Ma femme me dit toujours : « Si tu te colles devant un film de guerre en
ma présence, je me tire ailleurs », car elle ne supporte que très
péniblement les bruitages inévitables des films du genre, à base de
pétarades, mitraillages, torpillages et canonnades sans fin, entrecoupés de bruits
d'engins ronflants et de râles d'agonie (parfois sublimes). Cet énorme foutoir, amplifié par ma barre de son calée sur le mode "Cinéma", avec les basses du subwoofer boostées au max, ont le chic pour la rendre complètement maboule, surtout quand elle essaie de bosser à côté. Je la comprends. Heureusement pour elle, je ne regarde pas beaucoup de films de guerre, les ayant déjà presque tous vus, et plusieurs fois chacun, quand je n'étais encore qu'un petit garçon haut comme trois pommes, grâce à mon paternel, ancien combattant de la Division Charlemagne, passionné par le genre et par le sujet de manière générale. Hier, quand je me suis tanké devant France5 pour rendre hommage à Kirk Douglas, mon acteur préféré disparu il y a quelques jours à l'âge canonique de 103 ans, ma femme m'a donc fusillé du regard. Mais mal lui en a pris, car elle a fini le film à mes côtés, tout sourire, m'affirmant avoir trouvé là son film de guerre préféré. Merci qui ? Merci Kirk.
Et pour cause. De la guerre comme action il n'est pratiquement pas question dans ce film, et le seul combat filmé oppose durant trente secondes environ, dans un affrontement inégal et donc vite plié, deux avions de chasse américains dernier cri (Grumman F-14 Tomcat) à deux Zero (Mitsubishi A6M) de l'armée de l'air japonaise. Couac ? Anachronisme grossier ? Que dalle. Cette rencontre improbable est au cœur du film, Nimitz, retour vers l'enfer (pour rappel), curieux mélange de film de guerre et de science-fiction. En effet, dès le début du film, le porte-avion nucléaire USS Nimitz (on ne se lasse pas de ce nom, This is the USS Nimitz, where the hell are we ?!), qui vient d'embarquer à son bord un 6001ème passager, civil campé par Martin Sheen, et exécute une patrouille de routine dans le Pacifique, se trouve confronté en pleine mer à une terrible tempête électromagnétique. Tout l'équipage se tord de douleur quelques secondes puis plus rien n'y paraît. Sauf que le vaisseau tout entier et son équipage viennent de tomber dans un trou noir, un précipice spatio-temporel, un gouffre obscur et sans fond à côté duquel la fosse des Mariannes passerait pour un vulgaire nid-de-poule, suffisamment gigantesque pour avaler un porte-avion nucléaire et ses 102 appareils tout rond, cavité de dingue représentée sur l'affiche du film (voir ci-dessus) par la légendaire fossette au menton de la star Douglas. Tous les membres de l'équipage passeront le reste du film à regarder le commandant dans le menton plutôt que dans les yeux, toisant cet abîme insondable, responsable de leurs malheurs.
Or nos matelots se retrouvent déplacés le 6 décembre 1941, la veille de l'attaque de Pearl Harbor, à quelques kilomètres des côtes américaines. A force d'indices, les hommes du bord doivent se rendre à l'évidence : ils ont voyagé dans le temps. En effet, la radio diffuse les dernières nouvelles concernant l'avancée de l'Armée du Troisième Reich (saviez-vous qu'il s'agit de l'autre nom de l'Allemagne nazie ? Je l'ai appris hier soir) ; un avion de reconnaissance prend en photo Pearl Harbor et la photo correspond parfaitement - noir et blanc et cadrage au millimètre près, ce qui n'a aucun sens - à une photo d'époque avec les navires de l'époque avant qu'ils ne soient coulés par l'aviation nippone ; etc. Mais il faudra que le commandant interprété par Kirk Douglas voie sur son radar toute la flotte japonaise en mouvement vers lui et constate que des Zero sont en train de mitrailler ses pilotes pour accepter l'idée. Quand il débarque enfin, son sang ne fait qu'un tour et il décide d'intercepter toute la flotte et toute l'armada aérienne de l'ennemi à lui tout seul, sans prévenir Pearl Harbor, bénéficiant il est vrai d'un léger atout technologique sur l'adversaire. C'est alors que le civil du bord, Martin Sheen donc, s'interpose et brandit l'argument massue de la fameuse faille spatio-temporelle : qu'advient-il du monde connu si la défaite de Pearl Harbor n'a pas lieu ?
Les hommes du Nimitz ont déjà potentiellement foutu la merde dans leurs bouquins d'Histoire en sauvant le sénateur Chapman (Charles Durning) et sa brillante secrétaire (Katharine Ross), alors en balade sur un yacht, des mitrailleuses d'un Zero. Chapman, qui avait annoncé l'attaque japonaise, devait mourir là, mais était pressenti pour s'opposer à Roosevelt aux prochaines élections et devenir président des États-Unis. Quid donc de l'histoire du pays si le sénateur reste en vie ? Fort heureusement, il finit par mourir dans un hélicoptère qui devait le mettre à l'abri. Fort heureusement aussi, alors que le commandant du Nimitz avait envoyé tous ses avions faire des confettis des Zero japonais, une nouvelle tempête électromagnétique se lève qui remporte le porte-avion, ses occupants et ses chasseurs en 1980. Strictement rien ne s'est passé. Au final, à peine le dilemme moral s'est-il posé au commandant (qui finira le film en qualifiant le personnage de Martin Sheen de "real pain in the ass", surnom qui collera à la peau de l'acteur toute sa vie), que tout le monde rentre chez soi : l'attaque et la défaite américaine de Pearl Harbor auront bien lieu, le sénateur Chapman sera bien mort, et ma femme ravie de n'avoir eu à subir quasiment aucun éclat d'obus en stéréo dulby surround.
Seuls trois personnages ont réellement été impactés par cette échappée belle : le second du commandant (qui aurait dû regagner les années 80) et la secrétaire de Chapman (qui aurait dû mourir), finissent sur une île déserte et réapparaissent à la fin du film âgés de 40 ans de plus ; mais aussi le chien de la secrétaire, qui, quant à lui, après avoir été sauvé de l'épave du yacht, a fait un bon de 40 ans dans le futur et sera donc certainement le premier de sa race à vivre au-delà de 50 ans, soit la bagatelle de 350 piges en années de chien. C'est donc un bien drôle de film auquel nous avons affaire ici, dans lequel il ne se passe pour ainsi dire rien. Je ne reviendrai pas sur la genèse de ce scénario pour le moins atypique car après avoir lu la phrase qui suit sur wikipédia, j'ai décidé de me retirer du monde et de me faire stylite, le cul juché sur une colonne : « Il s’agit de l’adaptation du roman homonyme de Martin Caidin, paru en 1980, une novélisation du scénario du film, lui-même inspiré du roman Les Guerriers de l'apocalypse (Sengoku jieitai) de Kōsei Saitō (1979). » Hein ?
Nimitz, retour vers l'enfer de Don Taylor, avec Kirk Douglas, Martin Sheen et Katharine Ross (1980)
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