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3 novembre 2020

First Cow

C'est d'abord un chien qui creuse la terre, sur les rives d'un fleuve où nous avons vu lentement passer un cargo. Sa maîtresse, intriguée, continue le travail de fouille, et finit par découvrir deux squelettes, allongés côte à côte. Un simple raccord nous amène 200 ans en arrière, au début du XIXème siècle, où nous suivons les pas d'un cueilleur qui ramasse quelques champignons dans le sous-bois. Il s'agit de Cookie, un cuisinier qui essaie de trouver de quoi sustenter un groupe de trappeurs bourrus pour lesquels il travaille. Plus tard, en continuant à chercher des baies, il découvre un homme caché dans la forêt, King-Lu, un chinois traqué par des russes. Celui-ci lui demande son hospitalité, et Cookie la lui offre, très naturellement. Kelly Reichardt filme une amitié. Une pure et simple amitié, comme nous en voyons finalement fort peu au cinéma. Nous sommes d'ailleurs si décontenancés par la simplicité de cette amitié, de cette harmonieuse association qui satisfait les deux parties, que nous attendons presque le moment où les sentiments deviendront plus passionnels. Mais non. La cinéaste reste dans la retenue et s'applique à dépeindre discrètement la pureté de cette union, ce qui fait toute sa beauté. Elle nous montre l'association fructueuse de deux hommes en marge, quand bien même était-il possible d'y être déjà, à la marge de cette Amérique-là ; deux hommes qui ont en tout cas été rejetés et voient chacun en l'autre la possibilité d'un avenir plus radieux, à la condition, toute naturelle, de mettre leur qualité en commun : le savoir-faire de l'un, l'astuce et le sens du commerce de l'autre. Le rapport qui se noue entre eux est délicat, instinctif, solide, vital. Le film s'ouvre par cette citation de William Blake : "The bird a nest, the spider a web, man friendship".




Si je choisissais de vous révéler davantage le scénario, il ne me faudrait qu'une phrase supplémentaire ou deux, et vous pourriez vous étonner de son apparente minceur. Mais derrière cette petite histoire de vol de lait de vache au clair de lune par deux complices qui rêvent ensemble de meilleurs lendemains (je l'ai donc fait, le résumé), se jouent et se révèlent plein de choses intéressantes sur l'Amérique des pionniers et le capitalisme naissant. Dès les premières images, Kelly Reichardt filme des os qui dépassent de la terre, cette même terre retournée, puis des champignons, et toujours le sol, que l'on foule, en quête de ses richesses et de ses mystères. Tout cela nous est montré patiemment, nous rendant ainsi sensible à la nature, aux origines, au temps passé, à là d'où l'on vient et à ce qu'il reste de nous. La cinéaste nous invite à la réflexion, oriente d'emblée nos regards, doucement. Elle n'érige aucune sorte de discours lourdaud, ce n'est pas son genre, elle est une artiste bien plus subtile que ça. Elle se consacre à filmer les hommes au milieu de la nature, avec la délicatesse qu'on lui connaît, chacun, ou ensemble, essayant de trouver une voie pour tracer leurs vies. Elle laisse la violence hors champ ou la repousse à l'arrière plan, mais celle-ci est bien présente dans certains comportements, dans quelques phrases, tout particulièrement celles prononcées par le propriétaire anglais (excellent Toby Jones) que l'on consulte pour savoir quelle punition administrer à des esclaves jugés fautifs. Et la menace est là, feutrée mais presque omniprésente, nous sommes souvent sur le qui-vive, craignant pour notre tandem, idéalement incarné par John Magaro et Orion Lee.
 
 
 
 
Le film, au rythme très doux, pourrait peut-être provoquer un léger ennui s'il n'était pas si beau. Kelly Reichardt pense chaque plan, atteste d'un sens du cadre évident et son film baigne dans une lumière automnale sublime, comme si nous étions le plus souvent à l'aube des événements. Il s'agit peut-être de son film le plus maîtrisé, le plus abouti, alors que sa filmographie commence à être conséquente... Certaines séquences sont empreintes d'une grâce toute particulière, et je pense notamment à ce moment où les deux personnages se retrouvent dans la petite cabane pour la première fois. D'abord un petit coup de balai de l'un pendant que l'autre, apparaissant dans l'encadrement de la seule fenêtre, coupe du bois dehors. Puis Cookie revient décorer l'intérieur d'un petit bouquet de fleurs sauvages pendant que son ami rentre allumer le feu. C'est trois fois rien, des petits gestes, des attentions, une attitude, une confiance déjà posée dans la présence de l'autre ; et nous sommes bien, avec eux. Et puis nous avons vraiment l'impression d'y être, non seulement avec eux, mais aussi et surtout chez eux, là-bas, et à cette période-là. Il est rare de ressentir cette impression à ce point-là. Je n'ai même pas envie d'employer le mot "reconstitution" tant celui-ci convoque généralement des films aux moyens plus importants qui s'attachent parfois trop lourdement à reproduire une époque. Celui-ci, avec un budget que l'on imagine fort modeste, nous transporte sans aucun effort visible dans l'Oregon de 1820, aux côtés des trappeurs, des chasseurs, des indiens, et compagnie. Le court passage au saloon déjoue évidemment les clichés habituels du western, pour mieux nous transmettre, par l'ambiance globale si magistralement saisie et un souci du détail admirable, un sentiment de vérité indiscutable. Tout paraît authentique, chaque objet, chaque personnage, chaque endroit. La vache, avec ses yeux immenses, sa croupe saillante et son pelage hirsute, est parfaitement choisie !
 
