19 avril 2022

Egō

Une belle couvée. Vainqueur de la dernière édition du festival de Géradmer, où il a fait coup double en récoltant le Grand Prix et le Prix du public, puis présenté avec enthousiasme aux cinéphages méridionaux de mon espèce lors de la troisième édition du Grindhouse Paradise de Toulouse, Egō est le premier long métrage de la cinéaste finlandaise Hanna Bergholm. Mélangeant agréablement les tons, du comique satirique à l'horreur corporelle, et attestant par moments d'une belle inventivité, on tient typiquement là le genre de films qui, malgré ses défauts évidents, appellent à la plus grande bienveillance de la part de l'aficionado de pellicules originales, portées par la sincérité et la fraîcheur des débuts de carrière. Tout semble aller pour le mieux dans la "super vie" de cette famille finlandaise modèle que l'on croirait issue d'un catalogue : des parents amoureux et soudés, un petit garçon exemplaire, à binocle et bien coiffé, et une jolie adolescente blonde, gymnaste désireuse d'être à la hauteur des attentes de sa mère. Le tableau, qu'immortalise chaque jour la maman sur son blog vidéo, est parfait, trop parfait, et, dès la première scène, l'imprévu et la violence s'immiscent au sein du foyer et de cette maison immaculée : c'est un corbeau qui s'invite dans le salon en passant par la fenêtre du salon et cause de sacrés dégâts matériels. Jusqu'à ce que la fille parvienne à le capturer sous une couverture, puis transmette le prisonnier croassant à sa mère. Celle-ci le prend dans ses bras puis lui tord le cou, sans pitié, et le rend à sa fille, restée coi, tout en lui conseillant, avec un grand sourire, de bien faire attention de le jeter au compost. 


 
 
Dès cette première scène, amusante et inattendue, tout est là et le décor est planté, tous les éléments qu'explorera par la suite la cinéaste sont réunis, ne demandant qu'à éclore pour de bon. Quelques minutes après, la jeune fille, véritable centre de gravité du film, sera attirée dans les bois jouxtant sa maison et découvrira le pauvre oiseau noir, à l'agonie. Elle abrègera difficilement ses souffrances avant de découvrir, délaissé tout à côté, un œuf, qu'elle choisira d'emporter avec elle puis de préserver, dans le secret de sa chambre... Il serait dommage d'en révéler davantage pour ne pas porter atteinte au plaisir modeste que réserve la découverte de ce film délicatement surprenant, dont le récit concis nous révèle ses cartes tranquillement et avec assurance, malgré un scénario finalement assez mince et fragile. Pour situer ce film étrange, on pourrait se creuser la tête et citer pêle-mêle quelques titres : E.T., pour la relation exclusive et cachée que noue un temps l'ado avec la créature, Black Swan, pour l'aspect dévorant de sa pratique sportive (encore que...), Canine, pour la peinture acide de cette famille nordique faussement parfaite, Grave, pour le regard féminin porté sur cet énième passage sanglant à la maturité où body horror s'accorde encore avec coming-of-age, ou même le récent Pixar Turning Red avec lequel Egō semble partager une étonnante similitude (et j'éviterai de nommer le grotesque Malignant par respect pour le travail de la réalisatrice finlandaise) mais, en dépit de toutes ces associations plus ou moins lointaines, farfelue ou forcées, le film dégage une vraie singularité. 


 
 
Egō avance à un rythme régulier, ne monte pas en tension comme on pourrait s'y attendre, et reste cohérent de bout en bout avec les thèmes et les personnages pointés d'entrée de jeu, bien servis par des acteurs impeccables, en particulier la toute jeune Siiri Solalinna, parfaite dans le rôle de cette gamine étouffée par la folie narcissique, égoïste et perfectionniste de sa mère timbrée. On ignore si la cinéaste a des comptes à régler avec sa maman, mais sa première œuvre ressemble à un catharsis personnel. Hanna Bergholm joue également avec l'image de pureté et de quiétude que l'on projette sur les pays scandinaves, dont elle écorne ici avec malice le portrait de la famille-modèle (j'ai particulièrement apprécié le personnage du père, d'une passivité bêta, et celui de son clone de fils, que l'on aimerait presque voir davantage tant ils sont délicieusement ridicules). Son film peut aussi être vu comme un conte sur l'adolescence, le passage à l'âge adulte, qui ne raconte peut-être rien de nouveau mais le fait avec une sorte de spontanéité galvanisante. La réalisatrice ose parfois de jolies choses, n'a pas peur d'opérer des rapprochements évidents et des métaphores très claires. Ces choix intelligents servent son film, qui évitent ainsi les écueils d'une horreur trop hermétique ou sibylline et dont la conclusion maintient tout de même un mystère et un pouvoir de stupéfaction. Avant cela, on aura aussi pu apprécier quelques idées aussi simples qu'intéressantes comme cet œuf caché qui grossit jusqu'à atteindre une taille démente, ou cette transition assez géniale qui évite la lourdeur d'un montage alterné trop attendu, faite en un mouvement de caméra circulaire verticale qui effectue une transition fluide et renversante entre les acrobaties de la jeune gymnastes et les méfaits que s'apprête à effectuer son double maléfique. Notons enfin, et cela semble aujourd'hui important de le relever tant c'est devenu rare, que les effets spéciaux sont franchement réussis, d'autant plus quand on imagine la petitesse du budget. Ils parviennent à donner vie à une drôle de créature, qui n'impressionne guère par sa monstruosité ou la peur qu'elle provoque mais fascine par la vulnérabilité et la détresse affective qu'elle dégage et porte en elle. 


Egō de Hanna Bergholm avec Siiri Solalinna, Sophia Heikkilä et Jani Volanen (2022)

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