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29 février 2020

Maria's Lovers

En 1985, Andreï Konchalovsky a réalisé un véritable chef-d’œuvre du cinéma d'action dont je vous ai déjà parlé ici : Runaway Train. Toujours en Amérique, il a également signé, un an plus tôt, un film plus méconnu et d'un tout autre genre mais tout aussi remarquable, Maria's Lovers. Maria, c'est Nastassja Kinski, alors au faîte de sa beauté. On comprend donc aisément que le titre soit au pluriel... Le film d'Andreï Konchalovsky s'intéresse au retour au pays d'un soldat (John Savage), traumatisé par sa longue captivité dans un camp japonais pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Une fois revenu en Pennsylvanie, son rêve est d'épouser Maria, son amie d'enfance devenue la fille la plus convoitée de la ville, mais leur histoire d'amour sera contrariée par son impuissance sexuelle.




De prime abord, Maria's Lovers rappelle étonnamment Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino. L'action se déroule à la fin des années 40 et non autour de la guerre du Vietnam, mais le cadre de l'histoire se situe également dans une petite ville ouvrière de Pennsylvanie, et plus précisément dans une communauté d'immigrés venus de Yougoslavie dont nous assistons aux rites orthodoxes. La présence de John Savage, en vétéran qui doit gérer son choc post-traumatique, renforce évidemment l'étrange parenté des deux films. Comme on pourrait légitiment le redouter étant donné la grandeur du film de Cimino, ce rapprochement ne porte pas préjudice à Maria's Lovers, le style ample et raffiné d'Andrei Konchalovsky et son casting impeccable supportent sans souci cette si flatteuse association.




Maria's Lovers est en effet un mélodrame bouleversant qui montre parfaitement l'attrait que peut exercer sur les hommes, quel que soit leur âge, une femme à la beauté exceptionnelle. Nastassja Kinski, au charme et à l'élégance sidérantes, ne laisse ici personne indifférent. Du père du soldat, incarné par un excellent et très touchant Robert Mitchum (pour une de ses dernières apparitions au cinéma), au crooner charmeur de passage en ville campé par Keith Carradine, en passant par le collègue de travail qui ne fait pourtant que croiser très brièvement la dame, tous n'ont d'yeux que pour Nastassja Kinski dont la sensualité fascinante et l'immense beauté sont parfaitement saisies par la caméra délicate d'Andrei Konchalovsky.




Le cinéaste russe traite aussi de façon très habile du traumatisme de son personnage principal, offrant sans doute l'un de ses plus beaux rôles à John Savage, impressionnant de fragilité et de sensibilité. Konchalovsky aborde le sujet rarement traité si frontalement de l'impuissance sexuelle en le plaçant au cœur d'une histoire d'amour réellement émouvante. Il montre le sentiment amoureux dans tout ce qu'il peut avoir de violent et d'absolu, un amour si fort qu'il ne peut être concrétisé, consommé. Ce soldat de retour de la guerre n'a fait que penser à Maria pour tenir le coup et survivre, se réfugiant dans ses pensées et ses rêves avec elle pour échapper à l'horreur qu'il vivait chaque jour. En associant si intimement son amour à son terrible trauma, il a malheureusement condamné le premier et fait perdurer le second.




Cinéaste talentueux à la carrière assez bizarre partagée entre la Russie et l'Amérique, Andreï Konchalovsky s'avère aussi doué et inspiré pour mettre en scène un pur film d'action qui vous scotche à votre fauteuil que pour filmer une histoire d'amour qui vous terrasse par sa déchirante beauté. Il est amusant de remarquer quelques motifs récurrents entre les deux films successifs du réalisateur, par exemple lorsque John Savage fuit la ville en montant sur les wagons d'un train de marchandise de passage et reste debout, filant dans l'horizon à la manière de John Voight dans Runaway Train. Traversé par quelques scènes et des images magnifiques et illuminé par la sensualité hors norme de la radieuse Nastassja Kinski, Maria's Lovers est un film rare qui ne laisse guère indifférent. 


Maria's Lovers d'Andreï Konchalovsky avec John Savage, Nastassja Kinski, Keith Carradine et Robert Mitchum (1984)

25 février 2020

L'Homme qui voulut être roi

L'Homme qui voulut être roi, adaptation de la nouvelle de Rudyard Kipling par John Huston, est un film sur l'amitié. Les deux personnages principaux, Daniel Dravot (Sean Connery) et Peachy Carnehan (Michael Caine), sont deux britanniques, anciens militaires et francs-maçons, décidés à conquérir un pays à eux seuls, le Kafiristan (province imaginaire de l'Afghanistan), où nul européen n'a mis le pied depuis Alexandre le Grand. Les deux hurluberlus partagent les mêmes facéties, la même légèreté, la même insolente cupidité et surtout le même panache. Ils voient les choses en grand et ne prennent rien très au sérieux. Sinon leur amitié, qui les pousse au début du film à se rendre dans le bureau de Kipling lui-même (interprété par Christopher Plummer), journaliste au Northern Star, afin de compulser cartes et encyclopédies au sujet de leur future destination, mais surtout pour le prendre à témoin (contrat et signatures à l'appui) de leur serment d'amitié : pacte de loyauté et promesse devant l'autre de ne céder aux tentations de la chair et de la boisson qu'une fois leur mission accomplie.




Bien entendu, le serment sera finalement rompu, l'un des deux bougres, Dravot, pris pour un Dieu par le peuple soumis (une flèche tirée en plein cœur finit par chance sa course dans sa médaille franc-maçonne et fait croire à son immortalité), refuse de mettre un terme à l'aventure et de rentrer au pays riche comme Crésus aux côtés de son compagnon, préférant régner pour toujours sur le Kafiristan et prendre femme, ce qui vaudra aux deux compères de strictement tout perdre et de se retrouver gros-jean comme devant, leur seule amitié retrouvée pour toute richesse. Mais en revoyant ce film récemment, outre le plaisir de suivre les aventures de Caine et Connery (dont les personnages, à l'origine, devaient être interprétés par Bogart et Gable, puis par Kirk Douglas et Burt Lancaster, Peter O'Toole et Richard Burton, Paul Newman et Bob Redford et enfin Omar et Fred — John Huston ayant préparé ce film pendant 25 ans avant de l'accoucher), deux choses m'ont profondément touché. La première, c'est la magnifique introduction, où un Michael Caine méconnaissable, défait, borgne, à moitié fou et en guenilles, débarque chez Kipling tel un fantôme pour lui raconter l'aventure de sa vie — et c'est comme si l'un des personnages inventés par l'écrivain, mystérieusement incarné, venait en personne dicter son histoire à son propre créateur. Ou Kipling en Robert E. Howard, l'auteur des aventures de Conan le barbare, qui prétendait écrire lesdites aventures sous la dictée de Conan le Cimmérien en personne, venu les lui raconter depuis un monde parallèle et le pousser à les coucher sur le papier sous la menace d'une rafale de bouffes dans la gueule. 




L'autre, c'est cette scène, qui survient relativement tôt dans le film, durant le périple des deux aventuriers vers le Kafiristan. Lors de leur traversée des régions montagneuses de l'Inde, et après bien des difficultés, les deux hommes se retrouvent soudain confrontés à un gigantesque canyon qui met un terme définitif à leur avancée. Résolus à cet échec et convaincus de leur mort prochaine, Dravot et Carnehan décident d'aller s'asseoir à l'abri d'un rocher pour tailler un dernier bout de gras et se remémorer leurs multiples aventures passées, souvenirs qui ne manquent pas de déclencher chez eux quelques rires, puis beaucoup, de plus en plus nombreux et de plus en plus généreux, jusqu'à ce que ces éclats de rire, amplifiés, répercutés et démultipliés par l'écho des montagnes, déclenchent une formidable avalanche ayant pour effet de combler la faille qui séparait nos deux larrons de leur destination. 




Sauf erreur de ma part, cette scène est absente de la nouvelle de Kipling, dans laquelle Carnehan, racontant son périple à Kipling, ne mentionne l'avalanche que comme un risque potentiel lorsque Dravot chantait à tue-tête dans la montagne, après la mort de leurs dromadaires puis des mules qu'ils avaient volées à des voleurs — Dravot répondant à sa remarque que si un roi ne peut plus chanter, que lui vaut d'être roi ? C'est donc une scène propre au film de Huston que celle où, riant une dernière fois de leurs faillites avant de mourir, les deux amis déclenchent une catastrophe qui résout leur problème et leur sauve la vie. J'ai déjà souvent parlé d'amitié au cinéma, et de rire, à propos de La Horde sauvage ou plus récemment de Zorba le grec, et peut-être me direz-vous que je fais une fixette, mais tout de même, quelle idée, et quelle scène ! 


L'Homme qui voulut être roi de John Huston avec Michael Caine, Sean Connery et Christopher Plummer (1975)

22 février 2020

Color Out of Space

Richard Stanley, Howard Philips Lovecraft, Colin Stetson, Nicolas Cage... Ces noms-là étaient faits pour se rencontrer. C'est en tout cas l'agréable impression que donne Color Out of Space, le premier long métrage réalisé par Richard Stanley depuis près de 27 ans, une adaptation de la fameuse nouvelle de H.P. Lovecraft, La Couleur tombée du Ciel, qui bénéficie de la mise en musique particulièrement inspirée de Colin Stetson et de la performance forcément débridée de l'impayable Nicolas Cage, cet acteur à l'exubérance sans équivalent dont l'arrivée dans le projet eut pour effet salutaire de débloquer sa production et de permettre enfin sa mise en chantier. Mais attention, si la réunion de ces différents noms sonne a posteriori comme une évidence et débouche effectivement sur un drôle d'objet cinématographique, tout à fait atypique et aimable, Color Out of Space est très loin d'être un chef-d’œuvre et ne pourra pas plaire à tout le monde. Éminemment sympathique et débordant de bonnes intentions, ce film réussit petit à petit par emporter l'adhésion, d'autant plus, sans doute, quand il est vu dans les meilleures conditions possibles : en ce qui me concerne, j'ai eu la joie de le découvrir à la Cinémathèque de Toulouse dans le cadre du Festival Extrême Cinéma, au troisième rang d'une belle salle bondée et remplie de spectateurs au moins aussi impatients que moi, en présence du réalisateur, qui a décidément l'air d'un type extra, venu échanger avec nous à l'issue de la séance, sous un tonnerre d'applaudissements mérité.





Assez inégal, très bizarrement foutu, souvent déconcertant, loin d'être entièrement réussi mais marqué par des fulgurances géniales, une générosité de chaque instant, des références bien assimilées, une liberté évidente et un humour de bon aloi : pas de doute possible, Color Out of Space est bel et bien un film de Richard Stanley et ce dernier n'a pas bougé d'un iota depuis que nous l'avions quitté. Tant mieux ! Le plaisir des retrouvailles avec ce cinéaste trop rare, à la patte si singulière et à la personnalité fantasque, est entier. On espère que, tel qu'il nous l'a annoncé, ce film actera bel et bien son retour et qu'il pourra enchaîner : Richard Stanley veut en faire le premier épisode d'une trilogie lovecraftienne, la prochaine nouvelle vouée à passer à sa moulinette sera L'Abomination de Dunwich, un programme réjouissant, mais fermons-là la parenthèse et revenons à nos moutons, ou plutôt, vous verrez, à nos alpagas. Color Out of Space s'avère étonnamment fidèle au récit de Lovecraft au point de reprendre les lignes les plus précieuses de l'auteur en guise d'ouverture et de conclusion, pour le plus grand plaisir des fans qui, dès les premiers mots prononcés en voix off et directement issus de la nouvelle, sont ainsi assurés qu'ils tiennent là l’œuvre d'un homme au moins autant épris qu'eux par son matériau de base. Après la brève description introductive signée Lovecraft, accompagnée de la musique d'ambiance oppressante de Colin Stetson et illustrée de quelques jolis plans des forêts profondes et mystérieuses de Nouvelle-Angleterre, le film nous présente la famille Gardner, citadins fraîchement débarqués dans la campagne d'Arkham dont le patriarche (Nicolas Cage) se lance avec enthousiasme dans l'élevage d'alpagas (!) et la mère (Joely Richardson), en rémission d'un cancer, pratique le télétravail depuis son grenier connecté. Ils sont parents de trois enfants parmi lesquels deux ados, une fille un brin gothique qui s'adonne à la magie noire et un garçon tendance geek qui aime fumer de l'herbe en douce. Tout bascule pour notre petite famille un peu trop tranquille quand, une nuit, une météorite atterrit au beau milieu de leur jardin, non loin du puits qui les abreuve en eau...