 

 
Hasard du calendard, il est étonnant de constater les rapprochements que l'on pourrait établir avec un film récent d'une autre cinéaste de grand talent, je pense à The Nightingale de l'australienne Jennifer Kent. Au-delà d'un choix inhabituel de format d'image identique et d'une photographie très similaire, aux couleurs naturelles, saisissante de beauté, les deux cinéastes s'intéressent, avec beaucoup d'ambition, d'assurance et d'audace, aux origines de leurs pays respectifs, l'une à travers le récit d'une pure amitié, l'autre via une terrible histoire de vengeance, chacune empruntant au conte, pour deux westerns atypiques remarquables. Deux grands films que nous n'aurons hélas pas pu découvrir en salles en ces temps de malheurs. Car oui, malgré les apparences, ce que pourrait nous laisser croire son titre, sa non distribution en salles ou que sais-je encore, First Cow n'est pas le "petit film" d'une réalisatrice déjà établie et que l'on sait capable de belles choses. C'est le nouveau film, riche, fort, magnifique, d'une cinéaste brillante à l'importance encore grandissante. A l'évidence, l'un des plus beaux d'une année qu'il réchauffe de son souffle si humain. 




First Cow de Kelly Reichardt avec John Magaro, Orion Lee et Toby Jones (2020)

26 juin 2018

Atomic Blonde

Il y a de quoi être très déçu par le nouveau film de David Leitch, co-réalisateur du premier John Wick. C’est à croire que le talent était plutôt détenu par son compagnon, Chad Stahelski, quant à lui auteur d’une suite plus que satisfaisante des aventures du hitman incarné par Keanu Reeves. David Leitch a également persévéré dans la veine du film d’action « badass » aux airs assumés de bande-dessinée et de jeux vidéo, pour un résultat bien moins réussi, alors que de bons ingrédients semblaient pourtant réunis. Je fais bien sûr d’abord allusion au casting et notamment à Charlize Theron, dans la peau de la blonde atomique du titre, une agente secrète appelée à mettre la main sur une liste cruciale pour les renseignements occidentaux dans un Berlin-Est glauque et malfamé. La star au sex-appeal toujours intact et au charisme évident aurait pu incarner un nouveau personnage d’action marquant après son rôle de Furiosa dans l’excellent Mad Max : Fury Road, mais le film ne s’avère cette fois-ci pas à sa hauteur. Elle a beau se démener et se désaper plus d’une fois, ça ne suffit pas, elle paraît gesticuler dans le vide, perdue dans un scénario trop confus et tordu pour être réellement plaisant à suivre.




Ce scénario abscons échoue totalement à nous captiver et il nous perd dans ses rebondissements trop fabriqués. Il est bien le plus gros défaut d’un film qui nous propose aussi, aux côtés de sa vedette blonde et longiligne, le sempiternel défilé de tronches plus ou moins connues, parmi lesquelles John Goodman et Toby Jones, que l’on a déjà vus bien plus inspirés. Visuellement, la reconstitution du Berlin de la fin des années 80 est d’une lourdeur terrible. Histoire que l’on se sente tout à fait plongé en RDA, l’image est d’une teinte grisâtre pénible en journée tandis que, la nuit, de multiples éclairages fluos, via des néons roses et jaunes, viennent nous rappeler avec insistance que nous sommes dans les eighties, effet renforcé par une bande originale omniprésente, enchaînant des tubes pop de l’époque. C'est épuisant.




On relève simplement un peu les yeux quand une scène lesbienne s’amorce entre Charlize Theron et Sofia Boutella, avant qu’elle ne soit coupée dans la seconde. Dommage car une sorte d’électricité émanait des deux actrices, vraisemblablement désireuses d’aller plus loin et de donner un motif de satisfaction aux spectateurs les plus primaires (et largement majoritaire ici). On se réveille également lors du morceau de bravoure du film : un très long plan-séquence où l’on suit les bastons, fusillades et poursuites de l’atomique blonde, opposée à un nombre impressionnants de gros bras armés et remontés à bloc. Les coupes et les doublures, que l’on imagine réduites au minimum, ont sans doute été rendues invisibles par le numérique et on se prend plutôt au jeu, à condition d'être encore d'humeur. On pourra toutefois regretter que ce plan-séquence ne se termine pas un peu plus intelligemment. Force est de reconnaître que cette séquence produit néanmoins son petit effet, elle est même la seule, à vrai dire, à nous proposer ce que l’on était en droit d’espérer d’un tel film.


Atomic Blonde de David Leitch avec Charlize Theron, James McAvoy, John Goodman et Toby Jones (2017)