5 février 2019

Une Pluie sans fin

Dès les premières minutes, Dong Yue m'a mis dans sa poche. Pour sa sortie de prison, le personnage principal doit donner son nom à l'administration : Yu Guowei. Pour aider la secrétaire à l'orthographier correctement, il indique qu'il s'écrit comme les mots "vestige", "glorieuse" et "nation". Tout un programme, assez lourdement mais efficacement asséné d'entrée de jeu par un réalisateur aux prétentions claires, avançant à découvert. Ensuite, par le montage, le plus simplement et délicatement du monde cette fois-ci, Dong Yue nous fait faire un bond de vingt ans en arrière. Sortant mollement de l'enceinte de la prison, le regard vide, désabusé ou nostalgique, Yu Guowei se retourne littéralement vers son passé et se revoit, en 1997, à l'époque où il était encore responsable de la sécurité d'une grande usine de raffinerie. Son histoire sera bien sûr intimement liée à celle de son pays. De 2017 nous arrivons donc en 1997, une année de transition économique qui fut aussi celle de la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Un tueur en série sévit dans la région, des cadavres de jeunes femmes sont régulièrement retrouvés aux alentours de l'usine. Aimant jouer au détective et voulant prêter main forte aux policiers, Yu Guowei va faire du zèle et s'intéresser de très très près aux investigations, jusqu'à en faire une véritable obsession. Nous suivons donc son enquête, menée sous cette pluie continue qui s'abat alors sur le sud de la Chine et qui participe grandement à nourrir cette atmosphère lourde, de transition sale, que nous ressentons immédiatement (et qui suffit semble-t-il à faire des comparaisons avec le Seven de David Fincher...).





Par sa manière de mêler les registres et d'associer la petite histoire à la grande au cours d'une enquête qui deviendra l'idée fixe du personnage principal, le premier long métrage de Dong Yue n'est pas sans rappeler l'excellent Memories of Murder de Bong Joon-Ho. Une association évidente et délicate tant le film de Bong Joon-Ho se présente désormais comme un sommet du genre, mais que Dong Yue soutient sans souci. Certaines scènes apparaissent même comme des miroirs du fameux modèle, comme par exemple ce passage assez comique durant lequel Yu Guowei reproduit l'une des scènes de crime avec son fidèle assistant, n'hésitant pas à mettre ce dernier dans de vilaines postures. Ce rapprochement naturel ne gâche en rien la découverte d'Une Pluie sans fin, polar racé et captivant qui parvient puissamment à nous faire partager le caractère obsessif que prend l'enquête pour un homme sympathique auquel nous nous attachons très vite aussi. Dans le rôle principal, Duan Yihong est parfait et marque avec une belle subtilité l'évolution de son personnage, partant d'un enthousiasme simple et spontanée pour l'enquête jusqu'à une obsession quasi autodestructrice et malsaine. La performance riche en nuances de l'acteur et le traitement intelligent réservé à son personnage permettent au film de Dong Yue, dont la grande ambition aurait pu avoir l'effet inverse et s'avérer écrasante, de fonctionner à petite et grande échelle. Une vraie prouesse.





Après une première heure accrocheuse et séduisante, qui culmine lors d'une superbe scène de course poursuite à pieds dans les dédales de l'usine, le film de Dong Yue ralentit son rythme et on pourrait presque parler d'un ventre mou. C'est la construction plutôt atypique du récit qui veut cela : Yu Guowei fait du surplace, s'enfonce dans sa quête obsédante, et nous trinquons avec lui. Nous comprendrons plus tard qu'il y a quelque chose de tout à fait logique dans le fait que la course poursuite centrale apparaissent finalement comme un tournant crucial dans l'enquête. Alors que l'on pourrait s'attendre à ce que l'intrigue ne trouve aucune résolution, la fin, et le retour en 2017, amène les réponses espérées. Si cette conclusion, apportant donc son petit lot de révélations, est peut-être un brin maladroite, et malgré cette légère baisse de régime en cours de route, l'ensemble emporte tout de même haut la main notre adhésion. Pour son premier film, Dong Yue fait forte impression. Une Pluie sans fin fait sans doute partie des meilleurs polars venus d'Asie ces dernières années et nous suivrons de très près la suite de la carrière d'un cinéaste ambitieux et déjà accompli.


Une Pluie sans fin de Dong Yue avec Duan Yihong et Jiang Yiyan (2018)

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