Admettons que Color Out of Space est peut-être un peu long, ou en tout cas laborieux, à démarrer. Richard Stanley n'est sans doute pas le plus à l'aise pour mettre en scène des séquences... normales. Cet homme-là doit être trop perché pour filmer efficacement les scènes d'exposition indispensables. On ne sait pas trop sur quel pied danser durant les premières minutes. Richard Stanley déploie d'emblée un ton déconcertant qui nous demande un petit temps d'adaptation nécessaire. C'est à partir du moment où tout se dérègle pour de bon que l'on peut se laisser aller complètement, goûter aux joies de l'horreur psychédélique, apprécier l'humour très particulier du film et ne plus tiquer à ses défauts évidents, qui passent alors définitivement au second plan. Les meilleures scènes sont celles qui parviennent miraculeusement à concilier cet humour très noir ou absurde à une horreur vraiment dérangeante car poussée assez loin et jouant sur différents tableaux, à la fois purement visuelle et psychologique. Le meilleur exemple de cette juxtaposition heureuse de tons qui me vient à l'esprit est sans conteste cette scène terrible durant laquelle Nicolas Cage qui, découvrant à la télé la retransmission de son interview loufoque donnée à la chaîne régionale le matin même, se plaint de la tronche qu'il se paye à l'écran tandis que sa femme prépare le repas en découpant des carottes dans la cuisine (c'est jamais une bonne idée de découper ainsi des légumes dans un film d'horreur, le couteau utilisé est toujours disproportionné et, en général, il y a au moins un doigt qui y passe...). A l'aide efficace d'une nappe sonore allant crescendo, la tension monte rapidement via un montage alterné très simple mais bien mené entre des gros plans sur le couteau se rapprochant de façon de plus en plus menaçante des doigts de la maman et des plans du salon où un Nicolas Cage, irrésistible, se lamente de son allure et plus particulièrement de ses cheveux, pour une blague tout à fait bienvenue, lui dont les drôles de tignasses qu'il arbore de film en film sont régulièrement moquées sur les réseaux. Le plus petit de la famille finira par faire le lien entre les deux actions en allant voir sa mère dans la cuisine, pour un dénouement forcément saignant. Le suspense et le comique font ici très bon ménage, ce qui place le spectateur dans une situation inconfortable et réjouissante. D'autres scènes proposent le même mélange de registres pour un effet à la fois jubilatoire et déconcertant que l'on peut tout à fait juger fidèle à l'esprit de Lovecraft tant le style paroxystique de ce dernier, se plaisant à la surenchère et volontiers excessif dans son écriture, offre bien souvent une impression identique : on peut s'amuser et trembler à la lecture de ses plus grands textes. En fin de compte, si l'on devait chipoter, la seule entorse notable à l'esprit d'HPL c'est cet exemplaire du Necronomicon, d'apparence tristounette, qui ne devrait pas pouvoir traîner négligemment dans la chambre d'une ado...





La petite famille se désintègre donc progressivement sous nos yeux sous l'influence pernicieuse de la couleur tombée du ciel, chacun tombant à sa manière dans la folie et Richard Stanley de se lâcher autant qu'il peut, avec parfois quelques loupés, certes, mais une générosité délirante telle qu'on ne peut que s'incliner et assister, béat, au spectacle amusant de la dégénérescence totale des lieux et de ses habitants. Point crucial attendu et inévitable d'une adaptation de cette nouvelle : la représentation de ladite couleur et de ses diverses manifestations. Malgré un budget très modeste, force est de constater que Richard Stanley s'en tire avec les honneurs et nous propose quelques passages de toute beauté, où l'on en prend littéralement plein la yeux et les oreilles (si cela avait été techniquement possible, nul doute que le réalisateur en aurait aussi voulu à notre odorat puisque Nicolas Cage se plaint d'une odeur répugnante dès la découverte de la météorite maudite). Stanley fait en effet le choix risqué, mais encore une fois payant, d'y aller à fond. C'est le plus souvent réussi et cela donne lieu à quelques très bonnes trouvailles, en particulier cette idée des déformations de l'image, comme si la pellicule était malmenée, aspirée, brouillée par des interférences avec l'entité extraterrestre indiscernable, ce qui culmine lors d'un final dément. La transformation progressive du paysage autour de la maison, sous l'influence néfaste de la météorite, constitue également un spectacle plaisant : la végétation est de plus en plus luxuriante avec des fleurs étranges et des lianes envahissantes qui surgissent du sol et dont les couleurs sont des déclinaisons du pourpre électrique venu de l'espace.





On est surpris aussi de découvrir progressivement à quel point le film s'enfonce dans l'horreur la plus crue. Richard Stanley, comme bien d'autres réalisateurs qui se sont essayés avant lui à l'exercice périlleux d'adapter Lovecraft (Brian Yuzna et Stuart Gordon en particulier, auxquels on peut quasiment ajouter John Carpenter si l'on prend le cinéma lovecraftien au sens large), verse carrément dans le body horror lorsque le film monte d'un cran dans l'épouvantable. Il fait alors l'heureux choix des effets spéciaux artisanaux, employés aussi souvent que possible. La plus affreuse monstruosité qui nous est montrée, que je fais attention de ne pas vous révéler pour ne rien vous gâcher et parce qu'elle est précisément indicible, prend ainsi une forme très soignée, pour un effet de dégoût garanti dont on peut de nouveau estimer qu'il se rapproche de très près de l'effet que produit la lecture des descriptions méticuleuses de l'écrivain de Providence. Au-delà de ça, l'intelligence du cinéaste est aussi d'avoir considérer l'univers lovecraftien dans son ensemble. Loin de faire partie de ceux qui cherchent d'abord à coller au plus près du récit, en allant par exemple jusqu'à le resituer dans les années 30, ou qui ignorent plus ou moins volontairement ce qui a déjà été fait au cinéma comme ailleurs à partir de cette même source d'inspiration, Richard Stanley démontre sa connaissance de Lovecraft et de son influence en ne tombant jamais dans les images attendues et déjà vues (d'où les alpagas !), et en lui adressant aussi des pieds-de-nez malins. Cela passe par des choix aussi simples qu'intelligents, comme une place assez importante laissée aux personnages féminins ou encore l'attribution railleuse du nom de l'écrivain à l'un des personnages, le narrateur (Elliot Knight), un jeune étudiant noir de l'université de Miskatonic. On note également de nombreux clins d’œil appuyés à The Thing, que Stanley doit justement considérer comme ce qui s'est fait de mieux en termes de déclinaison lovecraftienne au cinéma. Ces références n'apparaissent jamais gratuites ou simplement là pour satisfaire le spectateur et s'assurer de sa complicité, non, elles s'incluent dans une démarche cohérente et participent au fonctionnement d'un film tout à fait conscient de ce à quoi il s'attaque. 





