Le premier long métrage de fiction de Vittorio De Seta est ressorti
cet été dans une belle version restaurée. Primé au festival de Venise
62 comme meilleur premier film, Bandits à Orgosolo est loin
d'être véritablement le premier fait d'armes de son auteur, plus connu pour ses
nombreux courts métrages documentaires
réalisés à partir de 54 dans le sud de l'Italie, qui valent le
détour. On retrouve cette inspiration dans le premier long de Vittorio
De Seta, qui débute d'ailleurs en se donnant les airs d'un strict document,
avec une voix off expliquant la rude vie des bergers dans la Barbagia,
les montagnes de Sardaigne, leur coupure presque totale d'avec les
affaires courantes du monde et leur statut de quasi hors-la-loi par
essence, leur vie se déroulant en dehors de la société civile, avant qu'ils ne deviennent éventuellement hors-la-loi par le fait, quand la nécessité ou les contrôles des carabiniers poussent certains
d'entre eux à effectivement devenir bandits (à la manière des
klephtes grecs ou des haïdoucs de Roumanie, contraints au crime par
résistance à un pouvoir spoliateur, et pour subsister).
Puis le film se rapproche un peu du cinéma direct d'un Jean Rouch, quand De Seta fait jouer à de vrais bergers
leur propre rôle, tout en leur demandant d'interpréter une fiction qui
pourrait aussi bien être vraie. Cette fable, d'aspect néo-réaliste, a pour personnes-acteurs-personnages Michele Cossu et son petit
frère Peppeddu Cossu, bergers sardes pris malgré eux dans un règlement
de comptes entre des carabiniers et des voleurs de cochons et contraints de s'exiler dans les hauteurs montagneuses pour échapper aux
représentants de la loi convaincus de leur culpabilité, dans le seul but
de sauver ce qui doit absolument l'être : leur troupeau. Le documentaire
tient alors dans la matière du film, les odeurs qu'il fait venir, de chênes, de mousse et de rocaille, de brebis,
de chapeau poissé de sueur et de chemise usée jusqu'à la trame ; ou à ces plans, que l'on aurait aimé plus nombreux
encore, sur les mains de Michele qui montrent à Peppeddu comment on fait du fromage. La fiction, mais c'est encore vérité, tient quant à elle au destin (le mot est prononcé par
Michele Cossu) implacable qui condamne d'avance cette fuite en avant des
deux frères, bien aidés par une amie du village. (La suite révèle le dénouement du récit). La beauté tient enfin à
ce que toute la tragédie porte sur le sort des brebis. Les plans où les bêtes
tremblantes, épuisées, malades, sont tassées sur le flanc de la colline, mourantes, et où Michele dit à son frère que tout est fini
puisque les bêtes ne tiendront pas et qu'il faut s'en retourner au
village, touchent au sublime.
Hasard du calendar, il
se trouve que j'ai découvert ce film en salle une après-midi juste
avant d'aller revoir pour la énième fois, en salle aussi, Le Bon, la brute et le truand. Est-ce que c'est le résultat de ce double-programme, mais je n'ai pas pu m'empêcher de voir une ressemblance entre
les fins des deux films, sortis à 4 ou 5 ans d'intervalle, qui n'ont par ailleurs pas grand chose à
voir. Dans les deux cas, des
bandits de circonstances, de pauvres diables miséreux (c'est surtout vrai pour Tuco dans le western
de Leone, brave type manifestement devenu truand pour se sortir d'une détresse totale)
finissent par se tirer dans les pattes entre eux pour survivre, et l'un
d'entre eux, les mains liées, maudit à grand renfort de cris et
d'injures son alter ego fuyant le cadre, fuyant le film, suivi en travelling, riche de
ce qu'il a pris à l'autre, mais pour combien de temps ?
Bandits à Orgosolo de Vittorio De Seta avec Michele Cossu et Peppeddu Cossu (1962)
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