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31 juillet 2017

Si j'étais un homme

L'autre soir je rejouais tout seul à un jeu de société de David Gentle, un party game intitulé "La boîte à quizz", et je m'estramassais en particulier tous les quizz de la section "Cinéma et télévision", étant à peu près sûr de cartonner, en ma qualité de blogueur ciné. L'un des quizz portait sur les accroches de films : "Identifiez les films à partir de ces accroches". L'énoncé est clair. Objectif à atteindre : en reconnaître 7 sur 12. J'en ai trouvé 4, dont l'efficace "Ne rien oublier, ne rien pardonner, ne rien oublier", issue de La Mémoire dans la peau, "Sept péchés capitals, sept façons de crever", tirée de l'affiche de Se7en, la fameuse "Houston, on a un souci" d'Apollo 13 (toujours pas vu les 12 premiers) et la géniale "Ils étaient sept et se sont battus comme sept cents", l'accroche mythique des 12 salopards. Il y en a encore sur lesquelles je bute comme un fou, notamment "Dans l'espace, personne ne vous entend crier", que j'aurais tendance à attribuer au film Papa de Maurice Barthélémy, aka Pue-le-pipi, car je crois me souvenir que le film se déroule presque entièrement dans un Renault Espace, mais il me faudra vérifier.


Une symbolique très fine.

Bref, tout ça pour dire que je me suis retrouvé devant Si j'étais un homme, le dernier film en date d'Audrey Dana, qui avait déjà commis l'irréparable avec Sous les jupes des filles, et qu'avant même de le regarder, j'ai contracté une rage énorme devant l'affiche et sa tagline, son accroche : "Un matin, elle s'est réveillée avec un truc en plus", qui suppose que les hommes auraient quelque chose de plus que les femmes, pas autre chose, pas un autre organe génital, différent de celui des femmes qui en ont un aussi, non, un truc en plus, parce qu'avant l'héroïne, en tant que femme, avait donc un truc en moins. Si le personnage interprété par Audrey Dana (pour ne pas dire Audrey Dana elle-même, car je ne veux pas tomber dans ce petit jeu) a quelque chose en moins, c'est une case, ou deux maximum, mais pas un zgeg. Donc déjà, rien qu'avec l'affiche et l'accroche, j'avais envie de tout faire flamber chez moi et de lancer le film dans mon salon en brûlant avec.


Hommage à Robert Aldrich et à la scène de l'ouverture de la valise dans Kiss me Deadly, un modèle assumé pour Audrey Dana.

Mais j'ai vu le film sans tout faire cramer, même si j'avais le briquet allumé en permanence, tendu à un centimètre du rideau de ma baie vitrée, du début à la fin. Et le film est à l'image de l'annonce. Ignoble. Voulant évoquer la question des différences entre l'homme et la femme et la théorie du genre à travers une comédie, noble projet s'il en est, Audrey Dana se vautre et inspire la pitié. Ne portant aucun véritable discours, le scénario se perd dans des clichés exaspérants, par exemple quand l'héroïne, parce qu'elle est désormais dotée d'un pénis, éprouve une sorte de désir insatiable, permanent et incontrôlable pour toutes les femmes qu'elle croise, y compris sa meilleure amie, quand bien même elle est encore, pour tout le reste, une femme hétérosexuelle ; ou encore quand elle se révèle soudain une "femme" à poigne, disons qui a des couilles, au boulot, comme par magie, par la grâce de sa verge. Sérieusement ? Audrey Dana veut peut-être (on l'espère) critiquer notre société patriarcale et phallocratique en montrant qu'il lui suffit d'être tout à trac équipée d'un zizi pour que cela impacte l'image que l'héroïne se fait d'elle-même, mais elle dit tout l'inverse. Sa révolution personnelle semble entièrement physique, naturelle : un homme, c'est comme ça. Et tout ce binz de se boucler comme il se doit : retour à la "normale" grâce à une intervention du ciel, et la dame de finir heureuse en couple avec un homme, entourée de mille enfants.