Un mot sur l'inévitable Nicolas Cage, dont aurait légitimement pu craindre qu'il transforme le projet en une vaste farce, en une de ces séries b qu'il semble affectionner particulièrement et qu'il enfile comme des perles à son interminable filmographie. L'acteur apparaît ici comme le choix idéal, comme l'homme de la situation. Richard Stanley se sert parfaitement de lui : sa folie et son côté imprévisible sont mis au service du récit et non l'inverse (comme cela pouvait être le cas dans Mandy, autre trip horrifique psychédélique produit par SpectreVision). De manière très inattendue, Nick Cage campe un excellent personnage lovecraftien, dont la folie ou la mort sont les seules issues possibles. La star a bien quelques moments qu'il fait totalement siens, des courtes scènes où il se lâche de façon très outrancière ou des répliques peut-être improvisées qu'il sort comme nul autre ne l'aurait fait, autant de passages qui pourraient d'ailleurs trouver une place de choix dans les nombreuses compilations des coups d'éclat de l'acteur montées par ses fans qui existent déjà sur youtube, mais cela fait toujours sens avec la folie grandissante de son personnage et du film tout entier. Il y a quelques moments hilarants, qui s'ajoutent avec harmonie à la folie de l'ensemble : il faut voir Nicolas Cage servir fièrement son cassoulet à ses enfants, parler avec amour de son modeste troupeau d'alpagas, "l'animal du futur", les traire avec soin et boire leur lait. Il faut le voir péter les plombs dans sa bagnole qui ne démarre pas, "the car is not happening", goûter ses fruits pourris et les jeter rageusement, "slam dunk !", puis, d'un seul coup, retomber comme un soufflé et se montrer tendre et affectueux avec son interlocuteur incrédule. Ce type-là est au moins aussi atteint que son cinéaste. Dick et Nick, il était évident qu'ils ne pouvaient que bien s'entendre !





Richard Stanley dit avoir puisé dans son histoire personnelle, celle de sa propre famille, ce qui peut laisser songeur quand on voit ce qu'il advient de chacun d'eux à l'écran. On ne doute pas cependant de l'aspect intime de la chose tant il parvient effectivement à insuffler une part indéniable d'horreur psychologique à son film par des évocations, explicites ou implicite, au cancer de la mère. Tout ça n'est pas du chiqué. Se confiant à nous à l'issue de la projection, Richard Stanley nous a raconté que Lovecraft était l'auteur préféré de sa défunte mère, morte d'un cancer bien avant le tournage du film. Elle lui lisait les nouvelles pour qu'il s'endorme quand il était petit (on voit ce que ça a donné...) avant que, bien des années plus tard, les rôles ne s'inversent et que Richard Stanley les lui lise à son chevet, pour lui offrir un peu de réconfort. Il eut le temps d'annoncer à sa mère qu'il allait réaliser une adaptation, mais celle-ci, connaissant peut-être les nombreux projets malheureusement avortés de son fils, n'y crut pas une seconde. En y mettant autant de cœur, notre cinéaste fou a signé un vibrant hommage à l'écrivain ainsi qu'à sa mère, une œuvre riche qui porte son empreinte, reconnaissable entre mille. Alors certes, le film, branlant, cahoteux, aurait pu être raccourci et mieux construit, on se demande ainsi pourquoi le cinéaste s'éloigne régulièrement de la ferme et refuse ainsi le pur huis clos, au détriment de la tension et  de la tenue du récit. Certains personnages n'apportent pas grand chose, quand bien même ils sont au demeurant amusants (je pense surtout à Ezra, l'original qui vit dans sa cabane au fond des bois, paraît-il inspiré d'un pyrénéen qui enregistrerait les sons extraterrestres – ce que l'on a aucun mal à croire) et quelques effets spéciaux, parmi ceux réalisés en CGI, s'avèrent moins réussis. Mais au diable ces petites réserves, ce ne sont là que des bémols qui finissent complètement noyés par le généreux torrent de folie et d'horreur co(s)mique que laisse se déverser sur nous Richard Stanley, dont nous saluons le retour fracassant avec toute notre sympathie. Vivement la suite !


Color Out of Space de Richard Stanley avec Nicolas Cage, Joely Richardson, Madeleine Arthur, Q'orianka Kilcher et Tommy Chong (2019)

17 février 2020

L'Appel de la forêt

Je regardais White Dog de ce bon Samuel Fuller l'autre soir. Sacré Sam. Dans l'une des meilleures scènes de ce film, qui parle de ces chiens dressés pour attaquer et tuer les noirs aux États-Unis, et dont la vedette est un chien très impressionnant (un peu comme dans Cujo dont je parlais récemment, sauf que la gueule d'un berger allemand est au départ plus crispante que celle d'un Saint-Bernard), Fuller fait dire à ce bon vieux Burl Ives "Voilà l'ennemi !" en lui faisant tirer une fléchette sur un R2D2 géant. Dans le film, le personnage interprété par Burl Ives, dresseur de bêtes sauvages, se plaint de la mode des robots à la con qui déferlent alors sur Hollywood et le privent de son partenariat avec les Majors, lesquelles se foutent désormais de filmer des animaux de chair et de sang et préfèrent des androïdes et autres bestioles en caoutchouc, bientôt en CGI. Quand on se souvient de Burl Ives entouré de bêtes terribles et en tout genre dans le génial Wind Across The Everglades de Nicholas Ray, la scène se teinte d'une nostalgie très concrète.





Or il se trouve que le même soir je découvris la bande-annonce de la nouvelle adaptation du Call of the Wild (L'appel sauvage, plutôt que L'appel de la forêt) de Jack London, avec Harrison Ford et un chien tout en images numériques. Quelle tristesse... Non seulement la bande-annonce laisse entrevoir un film qui n'a strictement rien gardé de la beauté du texte de London (ni de la beauté de la relation qui unit Buck à Thornton, qui est une relation d'amour parfois cruelle, comme lorsque Thornton pousse Buck vers une mort certaine juste pour éprouver l'amour de son chien, scène terrible dans le livre — alors que dans le film on semble plus proche de Belle et Sébastien), mais ce chien tout en images de synthèse, proprement hideux, absolument faux à l'image, aura bien du mal à renouer avec sa part enfouie de sauvagerie... Il part de loin le pauvre.





Il me semble pourtant que s'il y a bien un animal qui existe encore en nombre suffisant pour ne pas mettre en péril la survie de l'espèce sur un plateau de tournage, et que l'on sait à peu près dresser à faire n'importe quoi, c'est le iench. Encore hier je voyais un guignol qui filmait son petit chien en train de faire de la trottinette en bas de chez moi... Mais surtout, comment ont-ils osé, pour ce film, adapté de ce livre, entièrement consacré à décrire comment l'animal sauvage ancestral ressurgit au plus profond d'un clébard de compagnie, faire jouer le chien à un crétin couvert de capteurs pour ensuite nous le dégueuler en CGI ? Je pense qui plus est avec une profonde tristesse à Harrison Ford qui a passé tout le tournage seul face caméra, et qui a dû rentrer chez lui un bras en écharpe à force de le tendre dans le vide. Fallait pas signer, vieux. 


