Pages

15 février 2020

Jojo Rabbit

Le plus gros problème de Taika Waititi s'appelle Taika Waititi. Cet acteur, réalisateur et scénariste venu de Nouvelle-Zélande, qui officie désormais à Hollywood, a un blaze super cool et une bonne gueule. Y'a pas à chipoter là-dessus. Regardez-le sur tapis rouge : look de dandy, bien sapé, coupe de cheveux impeccable, regard scintillant, sourire ravageur. Il a toujours la classe, il est séduisant, il a l'air sympa. On aurait presque envie d'être son pote, de le kiffer, c'est comme ça. Forcément, son image passe très bien sur les réseaux sociaux, le mec cool en toutes circonstances. Récemment, une photo de notre homme dans un couloir d'aéroport aux côtés de l'intouchable Bong Joon-Ho faisait le buzz. C'est qu'il sont trop mignons tous les deux. On a envie de se glisser entre eux, bras dessus bras dessous, de faire partie de leur bande. On en fait les meilleurs amis du monde, alors qu'ils se sont peut-être croisés deux fois. Même aux commandes d'un Marvel, Taika Waititi passe pour celui qui parvient à insuffler sa petite personnalité fantaisiste à de grosses productions sans âme. Ça passe par trois fois rien, deux trois détails comiques par-ci, une image un peu plus bariolée par-là, et hop, c'est bel et bien signé Taika Waititi, pas de doute, et Thor, pourtant toujours aussi con, retrouve une nouvelle jeunesse aux yeux des fans.




En réalité, Taika Waititi, c'est surtout du chiqué, et il n'y a qu'à zieuter ses films d'un peu plus près pour s'en rendre compte. Le dernier en date, Jojo Rabbit, est tout à son image. Le film se veut tellement mignon qu'il fout la rage. Inutile de coller un procès à Taika Waititi pour avoir fait de jolies images, "so cute", dans l'Allemagne nazie, de s'être servi de l'imagerie hitlérienne pour composer ses petits plans de décorateur appliqué, de s'appuyer sur le décorum du IIIème Reich pour alimenter son univers visuel si chiadé. C'est, au minimum, maladroit et bête. Taika Waititi croit sans doute ainsi se forger un style bien à lui mais, si c'est le cas, celui-ci est d'une affligeante pauvreté. Il est un peu le Wes Anderson du miséreux. Sa mise en scène maniérée, faite à 95% de plans frontaux très composés, est désespérément creuse, sans relief, plate, elle tourne déjà à vide. Du côté de ce ton singulier qu'il travaille même en interview et qu'il cultive de films en films depuis ses débuts, fait d'un humour tantôt absurde et pince sans rire, tantôt mignonnet et attendrissant, c'est raté aussi. Jojo Rabbit n'est pas drôle, ou si peu, et se fait surtout remarquer par sa terrible fadeur. Tout cela est tellement inoffensif, convenu, et le trait est si grossier... Quand Taika Waititi applique sa petite formule désormais bien connue à cette histoire de gamin qui, embrigadé par le nazisme au point de s'inventer comme ami imaginaire nul autre qu'Hitler, découvre que sa mère abrite en secret une jeune juive, le résultat est, au mieux, simplement embarrassant. On ne sait pas à qui s'adresse ce film ; ni aux enfants, ni aux adultes, peut-être entre les deux, qui sait...




Si le principal souci de Taika Waititi est lui-même c'est aussi parce qu'il ne peut pas s'empêcher de se mettre en scène. Il s'agissait déjà du plus gros défaut de Boy, le film dont il est le plus fier, son deuxième long métrage, le plus personnel, réalisé après le plutôt sympatoche Eagle vs Shark, où l'acteur-réalisateur, s'intéressant encore à l'enfance et à l'absence de figure paternelle, n'en finissait pas de s'admirer jouer dans le rôle d'un père farfelu. Il en fait évidemment des caisses en Adolf Hitler, pour un effet comique quasi inexistant puisqu'il nous propose l'une des plus piètres parodies du dictateur qui soient. Il gesticule énormément mais n'insuffle pas pour autant un brin d'énergie et de folie à sa minuscule satire. Évidemment, il y a peut-être un fond de vérité dans l'image clinquante que Waititi véhicule de lui-même, on ne doute pas qu'il est doté d'un certain humour par exemple. Et il y a peut-être une ou deux bonnes blagues là-dedans, mais il faut être drôlement poli et magnanime pour lui faire l'honneur de les relever. C'est une bonne réplique placée dans la bouche de ce petit garçon, mignon aussi parce qu'obèse et binoclard, inconscient des mots qu'ils prononcent le plus sérieusement du monde. C'est un agent de la Gestapo qui, voulant faire du zèle, informe son auditoire que la rumeur comme quoi Hitler n'aurait qu'un testicule est fausse, il en a quatre. Mouais... rapporter ainsi, on se rend compte que c'est putain de pas brillant non plus. Non, en réalité, Taika Waititi ne doit pas être spécialement sympa.


Jojo Rabbit de Taika Waititi avec Roman Griffin Davis, Scarlett Johansson, Thomasin McKenzie et Taika Waititi (2020)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire