28 octobre 2017

Phenomena

Rétrospectivement, on peut dire que la carrière de Jennifer Connelly a pas mal déraillé. Elle avait pourtant bien débuté. Sans parler de son apparition (dans tous les sens du terme) déjà mémorable dans l’ultime film de Sergio Leone, Il était une fois en Amérique, l’actrice américaine crevait l’écran dans le premier rôle du Phenomena de Dario Argento. Avec son visage de jeune fille modèle et ses improbables sourcils de sibylle envoûteuse, la juvénile Jennifer incarne alors la fille d’un grand acteur américain expatriée en Suisse, près de Zurich, dans un internat de demoiselles. Mais son personnage, également prénommé Jennifer, est aussi gravement somnambule, et pourrait en outre s’appeler sa majesté des mouches.





Non pas qu’elle soit l’incarnation du diable, mais l’héroïne jouit d’une connexion privilégiée aux insectes, qu’elle comprend et ressent à l’égal de la Nausicaä de Miyazaki, née sur papier en 1984, un an avant l'héroïne d'Argento. Or ce don s’avère particulièrement propice lorsque, non loin de l'internat, un tueur en série extermine des jeunes filles et semble prendre un malin plaisir à laisser pourrir les cadavres pour les côtoyer, favorisant l’apparition de mouches macabres. C’est ainsi que Jennifer s’associe au professeur McGregor (Donald Pleasance), entomologiste, collaborateur de la police criminelle, paraplégique et ami d’une femelle chimpanzé adorable.





Au-delà du scénario, plutôt original mais, paradoxalement, parfois limité (la fin du film notamment laisse un brin songeur, avec l’arrivée de l’enquêteur interprété par Patrick Bauchau puis la résolution ubuesque près du lac), Phenomena est la plupart du temps d’une grande beauté visuelle (et sonore, à condition d’apprécier les morceaux d’Iron Maiden et Motörhead qui déboulent sans prévenir et sans raison particulière en plein milieu d’une lente déambulation sans heurt de Jennifer dans la cabane du présumé assassin). De facture assez classique, pour ne pas dire sobre (à l'image de Ténèbres, le giallo tourné par Argento deux ans plus tôt), le film se compose de plans magnifiques, dépouillés de ces patchworks de néons rouges et bleus, inspirés peut-être par Les Trois visages de la peur de Mario Bava, esthétique baroque qui, poussée à son paroxysme, résume un peu vite la patte Argento, même si elle a de fait contribué à la majesté de quelques unes de ses grandes séquences horrifiques, par exemple dans le superbe Inferno.





Argento compose ici des tableaux harmonieux, pourquoi pas gracieux et lumineux — comme ces plans où Jennifer Connelly arpente la verdoyante campagne suisse en quête du tueur — en tout cas à la frontière entre merveilleux et fantastique, à l'image de ce sublime gros plan sur les yeux à demi-endormis de l'héroïne, ou bien la séquence où elle suit une luciole qui la conduit jusqu’au gant abandonné par sa camarade de chambrée victime du meurtrier, ou encore celle où, persécutée par les pensionnaires de l’internat, elle convoque malgré elle une nuée opaque et bourdonnante d’insectes volants venus la protéger et cernant le bâtiment (Jennifer n’ira pas jusqu’aux représailles de Carrie). L'oscillation entre conte merveilleux et conte d'épouvante s'étire ainsi jusqu'au surgissement tardif de l'horreur pure, et quitte à y aller fort, quand la jeune fille toute de blanc vêtue sombre dans une piscine de cadavres en putréfaction. Comme souvent avec Argento, c’est le contraste qui compte, le chavirement de la pureté présumée, sa plongée dans les entrailles du sordide, dans un film qui vaut finalement moins pour ce qu’il raconte que pour les saisissantes scènes de contes horrifiques qu'il donne à voir et à entendre.


Phenomena de Dario Argento avec Jennifer Connelly, Donald Pleasance et Patrick Bauchau (1985)

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