L'Appel de la forêt de Chris Sanders avec Harrison Ford et Omar Sy (2020)

15 février 2020

Jojo Rabbit

Le plus gros problème de Taika Waititi s'appelle Taika Waititi. Cet acteur, réalisateur et scénariste venu de Nouvelle-Zélande, qui officie désormais à Hollywood, a un blaze super cool et une bonne gueule. Y'a pas à chipoter là-dessus. Regardez-le sur tapis rouge : look de dandy, bien sapé, coupe de cheveux impeccable, regard scintillant, sourire ravageur. Il a toujours la classe, il est séduisant, il a l'air sympa. On aurait presque envie d'être son pote, de le kiffer, c'est comme ça. Forcément, son image passe très bien sur les réseaux sociaux, le mec cool en toutes circonstances. Récemment, une photo de notre homme dans un couloir d'aéroport aux côtés de l'intouchable Bong Joon-Ho faisait le buzz. C'est qu'il sont trop mignons tous les deux. On a envie de se glisser entre eux, bras dessus bras dessous, de faire partie de leur bande. On en fait les meilleurs amis du monde, alors qu'ils se sont peut-être croisés deux fois. Même aux commandes d'un Marvel, Taika Waititi passe pour celui qui parvient à insuffler sa petite personnalité fantaisiste à de grosses productions sans âme. Ça passe par trois fois rien, deux trois détails comiques par-ci, une image un peu plus bariolée par-là, et hop, c'est bel et bien signé Taika Waititi, pas de doute, et Thor, pourtant toujours aussi con, retrouve une nouvelle jeunesse aux yeux des fans.




En réalité, Taika Waititi, c'est surtout du chiqué, et il n'y a qu'à zieuter ses films d'un peu plus près pour s'en rendre compte. Le dernier en date, Jojo Rabbit, est tout à son image. Le film se veut tellement mignon qu'il fout la rage. Inutile de coller un procès à Taika Waititi pour avoir fait de jolies images, "so cute", dans l'Allemagne nazie, de s'être servi de l'imagerie hitlérienne pour composer ses petits plans de décorateur appliqué, de s'appuyer sur le décorum du IIIème Reich pour alimenter son univers visuel si chiadé. C'est, au minimum, maladroit et bête. Taika Waititi croit sans doute ainsi se forger un style bien à lui mais, si c'est le cas, celui-ci est d'une affligeante pauvreté. Il est un peu le Wes Anderson du miséreux. Sa mise en scène maniérée, faite à 95% de plans frontaux très composés, est désespérément creuse, sans relief, plate, elle tourne déjà à vide. Du côté de ce ton singulier qu'il travaille même en interview et qu'il cultive de films en films depuis ses débuts, fait d'un humour tantôt absurde et pince sans rire, tantôt mignonnet et attendrissant, c'est raté aussi. Jojo Rabbit n'est pas drôle, ou si peu, et se fait surtout remarquer par sa terrible fadeur. Tout cela est tellement inoffensif, convenu, et le trait est si grossier... Quand Taika Waititi applique sa petite formule désormais bien connue à cette histoire de gamin qui, embrigadé par le nazisme au point de s'inventer comme ami imaginaire nul autre qu'Hitler, découvre que sa mère abrite en secret une jeune juive, le résultat est, au mieux, simplement embarrassant. On ne sait pas à qui s'adresse ce film ; ni aux enfants, ni aux adultes, peut-être entre les deux, qui sait...




Si le principal souci de Taika Waititi est lui-même c'est aussi parce qu'il ne peut pas s'empêcher de se mettre en scène. Il s'agissait déjà du plus gros défaut de Boy, le film dont il est le plus fier, son deuxième long métrage, le plus personnel, réalisé après le plutôt sympatoche Eagle vs Shark, où l'acteur-réalisateur, s'intéressant encore à l'enfance et à l'absence de figure paternelle, n'en finissait pas de s'admirer jouer dans le rôle d'un père farfelu. Il en fait évidemment des caisses en Adolf Hitler, pour un effet comique quasi inexistant puisqu'il nous propose l'une des plus piètres parodies du dictateur qui soient. Il gesticule énormément mais n'insuffle pas pour autant un brin d'énergie et de folie à sa minuscule satire. Évidemment, il y a peut-être un fond de vérité dans l'image clinquante que Waititi véhicule de lui-même, on ne doute pas qu'il est doté d'un certain humour par exemple. Et il y a peut-être une ou deux bonnes blagues là-dedans, mais il faut être drôlement poli et magnanime pour lui faire l'honneur de les relever. C'est une bonne réplique placée dans la bouche de ce petit garçon, mignon aussi parce qu'obèse et binoclard, inconscient des mots qu'ils prononcent le plus sérieusement du monde. C'est un agent de la Gestapo qui, voulant faire du zèle, informe son auditoire que la rumeur comme quoi Hitler n'aurait qu'un testicule est fausse, il en a quatre. Mouais... rapporter ainsi, on se rend compte que c'est putain de pas brillant non plus. Non, en réalité, Taika Waititi ne doit pas être spécialement sympa.


Jojo Rabbit de Taika Waititi avec Roman Griffin Davis, Scarlett Johansson, Thomasin McKenzie et Taika Waititi (2020)

11 février 2020

Nimitz, retour vers l'enfer

Ma femme me dit toujours : « Si tu te colles devant un film de guerre en ma présence, je me tire ailleurs », car elle ne supporte que très péniblement les bruitages inévitables des films du genre, à base de pétarades, mitraillages, torpillages et canonnades sans fin, entrecoupés de bruits d'engins ronflants et de râles d'agonie (parfois sublimes). Cet énorme foutoir, amplifié par ma barre de son calée sur le mode "Cinéma", avec les basses du subwoofer boostées au max, ont le chic pour la rendre complètement maboule, surtout quand elle essaie de bosser à côté. Je la comprends. Heureusement pour elle, je ne regarde pas beaucoup de films de guerre, les ayant déjà presque tous vus, et plusieurs fois chacun, quand je n'étais encore qu'un petit garçon haut comme trois pommes, grâce à mon paternel, ancien combattant de la Division Charlemagne, passionné par le genre et par le sujet de manière générale. Hier, quand je me suis tanké devant France5 pour rendre hommage à Kirk Douglas, mon acteur préféré disparu il y a quelques jours à l'âge canonique de 103 ans, ma femme m'a donc fusillé du regard. Mais mal lui en a pris, car elle a fini le film à mes côtés, tout sourire, m'affirmant avoir trouvé là son film de guerre préféré. Merci qui ? Merci Kirk.




