3 mars 2020

Suspiria

J'y ai cru. Pendant plus d'une heure, j'avais bon espoir et j'étais dedans. Plutôt séduit par la mise en scène de Luca Guadagnino, encore bien aidé par le dirlo photo d'Apichatpong, j'étais comme bercé par cette ambiance singulière et difficile à cerner, où les sorcières se mêlent aux danseuses dans une école de danse prestigieuse d'un Berlin divisé, violenté et hanté par une Histoire pesante. Je me croyais bel et bien devant ce film d'horreur certes clivant, mais intéressant, osé, exigeant, digne d'éloges. Un bon exemple de remake intelligent, qui n'essaie pas bêtement de reproduire son modèle (en l'occurrence, il aurait été vain de s'y risquer), mais en propose une déclinaison suffisamment éloignée, tout à fait autonome et neuve. Bref, j'étais prêt à m'enthousiasmer pour l’œuvre de Guadagnino, dont j'avais par ailleurs plutôt apprécié Call me by your name.




Hélas, si ce Suspiria est un bon exemple de remake honorable, il est également un parfait spécimen de film auquel on s'accroche en vain : il s'écrase totalement au moment où il devrait décoller pour de bon, il finit par se dégonfler comme un vieux ballon de baudruche quand il devrait nous exploser aux yeux et s'imposer à nous comme une réussite. Eh bien non, c'est raté, et l'on comprend alors toutes les mauvaises critiques qui ont accompagné sa sortie. C'est donc au moment où il prétend nous coller au siège que le film de Guadagnino touche le fond : la longue scène gore supposée être le climax horrifique tant attendu, où la tension est censée atteindre son paroxysme sur l'un des morceaux envoûtants signés Thom Yorke, est tout simplement hideuse et ne produit aucun effet, si ce n'est celui de nous éjecter du film en beauté, et pour de bon, nous qui nous y cramponnions avec persévérance. Tous les défauts que l'on essayait jusque-là de gommer avec indulgence, charmé par les belles intentions affichées du cinéaste, reviennent alors au tout premier plan.




Quasiment annoncé avec grandiloquence dès le générique comme un opéra "en six actes avec un épilogue", Suspiria apparaît en fin de compte comme un film malade (et non un grand film malade, comme dirait l'autre). Un film dépassé par ses ambitions démesurées, écrasé par toutes ses prétentions historico-intellos mal digérées et mal recrachées, et finalement limité par le savoir-faire du réalisateur quand il s'agit de s'aventurer pour de bon dans l'horreur. Car pour créer une petite ambiance d'angoisse feutrée, Luca Guadagnino s'en tire à peu près ; mais pour foutre les j'tons pour de bon, il n'y a plus personne. Au contraire, on tombe dans le ridicule, le grand-guignol le plus grotesque, celui qui nous fait dire "Mais comment ont-il bien pu croire que cela allait marcher ?". C'est étonnant. En un sens, ça vaut le coup d’œil, par curiosité malsaine...




Tout cela est bien dommage car il y a aussi là-dedans de bien belles choses, des scènes véritablement saisissantes où l'on sent que Luca Guadagnino n'est pas non plus un manchot. On repense à la première audition de la danseuse vedette, à ces scènes de repas entre sorcières qui manigancent en secret, etc. Et si le casting s'avère inégal, avec bien du beau monde pour faire si peu (on y croise pèle-mêle Sylvie Testud, Renée Soutendijk - actrice culte pour le Spetters de Paul Verhoeven, Angela Winkler - la mère de l'enfant du Tambour de Volker Schlöndorff, et Ingrid Caven - issue du cinéma de Rainer Werner Fassbinder) et une Dakota Johnson fantomatique en tête de gondole (la pauvre, elle a fini à l'hosto pour ça...), on serait en revanche très curieux de revoir Tilda Swinton dans un film d'horreur. L'actrice anglaise, qui campe ici pas moins de trois rôles, parvient à dégager quelque chose de fascinant et l'on peut regretter que son personnage principal, celui de la directrice de l'école de danse, ne soit pas mieux exploité.




Malgré ces hautes ambitions toujours appréciables dans le cadre d'une telle entreprise et d'un film d'horreur qui ne renie pas son statut, la sentence est sans appel : ce nouveau Suspiria est trop pompeux, trop lourd et, plus trivialement, beaucoup trop long. Il dure plus de 2h30 et les 45 dernières minutes sont les pires, les plus douloureuses, dignes de celles qu'ont dû vivre les supporters brésiliens devant la demi-finale contre l'Allemagne de 2014. 45 minutes à tenir, c'est long quand on a déclaré forfait, croyez-moi. Le problème réside peut-être principalement dans ce scénario beaucoup trop fumeux, nébuleux, qui part dans tous les sens et ne se focalise sur rien d'assez consistant, qui échoue à réanimer le mythe des trois mères cher à Dario Argento. C'est qu'il aurait fallu sacrément tailler dans le vif et épurer tout ça pour que le résultat soit comestible.




Je suis à présent un peu embêté car je ne sais pas comment terminer mon papier. Apparemment, Luca Guadagnino a eu le même problème avec son film ! On se fout royalement de cet épilogue bavard et insipide qui se joue au chevet d'un vieillard affaibli, personnage dont l'histoire intime ne nous concerne pas car elle débarque un peu plus tôt comme un cheveu sur la soupe et a surtout l'air d'un prétexte pour faire revenir Jessica Harper, l'actrice du film de Dario Argento. Là encore, des thèmes a priori très forts sont convoqués (déportations et camps de concentration), mais c'est si mal amené et développé que, il n'y a rien à faire, ça ne prend pas. Ces dernières minutes nous permettent encore de comprendre sans peine que le film ait pu recevoir un accueil si frileux et diviser à ce point, avec une grande majorité qui a crié à l'infamie et quelques illuminés pour le défendre bec et ongles...


Suspiria de Luca Guadagnino avec Dakota Johnson, Tilda Swinton et Mia Goth (2018)

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