Christian montre à Audrey comment marche l'asperge en ressortant le vieux grimoire du mage Eusæbius. Per Horus et per Rha et per solem invictus, duceres ! Entre parenthèses, l'héroïne se plaint d'avoir une "bite" (mot qui rend Clavier complètement taré à plusieurs reprises), mais à sa place je m'inquièterais plutôt d'avoir la jambe à moitié blanche à moitié black.

Mais plus globalement, Audrey Dana a le tort de prendre pour pivot un personnage complètement débile sans, et c'est là que le bât blesse, car c'est souvent quitte ou double, sans qu'il soit jamais drôle. Son héroïne est donc profondément inintéressante quand elle n'est pas embarrassante. Ses questions autour de son nouveau jouet (par exemple quand son gynécologue, interprété par Christian Clavier, lui conseille de se masturber aussi souvent que possible (!) et qu'essayant elle demande "C'est normal que ça ne se relève pas ?") sont dignes d'un enfant de moins de deux ans, alors qu'elle est censée avoir eu deux gosses. Et tout est à l'avenant, rien n'étant crédible, jusqu'au prénom de la voisine et meilleure amie du personnage principal, interprétée par Alice Belaïdi, qui se prénomme Marcelle... Marcelle !... On est quand même content pour Audrey Dana à la fin du film, car elle semble s'être fait un petit plaisir perso dans la scène où elle s'adonne à un strip-tease intégral sous l'orage. Et puis, si l'on veut essayer de sauver les meubles, on peut saluer la performance de Christian Clavier en gynéco surexcité. L'éternelle Fripouille parvient à nous faire décrocher quelques rires dans les scènes où il intervient comme souvent en électron libre, y allant à l'instinct, tout à l'impro, bien conscient d'être seul capable (car il ne fallait pas compter sur Elmosniño...) de dérider le spectateur devant un tel naufrage.


Si j'étais un homme d'Audrey Dana avec Audrey Dana, Christian Clavier, Eric Elmosnino et Alice Belaïdi (2017)

29 juillet 2017

Les Vertes années

Tourné en 1963, Les Vertes années est le premier jalon de la filmographie de Paulo Rocha, cinéaste portugais qui fut, avant de réaliser ses propres films, l'assistant réalisateur de Jean Renoir ou Manoel de Oliveira (auquel il consacra un épisode de la série Cinéastes de notre temps, ainsi qu'à Shohei Imamura). Assez oublié aujourd'hui, ce premier film est pourtant très beau. Lointainement inspiré du cinéma de la Nouvelle Vague, Os Verdes Anos raconte les débuts pas simples d'une relation amoureuse unissant Julio (Rui Gomes), un garçon venu s'installer à Lisbonne, près de son oncle, pour y apprendre à devenir cordonnier, et Ilda (Isabel Ruth), domestique d'une famille bourgeoise amenée à rendre visite à Julio régulièrement pour lui faire réparer les dizaines de paires de chaussures de sa riche maîtresse.





Le film est aussi, à travers cette idylle, l'histoire d'une ville, Lisbonne, comme le pose d'emblée la voix off dite par l'oncle de Julio. Paulo Rocha filme la ville et sa banlieue, faite de masures perdues à flancs de collines. Qu'ils se trouvent dans cet entre-deux, cette frontière indéfinissable entre ville et campagne, déambulant parmi les oliviers, ou au de cœur de la cité, Rocha filme les amants dans ces espaces et noue un lien très fort entre eux et le paysage qui les accueille. Ilda réagit par exemple à la demande en mariage de Julio en sortant du cadre dessiné par les branchages d'un arbre pour s'insérer dans un autre, juste à côté, forçant la caméra au décadrage. En ville, quand ils se racontent l'un l'autre les mésaventures et les projets avortés qui sont ceux de leur âge (Julio ne pouvant plus supporter son oncle, Ilda regrettant de ne pas avoir les talents de sa mère disparue, tous deux évoquant un futur encore à construire), nous les voyons tour à tour, au moment où ils devraient écouter et réagir aux propos de l'autre, déchiffrer une affiche ou essayer de voir à travers une vitre, ne pensant chacun qu'à soi dans un décor urbain qui fait obstacle, les cloisonne, les renvoie constamment à eux-mêmes et à leurs inquiétudes.





