12 août 2024

Sang pour sang

Critique repentance. Que nous avons été durs avec les frères Coen. Qu'ont-ils fait de mal ? A part avoir un style un peu trop stylé, une bande d'acteurs fidèles toujours là au piquet, un humour décalé d'une ironie pince-sans-rire qui si elle vous laisse froid vous congèle carrément, et peut-être un public agaçant. Résultat des courses, pendant longtemps nous n'avons pas pu les saquer. Il faut parfois que le temps passe, qu'une carrière s'essouffle, que des dents se déchaussent, que la critique se détourne et que les rangs des fans s'éclaircissent pour qu'on donne une nouvelle chance aux cinéastes qui nous ont durablement gavés et, mine de rien, contre lesquels on a aussi pu se construire, bien malgré eux et à leur insu. Cf. Serge Daney, qui a forcément écrit là-dessus, et qui lui aussi s'est mépris de son vivant sur quelques cas, ne citons que Spielberg, dérouillé en règle pour ses Dents de la mer, ou Cimino, flingué à bout portant pour Voyage au bout de l'enfer. Nous avons un droit à l'erreur, ou plutôt aux multiples et impardonnables erreurs. Ne citons que nos griefs de jadis, parfois immortalisés dans ces pages, à l'égard de Brian de Palma, de Wes Anderson, de David Lynch. Autant de dégoûts anciens qui nous ont fait passer pour des guignols plus souvent qu'à notre tour, alors qu'ils étaient dus, le plus souvent, aux guignols eux-mêmes qui, en portant ces cinéastes aux nues avec des arguments débiles, creux et fallacieux, nous confortaient dans nos petites haines quotidiennes. (Déjà on change d'avis et on s'excuse, on va pas non plus assumer nos erreurs et s'abstenir de les imputer à autrui). Si ça peut vous rassurer, on a longtemps détesté les endives au jambon, pour l'amertume desdits jambons, oubliés sur la plage arrière de la Seat Córdoba en plein mois d'août. Or, pas plus tard qu'hier soir, on s'en est farci douze à deux. Et pas les plus fines endives du marché. Plutôt du gros chicon maous, vendus par le gardois du coin avec un p'tit sourire ambigu : "Dix euros les deux ! Et une barquette de fraises offertes pour cinq euros de plus !" Adorable.


 
 
Ce film-là, parangon du néo-noir, dont il est le premier spécimen (ou parmi les), contient tout le meilleur des frères Coen et a contribué, visionné tardivement, à les réhabiliter totalement à nos yeux. Seul hic : on a revu pas mal de leurs films après et celui-ci, qui est leur premier, reste pratiquement, pour nous, un sommet de leur art. Mais c'est un détail. Blood Simple, basé sur un scénario écrit à quatre mains de fées, mis en scène avec une efficacité et une audace dingues pour un premier essai, porté par des acteurs idéaux incarnant des personnages bien racés, est une grande réussite. (On a juste aimé le film putain, le fait est qu'on est blogueurs ciné et qu'on essaie de poser des arguments, disons des mots-clés, mais on est à poil pour expliciter tout ça, pour formaliser le plaisir pris devant ce qui reste un parangon du néo-noir). Un dernier mot quand même sur ce qui enlève le film pour de bon : la longue scène où l'enjeu est de se débarrasser du corps velu de Dan Hedaya. Une demi-heure muette où c'est simplement la magie du cinéma qui opère, un plan après l'autre, bien dans l'ordre, bien cadrés, bien timés. Thoret le dit toujours : un vrai bon film se jauge à l'aune de la touche "mute" de votre télécommande, virez le son et si vous captez la tempé c'est gagné. Ici, et dès leur premier coup d'essai, les Coen le font pour nous et c'est limpide. Quel toupet ces jeunes loups. Ils se trimballaient avec l'assurance d'un Eduardo Camavinga âgé de 7 ans et portant déjà le maillot du Real en quarts de finale de la Ligue des Champions.




Sang pour sang de Joel et Ethan Coen avec Frances McDormand, Dan Hedaya et John Getz (1984)

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