6 janvier 2024

The Beckoning Silence

Les amateurs de récits de survie connaissent pour la plupart Joe Simpson, cet alpiniste britannique dont la terrible mésaventure, sur les pentes d'un sommet de la Cordillère des Andes, relatée dans son livre Touching the Void, a été très largement popularisée par un documentaire du même nom, réalisé par Kevin MacDonald en 2003. Sorti chez nous sous le charmant titre La Mort suspendue, il s'agissait en effet d'un véritable survival à l'efficacité indéniable qui marqua fort logiquement les esprits et je dois bien avouer que j'en garde moi-même un souvenir assez glaçant. Je lui préfère toutefois le plus relax mais néanmoins saisissant The Beckoning Silence, diffusé quatre ans plus tard par la chaîne de télévision britannique Channel 4, qui est une autre adaptation d'un bouquin de Joe Simpson. Ce documentaire met en parallèle la propre expérience de l'auteur-grimpeur avec l'histoire tragique de la tentative d'ascension du Mont Eiger via sa redoutable face nord, en juillet 1936, par l'allemand Toni Kurz et ses trois compagnons.


 

 
C'est à Louise Osmond, une cinéaste anglaise spécialisée dans les documentaires aux étagères garnies d'Emmy Awards, que l'on doit ce film, et l'on sent un savoir-faire évident transparaître de la construction solide et rigoureuse des 75 minutes qui constituent The Reckoning Silence et défilent très rapidement. L'essentiel est là. Tous les éléments de base sont réunis pour offrir à l'amateur de film de montagnes ce qu'il espère systématiquement quand il s'enfonce dans son sofa, les doigts de pieds en éventail, et appuie sur play. Un récit limpide et précis des événements qui nous permet de comprendre tous les enjeux et le contexte particulier de cette ascension, une reconstitution soignée et d'un réalisme indiscutable où les acteurs s'en sortent avec les honneurs, un narrateur appliqué, présent juste ce qu'il faut, dont la voix et la diction confèrent au film une ambiance singulière et, surtout, un seul intervenant, et le bon, plutôt qu'une multitude, impliqué à fond, passionné, et toujours agréable à écouter, en la personne de Joe Simpson himself.



 
 
Ce Joe Simpson m'a décidément l'air sympathique. On ne lui en veut même pas quand, à la toute fin du film, il jette un mégot dans la neige, tel un cowboy des alpages, avant de s'éloigner vers des lendemains moins escarpés. S'il peut encore mieux faire écologiquement parlant, il atteste en tout cas d'une certaine éloquence à l'oral. Sans jamais en faire des caisses, en dégageant simplement une belle sincérité et en choisissant les mots justes, il partage sans pudeur sa passion pour les hauteurs, sa fascination pour la destinée cruelle de Toni Kurz (il faut dire qu'il n'est pas passé loin de la vivre aussi !), et il nous permet parfaitement de saisir ce lent cheminement qui l'a amené à définitivement abandonner le piolet pour la plume. En l'écoutant, nous ne doutons pas que ses romans doivent également être captivants. C'est une photographie de Toni Kurz, tout sourire avant d'attaquer un sommet, éclatant de vie et de jeunesse, qui a motivé Joe Simpson à devenir alpiniste. C'est le roman tiré de cette tentative d'ascension du Mont Eiger, The White Spider de Heinrich Harrer, qui l'a profondément marqué et intimement lié à cet homme, Toni Kurz, et peut-être permis, quelques années plus tard, de trouver les ressources nécessaires pour lutter, quatre jours durant, pour sa vie, au fin fond d'une crevasse, perdant un tiers de son poids, la jambe cassée, parvenant à ramper miraculeusement jusqu'au camp où l'attendait son acolyte, celui-là même qui avait dû couper sa corde pour se sauver lui.



 
 
The Reckoning Silence parvient ainsi à mêler deux destins, deux trajectoires, l'une brutalement interrompue, l'autre miraculée, qui se reflètent dans la glace d'une paroi rocheuse impossible. Il relie le présent intime de Joe Simpson à l'histoire quasi légendaire du Mont Eiger, peut-être le plus mythique sommet des Alpes, dont la situation atypique fait de lui le théâtre de tous les dangers offert aux observateurs, nichés sur le balcon de la station de ski en contrebas. L'alpiniste et survivant de l'impossible devenu écrivain à temps plein revient sur les lieux, quitte à affronter ses propres démons, pour nous expliquer méthodiquement chaque étape qui a mené ce petit groupe d'allemands, fringants et brillants grimpeurs, vers une mort inévitable. La fascination de Joe Simpson est contagieuse bien que son expression soit des plus posées, presque didactique. Il s'avère être un excellent storyteller quand il nous raconte les événements de 1936, et il se montre humble et authentique quand il se livre à nous face à la caméra et évoque ce que recherche un alpiniste quand il se lance dans une telle entreprise, ce qui pousse un homme vers ces folies verticales pour l'extase unique du sommet.



 
 
Si le récit de l'échec mortel de Toni Kurz et sa bande permet le développement d'un suspense particulièrement opérant, il n'y a rien qui met mal à l'aise à cela, tant The Reckoning Silence se présente avant tout comme un film qui honore la mémoire des disparus et donne l'impression qu'il ne triche jamais, grâce à la simplicité et à la franchise de Joe Simpson, une personnalité attachante que révèle avec sobriété Louise Osmond. Tout cela fait de ce documentaire une vraie et notable réussite du genre, qui vous captive du début à la fin et finit même par vous scotcher à votre fauteuil, vous laissant un peu KO, meurtri par le sort cruel de Toni Kurz. Une œuvre infiniment plus recommandable que le film très moyen réalisé par Philipp Stölzl en 2008 que l'histoire du grimpeur allemand a aussi inspiré (en étant pour l'occasion quelque peu modifiée, à des fins dramatiques discutables et, comme le prouvent Simpson et Osmond, tout à fait dispensables). 
 
RIP TONI KURZ, ANDREAS HINTERSTOISSER, WILLY ANGERER ET EDUARD RAINER à jamais dans nos cœurs.
 
 
The Beckoning Silence de Louise Osmond avec Joe Simpson, Roger Schäli, Simon Anthamatten, Andreas Abegglen et Cyrille Berthod (2007)

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