9 janvier 2018

Brawl in Cell Block 99

C'est peu de dire que l'on attendait avec impatience le nouveau film de S. Craig Zahler, lui qui avait déjà laissé entrevoir de si belles et précieuses qualités dans son premier long-métrage, le western horrifique Bone Tomahawk. Le cinéaste, dont l'ambition n'est visiblement pas de plaire à tout le monde, persévère dans le cinéma de genre : il signe avec Brawl in Cell Block 99 un film de prison particulièrement violent et âpre, en s'affirmant même encore davantage dans la série b (rien de péjoratif ici), louchant du côté du cinéma d'exploitation des années 70 et donnant presque à son dernier bébé des allures de film "grindhouse" pleinement assumées. Brawl in Cell Block 99 nous propose d'assister à la descente aux enfers d'un personnage impressionnant et impassible campé par un Vince Vaughn que l'on avait tout simplement jamais vu comme ça. L'acteur, capable d'évoluer dans tous les registres, incarne ici Bradley Thomas, un grand costaud au crâne rasé et tatoué d'un énorme crucifix, fier d'arborer un drapeau américain devant sa porte.





Si vous comptez voir le film, vous pouvez peut-être zapper ce paragraphe, mon bref résumé de l'intrigue. S. Craig Zahler prend encore une fois son temps pour développer son scénario et dévoiler ses cartes ; j'ai découvert le film en n'en sachant rien et c'était d'autant plus appréciable ! Première scène : Bradley Thomas (Vince Vaughn donc) se fait licencier puis apprend, en rentrant chez lui, que sa femme (Jennifer Carpenter) voit quelqu'un d'autre. Malgré cela, le couple décide de se donner une deuxième chance en essayant de nouveau d'avoir un enfant, tandis que Bradley gagnera sa vie en transportant de la drogue pour son pote Gil (Marc Blucas). 18 mois plus tard : Bradley est devenu un homme de confiance pour transférer la came et vit dans une belle et grande maison avec sa femme qui est à 3 mois d'accoucher. Hélas, suite à un transfert de drogue qui a mal tourné (excellent passage à la tension palpable), il se retrouve en prison moyenne sécurité (vous saisirez la nuance...). Une fois incarcéré, un mystérieux visiteur (Udo Kier) apprend à Bradley que sa femme est menacée et celui-ci n'a d'autre choix que de provoquer son transfert en prison haute sécurité pour mettre la main sur un autre détenu afin de sauver sa famille.





Âmes sensibles, s'abstenir ! Le nouveau film de Craig S. Zahler est particulièrement tendu, proposant même quelques éclats visuels d'une violence sans concession dans sa dernière partie, tout à fait à l'image de son précédent long métrage, Bone Tomahawk, qui, après une lente et longue construction, nous proposait une conclusion brutale et gore. Ces images choc, ces détails sordides, participent ici à l'espère d'humour très particulier du film, présent tout le long. Dès les premières minutes, une tension sourde suinte de l'écran, parfaitement véhiculée par le colosse Vince Vaughn qui met ici toute sa carrure (il mesure près de 2 mètres et là, ça se voit !), sa présence physique, au profit d'un personnage calme, à la rage contenue, mais que l'on sent susceptible d'exploser à tout moment. A l'image, S. Craig Zahler choisit de donner un teint bleu-gris à ses scènes d'extérieur de jour, un choix a priori discutable mais efficace puisque l'on a d'emblée une sensation d'enfermement, augurant de l'avenir tout tracé du personnage principal. On suit Vince Vaughn de très près et quand Zahler le filme de dos, on repense inévitablement à Mads Mikkelsen dans l'excellent deuxième volet de la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn, dans lequel l'acteur danois avait également la boule à zéro avec un tatouage, "RESPECT", plutôt ironique là aussi, gravé à l'arrière du crâne. Clin d’œil volontaire ou non, on ne peut pas trop l'affirmer, une chose est sûre : les deux films déploient une intensité similaire et ne dévient jamais de leur sombre ligne, dressant le destin d'un homme irrémédiablement poussé dans les ténèbres (avec une issue bien plus heureuse chez NWR).