Deux séquences sont particulièrement touchantes. Celle, dans le maquis bordant la ville, où Ilda et Julio, se promenant pour la première fois, déambulent parmi les taillis et les oliviers et sont interpellés par des gens du coin qui traquent des oiseaux de la race des inséparables. Et celle où Ilda emmène Julio chez ses patrons, absents, puis essaye pour lui les robes et les chaussures de sa maîtresse dans un défilé improvisé, transgressif, chastement érotique.




Quand il se veut symboliste, Rocha échappe encore à toute lourdeur, par exemple dans la séquence où un chandail offert par l'oncle de Julio à Ilda devient l'objet des tiraillements entre les deux jeunes gens, finissant jeté du haut d'une crête pour ensuite être récupéré, à quatre mains, dans une vaste flaque du quasi-bidonville jouxtant Lisbonne.





Tout en subtilité, avec quelques touches d'humour bienvenues, Rocha montre le poids que la transition entre deux époques peut avoir sur les jeunes, et sur les jeunes femmes en particulier, quand Ilda est méprisée pour une simple danse accordée à un inconnu, sans parler du dernier acte du film, aussi surprenant que terrible. Porté par une belle musique de Carlos Paredes (qui a la bonne idée d'être belle, car elle est très présente !), Les Vertes années est un récit d'apprentissage finement ciselé et émouvant qui mériterait amplement d'être redécouvert.


Les Vertes années de Paulo Rocha avec Rui Gomes et Isabel Ruth (1963)

26 juillet 2017

Haunter

J'aurais aimé défendre ce film. J'avais envie de croire qu'une alternative de qualité à l'incontournable Conjuring était sortie en catimini la même année dans le domaine du film de maison hantée. Et Splice, du même Vincenzo Natali, nous avait plutôt emballés. Hélas, même avec toute la bonne volonté du monde, force est de reconnaître que ce Haunter est un vrai ratage. Le postulat de départ est pourtant un peu original, même s'il s'agit d'une sorte de croisement incongru entre Un Jour sans fin et Les Autres. On y suit les déboires de Lisa (Abigail Breslin), une adolescente enfermée dans une grande maison et condamnée à revivre indéfiniment le même jour. Très vite, nous apprenons que cette Lisa est une fantôme, bloquée au jour de la mort de sa famille dans des circonstances tragiques, il y a près de 30 ans. Elle est elle-même hantée par les individus qui vivent à présent dans la bâtisse, mais va progressivement tenter de leur venir en aide quand elle comprendra qu'ils semblent destinés au même triste sort qu'elle.




Les films de maison hantée nous proposent généralement de suivre les mésaventures d'une famille hantée par un esprit qu'il faut aider, venger ou libérer d'une façon ou d'une autre. Ici, l'histoire est donc inversée, mais cela s'arrête là. Le parti pris initial est loin d'être une mauvaise idée, mais Vincenzo Natali n'en fait rien d'intéressant et son film tourne très vite à vide. On se rend d'autant mieux compte que le film est raté quand on a cette désagréable mais bien réelle impression d'avoir strictement révélé toutes ses surprises en écrivant quelques lignes supposées seulement présenter le pitch. La première partie, trop longue, nous montre Abigail Breslin mener son enquête dans cette journée interminable, et c'est déjà très laborieux. Il ne se passe rien. Quand le personnage investit le présent pour agir en esprit bienfaiteur, certaines situations rappellent l'infect Lovely Bones, et cela suscite toujours aussi peu l'intérêt. Quelques effets spécieux grotesques et particulièrement hideux rappellent d'ailleurs aussi le film de Peter Jackson. Il est presque difficile de croire que le même réalisateur a accouché de Splice, film de science-fiction qui, malgré son maigre budget, parvenait à avoir une très bonne allure. Quant à la petite Abigail Breslin, supposée porter le projet sur ses frêles épaules, elle n'a pas franchement étendu son registre depuis Little Miss Sunshine, où elle avait tout juste 9 piges, et c'est assez problématique... Elle contribue également à donner à Haunter le cachet d'un épisode pilote très brouillon d'une série-télé avortée. Un épisode qu'on aurait ici péniblement rallongé pour qu'il atteigne la durée d'un long métrage. Bref, à oublier !