Et pour cause. De la guerre comme action il n'est pratiquement pas question dans ce film, et le seul combat filmé oppose durant trente secondes environ, dans un affrontement inégal et donc vite plié, deux avions de chasse américains dernier cri (Grumman F-14 Tomcat) à deux Zero (Mitsubishi A6M) de l'armée de l'air japonaise. Couac ? Anachronisme grossier ? Que dalle. Cette rencontre improbable est au cœur du film, Nimitz, retour vers l'enfer (pour rappel), curieux mélange de film de guerre et de science-fiction. En effet, dès le début du film, le porte-avion nucléaire USS Nimitz (on ne se lasse pas de ce nom, This is the USS Nimitz, where the hell are we ?!), qui vient d'embarquer à son bord un 6001ème passager, civil campé par Martin Sheen, et exécute une patrouille de routine dans le Pacifique, se trouve confronté en pleine mer à une terrible tempête électromagnétique. Tout l'équipage se tord de douleur quelques secondes puis plus rien n'y paraît. Sauf que le vaisseau tout entier et son équipage viennent de tomber dans un trou noir, un précipice spatio-temporel, un gouffre obscur et sans fond à côté duquel la fosse des Mariannes passerait pour un vulgaire nid-de-poule, suffisamment gigantesque pour avaler un porte-avion nucléaire et ses 102 appareils tout rond, cavité de dingue représentée sur l'affiche du film (voir ci-dessus) par la légendaire fossette au menton de la star Douglas. Tous les membres de l'équipage passeront le reste du film à regarder le commandant dans le menton plutôt que dans les yeux, toisant cet abîme insondable, responsable de leurs malheurs.




Or nos matelots se retrouvent déplacés le 6 décembre 1941, la veille de l'attaque de Pearl Harbor, à quelques kilomètres des côtes américaines. A force d'indices, les hommes du bord doivent se rendre à l'évidence : ils ont voyagé dans le temps. En effet, la radio diffuse les dernières nouvelles concernant l'avancée de l'Armée du Troisième Reich (saviez-vous qu'il s'agit de l'autre nom de l'Allemagne nazie ? Je l'ai appris hier soir) ; un avion de reconnaissance prend en photo Pearl Harbor et la photo correspond parfaitement - noir et blanc et cadrage au millimètre près, ce qui n'a aucun sens - à une photo d'époque avec les navires de l'époque avant qu'ils ne soient coulés par l'aviation nippone ; etc. Mais il faudra que le commandant interprété par Kirk Douglas voie sur son radar toute la flotte japonaise en mouvement vers lui et constate que des Zero sont en train de mitrailler ses pilotes pour accepter l'idée. Quand il débarque enfin, son sang ne fait qu'un tour et il décide d'intercepter toute la flotte et toute l'armada aérienne de l'ennemi à lui tout seul, sans prévenir Pearl Harbor, bénéficiant il est vrai d'un léger atout technologique sur l'adversaire. C'est alors que le civil du bord, Martin Sheen donc, s'interpose et brandit l'argument massue de la fameuse faille spatio-temporelle : qu'advient-il du monde connu si la défaite de Pearl Harbor n'a pas lieu ? 




Les hommes du Nimitz ont déjà potentiellement foutu la merde dans leurs bouquins d'Histoire en sauvant le sénateur Chapman (Charles Durning) et sa brillante secrétaire (Katharine Ross), alors en balade sur un yacht, des mitrailleuses d'un Zero. Chapman, qui avait annoncé l'attaque japonaise, devait mourir là, mais était pressenti pour s'opposer à Roosevelt aux prochaines élections et devenir président des États-Unis. Quid donc de l'histoire du pays si le sénateur reste en vie ? Fort heureusement, il finit par mourir dans un hélicoptère qui devait le mettre à l'abri. Fort heureusement aussi, alors que le commandant du Nimitz avait envoyé tous ses avions faire des confettis des Zero japonais, une nouvelle tempête électromagnétique se lève qui remporte le porte-avion, ses occupants et ses chasseurs en 1980. Strictement rien ne s'est passé. Au final, à peine le dilemme moral s'est-il posé au commandant (qui finira le film en qualifiant le personnage de Martin Sheen de "real pain in the ass", surnom qui collera à la peau de l'acteur toute sa vie), que tout le monde rentre chez soi : l'attaque et la défaite américaine de Pearl Harbor auront bien lieu, le sénateur Chapman sera bien mort, et ma femme ravie de n'avoir eu à subir quasiment aucun éclat d'obus en stéréo dulby surround. 




Seuls trois personnages ont réellement été impactés par cette échappée belle : le second du commandant (qui aurait dû regagner les années 80) et la secrétaire de Chapman (qui aurait dû mourir), finissent sur une île déserte et réapparaissent à la fin du film âgés de 40 ans de plus ; mais aussi le chien de la secrétaire, qui, quant à lui, après avoir été sauvé de l'épave du yacht, a fait un bon de 40 ans dans le futur et sera donc certainement le premier de sa race à vivre au-delà de 50 ans, soit la bagatelle de 350 piges en années de chien. C'est donc un bien drôle de film auquel nous avons affaire ici, dans lequel il ne se passe pour ainsi dire rien. Je ne reviendrai pas sur la genèse de ce scénario pour le moins atypique car après avoir lu la phrase qui suit sur wikipédia, j'ai décidé de me retirer du monde et de me faire stylite, le cul juché sur une colonne : « Il s’agit de l’adaptation du roman homonyme de Martin Caidin, paru en 1980, une novélisation du scénario du film, lui-même inspiré du roman Les Guerriers de l'apocalypse (Sengoku jieitai) de Kōsei Saitō (1979). » Hein ?


Nimitz, retour vers l'enfer de Don Taylor, avec Kirk Douglas, Martin Sheen et Katharine Ross (1980)

9 février 2020

Le Temps d'un week-end

Quelle idée de revoir ce film aujourd'hui ?! Je ne sais pas ce qui m'a pris... En plus, c'est long : 2h40 au compteur. Le Temps d'un week-end vous flingue une soirée et vous donne effectivement l'impression d'avoir cramé deux jours avec une paire d'abrutis. Il fait partie de ces films hollywoodiens des années 80-90 qui n'ont pas supporté le poids du temps et qui sont périmés depuis belle lurette. Ce qu'il y a d'amusant, c'est qu'ils mettent malgré eux en valeur le cinéma américain des années 70 et toutes ses pépites qui continuent de briller aujourd'hui. Scent of a Woman, en VO, est d'un académisme tel que cela a beaucoup plu à l'Academy, avec une poignée de nominations à la clé et même une razzia aux Golden Globes en l'an de grâce 92. Comme quoi, ces institutions savent distinguer les films qui restent...




Il s'agissait d'ailleurs de la consécration tant attendue pour le grand Al Pacino, enfin récompensé d'un Oscar après quatre nominations infructueuses pour des rôles autrement plus mémorables (Le Parrain, Une Après-midi de chien, Serpico, And Justice for All). Terrible ironie de la vie... L'acteur n'est pourtant pas spécialement bon là-dedans. Il en fait des caisses dans la peau d'un personnage monocorde et ennuyeux au possible, un vétéran devenu aveugle et acariâtre dont un étudiant doit s'occuper le temps d'un week-end pour financer sa scolarité. Imprévisible et chiant, l'aveugle récalcitrant amène son jeune garde à New York pour un séjour de folie, entre palaces, teupus et grands restaurants. Le projet secret du colonel retraité étant de se tirer une balle après avoir tiré sa crampe et profité une dernière fois des petits plaisirs de l'existence (principalement la bouffe et les femmes, donc). L'étudiant, incarné par un assez fade Chris O'Donnell, dont la carrière explosera ensuite en plein vol devant la caméra de Joel Schumacher dans la peau du célèbre acolyte de l'homme chauve-souris, essaie tant bien que mal de s'opposer aux envies suicidaires de son aîné...