L'ambiance à couper au couteau de Brawl in Cell Block 99 est donc particulièrement lourde et réussie. S. Craig Zahler atteste des mêmes qualités que dans l'excellent Bone Tomahawk. Il y a là un talent rare pour faire exister des personnages, pour écrire des dialogues soignés (je pense notamment à l'interrogation policière avant la première incarcération, avec nombre de répliques bien trouvées, parfois même trop écrites et préparées), pour prendre son temps à développer et construire patiemment son film afin de mieux préparer aux scènes marquantes. Le réalisateur gère en effet parfaitement ses temps forts et ses moments plus tranquilles. Il se révèle un cinéaste d'action hors pair, filmant étonnamment bien les bagarres, à des années lumière du pénible surdécoupage en vogue dans la plupart des productions actuelles. Chez lui, la violence est sèche, brutale et expéditive. Ces scènes, toujours très lisibles, diffusent une adrénaline contagieuse et nous cramponnent à nos fauteuils. Vince Vaughn, très intimidant, y est d'une efficacité redoutable. On ne sait pas s'il a fallu beaucoup d'entraînement à l'acteur mais le résultat à l'écran est bluffant, fluide et naturel. On a mal pour ceux qui croisent sa route, les bruitages de membres fracturés sont d'ailleurs éprouvants (on se souvient qu'un soin particulier avait également été apporté à la bande son glaçante de Bone Tomahawk). Notons aussi que le casting nous propose quelques agréables surprises, avec deux tronches bien connues que l'on est contents de revoir : Don Johnson, parfait en directeur de prison à poigne, le cigare au bec, et le revenant Udo Kier, glacial dans un rôle indiqué au générique comme celui du "placid man" qui lui va évidemment comme un gant.





Dès lors que Vince Vaughn met les pieds dans sa première prison, nous nous sentons coincés avec lui pour sept longues années de taule. A travers quelques petits détails bien choisis, Zahler semble nous décrire de façon réaliste l'univers carcéral jusqu'à ce que son film prenne une tournure "bis" plus franche quand le personnage débarque à Redleaf, la prison haute sécurité réservée aux plus dangereux détenus. Le film, qui se tenait jusque-là très bien, délaisse alors un peu en cohérence (nous avons un peu plus de mal à y croire) ce qu'il gagne en termes de sensations fortes. En quelque sorte, Zahler paraît abandonner le réalisme et l'ambiance pour l'action et l'effroi, insistant sur le calvaire de son personnage et montant la violence de quelques crans. Brawl in Cell Block 99 s'effiloche encore un chouïa dans sa conclusion, quand bien même celle-ci nous scotche encore plus à notre fauteuil, à l'image de Bone Tomahawk, qui faiblissait quelque peu sur sa fin. Il est d'ailleurs amusant de constater à quel point les deux films se ressemblent, nous proposent un parcours similaire, sans pour autant donner l'impression de se répéter.





Au bout du compte, même si le film a de menus défauts et s'effrite quelque peu dans son dernier tiers, on ne peut que saluer de nouveau le travail d'orfèvre de S. Craig Zahler, qui nous a une fois de plus mis au tapis et confirme tous les espoirs placés en lui. Nul doute que l'on tient là l'un des films les plus terribles de l'année passée, "terrible" dans tous les sens du terme : on en ressort assez secoué, sous le choc, chancelant. L'artiste multi-facettes qu'est Zahler (il a écrit quelques polars, dont certains sont parus chez Gallmeister, et il est un musicien confirmé qui a composé lui-même les excellents morceaux qui constituent la BO du film) est actuellement en train de finir de mettre en boîte son prochain film, Dragged Across Concrete, dont il a bien sûr signé le scénario. Un nouveau thriller où Vince Vaughn partagera l'affiche avec nul autre que Mel Gibson. Connaissant le potentiel colérique de la star sur le retour, on a vraiment HÂTE de voir le résultat ! En attendant, S. Craig Zahler entre définitivement dans mon panthéon personnel. Il l'ignore mais il a un pied-à-terre assuré dans un joli coin du Sud de la France...


Brawl in Cell Block 99 (Section 99) de S. Craig Zahler avec Vince Vaughn, Jennifer Carpenter, Don Johnson, Udo Kier et Marc Blucas (2017)

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