13 mars 2018

Thelma

Thelma n'est que le quatrième long métrage de Joachim Trier, cinéaste norvégien révélé aux yeux du grand public en 2011 par l'excellent Oslo 31 Août, et qui n'a, depuis, jamais véritablement transformé l'essai. Il s'aventure cette fois-ci sur le terrain particulièrement glissant du thriller psychologique teinté de surnaturel, un genre bien balisé et trop souvent propice aux divagations ratées d'auteurs illuminés qui cherchent à ajouter une ligne indispensable à leur CV et nous en mettre plein la vue. C'est bien ce que l'on pouvait craindre compte tenu de l'accueil plutôt tiède réservé à ce film à sa sortie, en septembre 2017. A l'époque, l'un de nos plus estimés pigistes, échaudé par une séance proche de la torture, avait même débarqué en fureur dans les bureaux de la rédaction, dénonçant avec véhémence l'arnaque Joachim Trier et faisant d'Oslo 31 Août un "coup de chance" inexplicable. Dès le générique d'ouverture de Thelma, il y a effectivement de quoi prendre en grippe le réalisateur et se motiver à l'attendre au tournant, le couteau entre les dents : musique symphonique grandiloquente, titre apparaissant progressivement au renfort d'un clignotement épileptique... On se demande bien à quelle sauce nous allons être mangés et combien de temps on va seulement tenir devant ça. Et pourtant, immédiatement, Thelma intrigue et captive. Dès la scène introductive, premier flashback sur l'enfance du personnage éponyme, où nous voyons une petite gamine, partie à la chasse avec son père, qui ignore que celui-ci la tient en joue dans son dos, hésitant à appuyer sur la gâchette. Étonnante entrée en matière...





Nous suivons ensuite les premiers pas à l'université de Thelma, qui a bien et joliment grandi puisqu'elle est incarnée par la sublime Eili Harboe. Débarquée à Oslo et venue de la campagne, Thelma a du mal à se faire des amis, à sortir de l'emprise de ses parents, trop protecteurs et religieux. Alors qu'elle découvre son homosexualité, tombée sous le charme de l'une de ses camarades, elle est également sujette à des sortes de crises d'épilepsie qui semblent reliées à d'étranges pouvoirs surnaturels. Thelma décide alors de se faire analyser et soigner... Voici pour le pitch et comme vous pouvez le constater : rien de véritablement neuf ici, une désagréable impression de déjà vu menace, tout comme celle d'avoir de nouveau affaire à un énième film où un cinéaste s'intéresse à la féminité à travers le fantastique via des métaphores peu finaudes et usées, dans une démarche bien intentionnée mais peut-être très masculine. Thelma est en réalité à situer quelque part entre Carrie, L'Exorciste et ces films fantastiques, plus européens, tel Requiem, qui choisissent de traiter de manière réaliste les cas de possession et autres événements a priori surnaturels en les reliant à la maladie mentale. On pense également à M. Night Shyamalan pour cette façon d'aborder très sérieusement le fantastique en s'appuyant sur une mise en scène particulièrement léchée (la musique, assez présente et pompeuse juste comme il faut, m'a aussi rappelé celle, mémorable, d'Incassable). Malgré les nombreuses références qui nous viennent à l'esprit, Joachim Trier parvient miraculeusement à trouver un ton singulier, un équilibre fragile, qui lui permet de maintenir son film du bon côté, de ne pas nous perdre ni de basculer dans le n'importe quoi.





Rappelons que dès le premier long métrage de Joachim Trier, le trop tordu Reprise, on pouvait noter un côté "m'as-tu-vu" évident, un maniérisme susceptible d'irriter les plus sensibles, et la volonté, trop claire, d'impressionner son petit monde. Encore très chiadé, Thelma pourra en laisser quelques uns sur le bas-côté. Mais c'est bien dommage, car nous tenons là un film fantastique qui a de l'allure, ce qui est rare et précieux. Plus essentiel encore, on y retrouve la douceur du regard porté sur la jeunesse, sur ces adultes en devenir, qui se cherchent et s'affirment, que l'on découvrait dans le très beau Oslo 31 Août. On sent aussi que Joachim Trier aime particulièrement filmer son actrice et on le comprend : Eili Harboe, très justement récompensée du prix d'interprétation féminine au Festival international du film de Mar del Plata 2017, est d'une beauté naturelle et d'une grâce étonnantes. Elle est la grande attraction du film, son plus évident atout et son meilleur effet spécial. Car des effets spéciaux, il y en a aussi : les scènes de crise sont propices à cela, ils sont alors minimalistes mais très visuels, servant toujours le récit. On pourra simplement regretter l'apparition de ce serpent en CGI : quelle fâcheuse habitude d'utiliser les images numériques pour les animaux peu commodes quand une véritable bestiole, en chair et en os, aurait eu un bien meilleur effet (on a cependant déjà vu bien pire dans le genre : rappelez-vous de la biche toute lisse de 3 Billboards et du grizzly trop propre sur lui de The Revenant).





Au sein d'un film au rythme tranquille, prenant son temps, Joachim Trier glisse quelques scènes plus tendues et très réussies qui figurent dans le haut du panier de ce que l'on a vu, ces dernières années, en matière de fantastique et de surnaturel à l'écran. Je fais ici tout particulièrement allusion à cette scène dans la piscine, lieu décidément inspirateur pour le cinéma fantastique, où Thelma se noie, attirée par le fond, comme si la gravité s'était inversée, et se retrouve prisonnière d'un enfer sombre et carrelé, avant que, via un effet très simple, tout se retourne et se remette en place pour lui permettre de refaire surface. Joachim Trier parvient alors avec grand talent à mettre en scène une peur commune. Un autre passage remarquable est celui lors duquel Thelma subit les tests cliniques. La tension est palpable et la mise en scène de Joachim Trier au cordeau. Les effets de clignotement épileptiques de la lumière, de l'image elle-même, d'ordinaire si agaçants, avaient rarement produit un résultat si convaincant et à-propos à l'image.





Malgré un symbolisme parfois trop appuyé, Joachim Trier traite des thèmes intéressants qu'il laisse à de multiples interprétations sans jamais nous laisser sur le carreau car il maintient un fil conducteur assez clair : l'affirmation d'une jeune femme, son éveil au monde. Il signe un film riche et généreux sous ses abords faussement austères et froids. On est donc loin de la coquille vide que l'on pouvait légitimement redouter ou de l'exercice de style vain et boursouflé d'un auteur désireux d'ajouter coûte que coûte un film de genre à sa filmographie. Dans sa dernière partie, le rythme peut décontenancer encore davantage. Il y a comme un flottement, un sur-place, là où l'on aurait pu attendre ou espérer une montée en régime, trop habitué que nous sommes aux schémas hollywoodiens. Thelma retourne au foyer parental, à la campagne, et Joachim Trier de se hasarder vers le drame familial pur jus. Des flashbacks qui n'entravent en rien la fluidité du récit nous éclairent quant aux origines, aux antécédents de la pauvre Thelma, victime de ses pouvoirs et du joug parental oppressant. Mais tout cela continue de faire sens et son film incite finalement à l'affirmation de soi, à sortir de tout carcan rétrograde, à s'épanouir. Nous sommes heureux qu'il nous laisse avec une jeune femme, enfin radieuse, qui a bel et bien pris son envol. Après le décevant Back Home, Joachim Trier confirme ainsi qu'il demeure un cinéaste très intéressant à suivre. 


Thelma de Joachim Trier avec Eili Harboe et Kaya Wilkins (2017)

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