28 juillet 2024

Signes

Rares sont les films comme ça. Combien de films comme ça ? Tant d'éléments de la vie courante et du quotidien le plus banal sont à jamais irrémédiablement associés à ce film. Dites "aluminium", dite "champ de maïs," dites "saut à la perche", dites "verre d'eau", dites "batte de baseball", dites "crop circles", dites "accident de bagnole", dites "Signs" et vous pensez immédiatement à l'œuvre-somme de Shyamalan. Faites ce geste : prenez le menton de votre père entre deux doigts pour le tourner vers un champ de maïs quelconque, idéalement dont les épis ont été méthodiquement écrasés, mais non rompus, par une technologie autre qu'humaine, et vous pensez immédiatement à ce chef-d’œuvre du 7ème art. C'est irrémédiable. Ce plan, où le jeune fils de Mel Gibson (interprété par Rory Culkin, qui tourne à l'époque dans le dos de son frère et lui chipe la vedette), se saisit avec respect du menton de Mel Gibson (première et dernière fois qu'un acteur touche le visage de Mel Gibson dans un film sans se prendre une baffe en retour immédiat, et d'autres ont essayé, à l'exemple de la téméraire Sophie Marceau dans Braveheart) pour le tourner vers le crop circle qui décore leur champ, cercle de culture tracé avec goût en forme de M de MacDonald's, indiquant aux aventureux aliens le fast food le plus proche où la bouffe ne contient pas la moindre goutte d'eau (ils y sont allergiques), rien que du sucre, est un plan non seulement que l'on n'oubliera jamais mais que le moindre mouvement latéral de tête, à n'importe quel moment de la journée, suffit à faire revenir : il suffit de tourner la tête pour rendre hommage au film. Rendez-vous compte du nombre d'hommages rendus à Signs chaque jour à travers le monde et dans l'espace intersidéral.




Que dire d'autre ? Grand II : l'analyse du film. Manosque Naj Shyamalan sort juste de Sixth Sense à cette époque-là. Il suffit qu'il claque des doigts dans la rue, ou fasse un clap de fin de tournage à un feu rouge, pour qu'hommes et femmes relèvent leur t-shirt des deux mains et s'offrent torses nus en spectacle au grand manitou de Pondichéry, qui a littéralement retourné son monde avec un mindfuck impérissable à la fin d'un film tout simplement très bon devant lequel on aime encore aujourd'hui à taper la sieste. Or, que fait Schumi après ça ? Un film sur le maïs, sur le monde agricole, sur les verres d'eau, qui commence par un long monologue insipide à propos d'une sauteuse à la perche, écouté par un Mel Gibson qui se croit chez les frères Coen ou Larrieu. La star se barre à un moment, revient plus tard se rassoir pour écouter la flic locale lui raconter les exploits de Javier Sotomayor (le making of révèle que l'acteur n'a pas été présent lors de la prise). L'audace a payé : 600 millions. Et faire ça au lendemain d'Independance Day ? Et de la naissance officielle du destruction porn ? Déballer comme ça un home invasion intimiste, un film d'extra-terrestres d'auteur (ou d'auteur extraterrestre ?) tout entier tourné sur la question de la foi d'un homme endeuillé ? C'était délirant, violent même. Personne ne se souvient, parmi la majorité des gens qui n'y connaissent rien en cinéma, que Joaquin Phoenix joue dans ce film, mais tout le monde se souvient de son personnage de tonton raté le cœur à vif, fragile mais indéfectible (l'acteur a pioché dans sa vie perso pour camper cet être inachevé, se servant allègrement de la mort de son frère aîné pour livrer de la vérité, produire une performance, dans le sens art contemporain du terme, comme mon tonton Scefo en a livré une énième hier soir lors du repas de quartier dominical, en full impro).




Grand II b : analyse encore. Un simple angle de mur évoque ce film. Ou encore un pas de porte bressonnien (= digne de Bob Bresson). Idem : une silhouette qui passe, avec bras ballants de trois mètres de long, devant une porte. Un entonnoir d'aluminium sur la tête d'un adolescent évoque ce film. Un baby phone grésillant. Une batte de baseball accrochée au-dessus d'une tv à écran bombé. Une lampe torche qui s'éteint dans la cave. Une ampoule de plafonnier de cave qui éclate. Une ventoline. La main d'un tonton aimant sur la poitrine d'un gamin asthmatique qui respire péniblement allongé dans une cave. N'importe quelle conversation sur un canapé. Cette causerie de dix minutes entre Mel Gibson et Joaquin Phoenix... Vous vous en souvenez forcément. On ne sait plus du tout ce qu'ils débitent, des bondieuseries (le film est à voir en VO à tout prix, pour l'humour, et pour s'épargner le "frappe à fond" du doubleur de Phoenix à la fin du film, dit avec une prononciation digne de celle d'un Roger Lemère pendant l'Euro 2000), mais on les voit causer, et on les verra pour toujours sur notre canapé, tels deux fantômes du passé.
 



Grand II c : fin de l'analyse. Un simple angle de mur ? Sérieusement ? Vous croyez qu'on vous prend pour des cons ? Revoyez le film. Le moment où le chien aboie, où toute la petite famille regarde vers un mur, une tapisserie livide, dans la direction du son, avec un petit zoom avant sur un angle, un coin de plafond sans intérêt, puis le chien qui couine et se tait. Ce plan-là, contrechamp en raccord regard sur un angle vide, avec un zoom vers un son, condense tout le génie d'un Schumi sous influence lovecraftienne. Relisez aussi Celui qui chuchotait dans les ténèbres de Lovecraft pour y dénicher tous les motifs clés que Shyamalan a repris à sa sauce indienne, pour les rendre plus épicés et leur donner un goût de curcuma et de curry d'espelette : le monde agricole, la menace cosmique, les chiens alertes, et pas n'importe quel chien : des bergers allemands !, et surtout ce fameux bruit que font les aliens. Quand on lit la nouvelle, emporté par le talent de descripteur de Lovecraft, on se dit qu'on ne pourrait le réaliser que comme Schumi l'a fait. Ce bruit-là aussi, quand on l'entend dans la vie, on revoit Signs, typiquement près un gros aligot trop vite englouti et sans aucune mastication. On perçoit des signes de Signs tous les jours, partout, tout le temps. Des signes de Signs.


Signes de M. Night Shyamalan avec Mel Gibson, Joaquin Phoenix et Rory Culkin (2002)

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