de Bennett Miller avec Brad Pitt, Jonah Hill et Philip Seymour Hoffman (2011)