Aux commandes de ce triste remake d'un film italien de 1974 signé Dino Risi, nous retrouvons, annonce fièrement l'affiche de l'époque, "le réalisateur du Flic de Bervely Hills", Martin Brest. Mais n'espérez pas vous marrer cette fois-ci. Cet homme a aussi réalisé Midnight Run, un buddy-road-movie bien de son temps dans lequel Robert De Niro pétait régulièrement les plombs, un film devenu culte que je trouve également très surcôté (je ne me souviens pas m'être marré une seule fois). Martin Brest fait son taff, sans chichi, aussi platement que possible. Une musique sirupeuse accompagne et vient surligner la moindre émotion, histoire d'alourdir encore tout ça, de nimber cette histoire fastidieuse d'une atmosphère surannée. On est content de retrouver un Philip Seymour Hoffman alors en pleine forme dans le rôle d'un jeune étudiant un peu con. Et ne soyons pas si dur avec Pacino, son charisme, certes diminué, porte le film à bout de bras. Il apporte par intermittences un peu de piment, mais il tutoie aussi régulièrement le ridicule quand il ponctue ses phrases de "Oouh-ah" pathétiques et supposés être drôles.




Le Temps d'un week-end est un vieux film. Je n'aime pas dire ça car il n'y a pas de "vieux films" comme il n'y a pas de "vieux tableaux", de "vieux livres" ou de "vieilles pièces de théâtre". Mais Le Temps d'un week-end est un film rance, dépassé, obsolète, faisandé. C'est sans doute le plus vieux film dans lequel ait joué Al Pacino. C'est un film qui a passé l'arme à gauche, qui a disparu, il s'est éteint sans un bruit, loin des regards, dans son sommeil, et n'existe plus. Plutôt fier de lui, Bo Goldman, le scénariste, a déclaré : "S'il y a une morale au film, c'est que si nous restons toujours ouvert et disponible aux contradictions surprenantes de la vie, nous trouverons toujours la force d'avancer". Une leçon... Merci mec ! Un film oublié et voué à le demeurer. 


Le Temps d'un week-end (Scent of a woman) de Martin Brest avec Al Pacino et Chris O'Donnell (1992)

4 février 2020

Die Farbe

Près de 10 ans avant Richard Stanley, un jeune allemand du nom de Huan Vu s'est attelé à l'adaptation cinématographique de La Couleur tombée du ciel, l'une des meilleures nouvelles de Lovecraft. Une tentative sérieuse et ambitieuse globalement saluée par les adorateurs de l'écrivain et même adoubée par S. T. Joshi, le plus grand spécialiste d'HPL (notamment auteur de son imposante biographie récemment traduite en français), qui est allé jusqu'à qualifier Die Farbe de "meilleure adaptation jamais faite de Lovecraft", nous rappelant peut-être ainsi que la concurrence n'est pas très relevée. En ce qui me concerne, je n'irai pas jusque-là, la "meilleure adaptation" reste à faire et il faut s'éloigner des textes et encore aller chercher du côté de la filmographie de John Carpenter pour trouver ce qui s'y rapproche le plus (je pense à The Thing ou L'Antre de la folie, variations plus ou moins déguisées des écrits du promeneur de Providence). Il est toutefois évident que le film signé Huan Vu constitue un très bel effort qui mérite de sincères louanges et que l'on peut en cela rapprocher de l'excellent moyen métrage d'Andrew Leman, The Call of Cthulhu, sorti en 2005.





Le scénario fait le choix payant de déplacer l'action dans le temps et dans l'espace, tirant sans doute ainsi parti des limites imposées à cette petite production. Un jeune américain, étudiant à l'université d'Arkham, part en Allemagne sur les traces de son père disparu. Là-bas, un vieil homme lui raconte la terrible histoire vécue par la famille Gärtener suite à la chute d'une météorite à proximité de leur ferme dans les années 40. Respectant le type de narration cher à Lovecraft, le film nous propose donc un récit imbriqué avec de fréquents allers retours entre le passé (années 40) et le présent (années 70). Situer le récit autour de la Deuxième Guerre Mondiale n'est pas bête car cela permet de confronter l'humanité face à son insignifiance, comme se plaisait à le faire le maître de l'horreur cosmique. On saisit ainsi le caractère supérieure de cette manifestation extraterrestre, de cette entité venue d'ailleurs qui agit aléatoirement, se fichant bien de nos conflits. Dans la même volonté d'être fidèle à l'esprit de son modèle, Huan Vu tente aussi de nous quitter sur une dernière pirouette, qui est assez difficilement compréhensible mais a au moins le mérite d'engendrer un léger trouble. 





Filmé dans un noir et blanc crasseux et très contrasté, à l'exception de la fameuse couleur venue de l'espace, Die Farbe séduit d'abord par le soin apporté à la forme en dépit de moyens que l'on imagine réduits au minimum. Quand il a recours à des procédés très simples, Huan Vu atteste d'un modeste mais bien réel talent de metteur en scène et fait preuve d'une certaine inventivité pour développer une ambiance singulière. Cela passe par trois fois rien, des balancements de mise au point ou des effets d'ombres et de lumières qui nimbent le film dans une atmosphère indicible collant assez bien au récit de Lovecraft, à son lourd mystère et à sa menace sourde, diffuse, difficilement identifiable. C'est principalement pour cela que le film est agréable à suivre pour l'aficionado, on ne doute pas un seul instant de l'amour et du respect partagé par le cinéaste pour sa matière première.





En revanche, dès que Huan Vu emploie des effets spéciaux numériques, le résultat à l'écran s'avère bien moins convaincant et rend criante la petitesse du budget. On pense notamment aux quelques apparitions et manifestations de la fameuse couleur, qui prend des teintes violettes fluo d'un goût hélas assez douteux. C'est très dommage car ces scènes, qui auraient dû correspondre à des moments forts, sont par conséquent plutôt ratées et embarrassantes. On a alors bel et bien l'impression d'être devant le tout petit essai d'un réalisateur débutant, soucieux de rendre hommage à un de ses auteurs favoris et qui compte peut-être un peu trop sur notre indulgence. Notons également que certains acteurs participent aussi et bien malgré eux à cette regrettable impression d'amateurisme. Ces quelques bémols ne nous font néanmoins guère oublier que, par ailleurs, Die Farbe a une belle tenue et constitue à l'évidence une curiosité, à conseiller vivement aux lecteurs de Lovecraft.


