25 février 2018

Stronger

Au fil des ans, un lien secret et étrange s'est noué entre David Gordon Green et moi. Sans le vouloir, en cherchant parfois même à les éviter, j'ai pratiquement toujours fini pieds et mains liés devant ses films. Notre histoire avait bien commencé grâce à L'Autre Rive, que je considère toujours comme son chef d’œuvre, puis c'est allé de mal en pis... Le cinéaste natif de Little Rock, véritable caillou dans mes petits souliers de cinéphile, m'a systématiquement déçu alors que le destin s'acharne à toujours le placer sur mon chemin. Dernièrement, ce sont deux invitations pour Stronger, arrivées mystérieusement par la poste, qui ont prolongé le sort. Un film sur un pauvre gars qui a perdu ses jambes lors de l'attentat de Boston en 2013 ? A priori, rien de très sexy, d'autant plus quand on a déjà subi les gros sabots que peut parfois chausser David Gordon Green (souvenez-vous du traumatisant Snow Angels...).




Vie de blogueur ciné oblige, je n'avais cependant guère le choix. Il me fallait honorer ces maudites invitations. J'allais donc voir Stronger en traînant les pieds, bravant le froid et la pluie, la tête enfoncée dans les épaules, persuadé que David Gordon Green tomberait encore dans tous les travers pour nous livrer un bon gros mélo bien lourdingue, porté par un acteur capable du pire et rêvant d'un Oscar. Ces a priori si négatifs m'ont-ils permis de franchir l'obstacle Stronger avec une telle aisance ? Peut-être... Assez rapidement, en tout cas, mes pires craintes ont été levées. Et au bout du compte, force est de constater qu'avec un tel sujet et une telle histoire à raconter, David Gordon Green s'en tire pas si mal, voire assez bien. Stronger fait clairement partie de ce que le réalisateur a fait de mieux !




Un Jake Gyllenhaal amaigri et surmonté d'une tignasse rappelant Shaun le Mouton incarne donc Jeff Bauman, une des 267 victimes du double attentat qui frappa le marathon de la ville de Boston le 15 avril 2013. Sauvé de justesse par un chicanos de passage (ah, l'Amérique...), Jeff Bauman se réveille à l'hôpital, amputé des deux jambes mais érigé en héros par tous les médias américains et la population bostonienne. Il se rabiboche avec sa petite-amie (agréable Tatiana Maslany) mais aura bien du mal à gérer cette relation et à assumer son nouveau statut...




D'emblée, on sent David Gordon Green inspiré par son sujet, réellement intéressé par ses personnages, tous traités avec respect, quand bien même il s'agit d'une bonne femme alcoolo un brin casse-couille (la mère du malheureux). Dès les premières scènes, il filme Jeff Bauman avec attention, douceur. Heureuse surprise, Jake Gyllenhaal n'en fait pas des caisses et s'avère même très crédible dans un rôle qu'il semble avoir pris au sérieux. Une nomination à l'Oscar n'aurait guère été volée. Il joue ici un jeune adulte qui vit toujours chez sa mère, qui a vraisemblablement du mal à grandir, et que l'attentat va encore davantage affaiblir. Le cinéaste évite certains écueils très redoutés, sait faire preuve de cette pudeur essentielle pour ne pas agacer tout le monde, et signe finalement un mélo tout à fait honnête compte tenu des thèmes abordés, très chers au fameux "cinéma américain post 11-septembre". En réalité, le film de DGG profite beaucoup de cette comparaison. Au milieu de tous les drames intimistes merdeux, inspirés ou non d'histoires vraies, qu'a produit Hollywood et ses environs depuis plus de 10 ans, Stronger s'avère carrément recommandable. Et face aux énièmes variations du vieil Eastwood sur le thème du héros américain, il passe même pour un sommet d'intelligence et de finesse...




DGG met en scène des personnages plutôt attachants (la bande de potes de Bauman), auxquels nous n'avons aucun mal à croire, en proposant même quelques passages où l'humour est de mise et fonctionne assez bien (la beuverie qui se termine par un Jeff Bauman au volant d'une voiture avec son pote maniant tant bien que mal les pédales à la main). DGG ne tombe pas dans les clichés, il réussit par exemple à nous faire ressentir de l'empathie pour la mère du héros, personnage de loin le plus risqué et problématique du lot. Il désamorce des scènes que l'on redoute par avance (l'accrochage tant attendu entre la maman et la girlfriend venue vivre avec eux) et les réussit assez bien quand elles s'imposent enfin à lui (le flashback où l'on revit l'attentat, à l'efficacité indéniable et dénué d'effet superflu). Il s'avère plutôt habile quand il nous dépeint cette Amérique traumatisée et déboussolée par les attentats successifs, par la guerre en Irak et compagnie, désespérément en quête de héros et recroquevillée sur ses valeurs.




S'il en fait un peu trop dans la dernière partie et perd de vue cet équilibre sur lequel il tenait miraculeusement, DGG s'en tire tout de même avec les honneurs. L'objectif est accompli : on ressort du film soulagé d'avoir encore l'usage de nos deux guiboles. Me voilà donc réconcilié avec David Gordon Green au moment le plus opportun puisqu'il est actuellement en train de tourner la suite de l'un de mes films cultes, Halloween, de mon idole John Carpenter. Le rendez-vous est cette fois-ci bel et bien fixé. Comme toujours, je l'attendrai au tournant. 


Stronger de David Gordon Green avec Jake Gyllenhaal, Tatiana Maslany et Miranda Richardson (2018)

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