Die Farbe de Huan Vu avec Jürgen Heimüller, Paul Dorsch et Ingo Heise (2010)

2 février 2020

Doctor Sleep

Vous vous souvenez de cette scène du Dîner de Cons et, plus précisément, de ce que Pierre Brochant pense du Petit cheval de manège ? "Très mauvais, quelle importance ?" Eh bien Doctor Sleep, c'est pareil. Vu l'intonation de Thierry Lhermitte et sa façon de répondre du tac-o-tac à Jacques Villeret, nous ne doutons pas une seconde de la valeur de son jugement : Le Petit cheval de manège est un très mauvais bouquin, un truc insignifiant. Le livre de Stephen King ne doit pas valoir beaucoup mieux. "Si le bouquin est mauvais, pourquoi acheter les droits ?!", demande Villeret après un temps de réflexion nécessaire. Ah, ça... c'est ici une toute autre histoire. Faire une suite à Shining, dans un contexte de panne d'inspiration globale du cinéma de genre américain, c'est drôlement osé et idiot, mais forcément tentant. Et les adaptations de King ne sont jamais passées de mode, elles ont même été relancées il y a peu par le succès retentissant du premier chapitre de Ça. N'allons pas chercher plus loin. En 1980, Stanley Kubrick s'était considérablement éloigné du livre d'origine, provoquant l'ire de l'écrivain, un désaveu de notoriété publique. Cette fois-ci, le but était de livrer une adaptation fidèle à la suite du roman parue en 2013, tout en s'inscrivant dans la continuité du classique de Kubrick. Le résultat, cette séquelle bâtarde et indigeste qu'est Doctor Sleep, prouve que la réconciliation était difficilement possible et que ce n'est jamais une bonne idée de chercher à vouloir contenter tout le monde. Mike Flanagan aurait dû trancher en rompant clairement avec Shining, ou choisir de ne pas adapter aussi littéralement cette histoire lamentable de King, car disons-le tout net : qu'est-ce que c'est con ! Sur le papier, je dis pas, mais à l'écran, c'est franchement navrant. Les fans de l'auteur sauront néanmoins apprécier l'effort, Stephen King himself montera au créneau pour défendre son poulain, beaucoup feront preuve d'indulgence envers un réalisateur courageux de s'être attelé à une telle tâche, mais la grande majorité méprisera ce film, s'en contrefichera ou l'oubliera très vite. Dans quelques années, il n'en restera rien, tout juste une anecdote entre cinéphiles qui se plairont à se rappeler, comme c'est le cas pour 2001 l'Odyssée de l'espace, qu'il existe bel et bien une suite à Shining.




Nous n'avons même pas le temps d'y croire un peu. C'est raté d'entrée. L'espoir est liquidé dès les premières minutes et cette introduction moisie qui nous présente le personnage campé par Rebecca Ferguson, la grande méchante de ce monde ultra manichéen. Elle est la meneuse d'un clan qui parcourt les États-Unis en caravane à la recherche d'enfants disposant du don afin de se repaître de la vapeur qu'ils relâchent à leur trépas, tels les vampires suçant le sang pour prolonger leur existence marginale. Danny, de son côté, a bien grandi et a désormais les traits avantageux d'un Ewan McGregor atone, les bras toujours légèrement écartés du corps. Nous le retrouvons au plus bas, alcoolo, comme son père. Il décide de se soigner et de repartir de zéro dans une petite bourgade du New Hampshire où il trouve un boulot d'aide-soignant. Dans le même temps, nous suivons également une adolescente qui découvre qu'elle est dotée du shining, ce qui lui permet de coller des cuillères au plafond mais aussi d'entrer en relation avec Danny. Durant près de deux heures, ces trois fils narratifs sont très laborieusement déroulés par Mike Flanagan, via un montage sans rythme et paresseux, avant un dernier acte minable où les trois protagonistes sont enfin réunis dans ce qu'il reste de l'Overlook Hotel. L'ennui pointe très vite tant tout paraît bête et manque terriblement de souffle. On a l'impression de tourner sans envie les pages du pavé de Stephen King, mises en image le plus platement possible par une personne trop soucieuse de bien faire et sans idée propre valable. Pour animer un peu tout ça, on se paie une bande-son lourdingue qui revient très souvent et imite les battements d'un cœur de plus en plus rapprochés. La tension est pourtant aux abonnés absents, il est donc très pénible d'entendre ces pulsations s'emballer sans raison, ce n'est pas contagieux pour un sou, et ce sont les soupirs que nous alignons.




Je ne suis pas un fan de Mike Flanagan. Et cela se confirme de film en film. Sa série, que je n'ai pas vue, doit être ce qu'il a fait de mieux, car le travail de cet homme-là n'est pas fait pour être projeté sur grand écran. Il devient très désagréable à l’œil dès qu'il s'affiche sur une surface dépassant les 32 centimètres de diagonale. C'est mon ressenti. Sa mise en scène est terriblement télévisuelle, limitée, pauvre. Et il nous ressert systématiquement cette photographie insipide, cette image numérique sans éclat, très vraisemblablement étalonnée en post-prod, avec ce filtre qui rend toutes les couleurs ternes, fades, dégueulasses. On se croirait vraiment devant un épisode de série beaucoup trop long auquel la piteuse équipe technique aux manettes s'imagine donner du cachet en usant des plus tristes artifices. Quand Flanagan prend plus de risque et essaie de représenter le shining via des effets spéciaux simples, presque naïfs, qui nous donnent à voir des corps dans les étoiles, voler au-dessus des nuages, ce n'est pas là qu'il se plante le plus : on est alors quelque part entre la gêne et l'indifférence, bien loin de la sidération visée. En fin de compte, seules les images directement calquées sur le film de Stanley Kubrick sortent du lot, ne rendant que plus criante la nullité absolue du reste. Là encore, la rupture non-assumée et seulement partielle avec Shining s'avère bien cruelle pour Mike Flanagan. A titre d'exemple, l'affrontement final dans les escaliers de la grande salle de l'hôtel, qui reproduit la fameuse scène originale en inversant les positions, est désespérante de nullité, de platitude. C'est ça, la conclusion de ce film d'horreur de près de 3 plombes ?! Dans le même ordre d'idée, il était suicidaire de faire apparaître Jack Torrance en sollicitant pour cela un avorton ridicule de Nicholson. Cela fait partie de ces nombreux pièges qui étaient tendus à Flanagan et dans lequel celui-ci a sauté à pieds joints. Doctor Sleep a tout de même fini dans les tops annuels de Quentin Tarantino et... Stephen King ! Mais si c'était gage de qualité, ça se saurait... Je reconnais un mérite à ce film : il donne envie de revoir Shining en vitesse pour mieux le chasser de sa mémoire. 


Doctor Sleep de Mike Flanagan avec Ewan McGregor, Rebecca Ferguson et Kyliegh Curran (2019)