Haunter de Vincenzo Natali avec Abigail Breslin, Samantha Weinstein et Stephen McHattie (2013)

22 juillet 2017

The Jane Doe Identity

Certains amateurs de frissons ont reconnu en The Jane Doe Identity (titre "français" de The Autopsy of Jane Doe, allez comprendre...) un film d'horreur efficace remplissant parfaitement son office : faire peur. On ne peut pas vraiment les contredire mais nous pouvons toutefois regretter que le deuxième long métrage du norvégien André Øvredal ne soit que ça, une petite frayeur non déplaisante, car il aurait pu être bien mieux encore. En effet, la majeure partie du film installe une ambiance pesante et singulière dans laquelle on se fond avec délice. Les Tilden, père (Brian Cox) et fils (Emile Hirsch), médecins-légistes doués, doivent autopsier le cadavre d'une femme non-identifiée (et donc nommée, génériquement, Jane Doe) et trancher sur la nature de sa mort, son corps immaculé les laissant dans l'expectative la plus totale. Au cours de ladite autopsie (tout le film consiste en cela, comme quoi le titre original n'était pas si mal...), les Tilden vont de surprise en surprise tandis que des phénomènes étranges et angoissants se produisent autour d'eux. Un huis clos efficace se met alors en place dans le laboratoire très austère des médecins-légistes, bloqués dans leur vieux sous-sol par une tempête qui fait rage à l'extérieur. 




Avec une belle économie de moyens et sur un rythme bien calculé, le réalisateur, déjà auteur du relativement sympathique The Troll Hunter, parvient sans souci à nous immerger dans son ambiance lugubre et à nous rendre impatients d'assister aux découvertes successives des personnages principaux, campés avec sérieux par deux acteurs crédibles en père et fils, Brian Cox et Emile Hirsch. Ainsi, sur les 80 petites minutes que dure le film, les 50 premières sont donc très bonnes. Hélas, elles aboutissent à un dernier tiers très décevant, où la tension minutieusement développée auparavant s'effondre petit à petit. Le voile se lève sur la dénommée Jane Doe, sur son origine et les raisons de son étrangeté, des actes de plus en plus irréversibles se déroulent en sous-sol, d'autres cadavres se pointent, du sang se met à couler, des visions, des fantômes et d'autres événements chelous s'enchaînent mais, avec ça, toute notre curiosité s'estompe. En même temps que celle du cadavre vedette, l'identité du film apparaît enfin dans son entièreté et il ne s'agit pas, malheureusement, de la franche et modeste réussite que l'on aurait pu espérer, mais bien d'un petit coup de flip pas désagréable, qui assurera une soirée de frayeurs inoffensives, sans réellement laisser de trace ni titiller notre imaginaire. Vite vu, et avec plaisir, mais vite oublié aussi. Dommage...


The Jane Doe Identity d'André Øvredal avec Emile Hirsch, Brian Cox et Olwen Catherine Kelly (2017)

18 juillet 2017

Okja

Après la déception Transperceneige (que je n'ai pas vu pour cause d'intempéries), Bong Joon-Ho était particulièrement attendu au tournant pour son nouveau film. Courageux, le cinéaste coréen a choisi de remettre le couvert à la tête d'une production à gros budget à moitié américaine. Suite à la mauvaise expérience vécue avec Harvey Weinstein (qui avait voulu amputer Le Transperceneige de 20 minutes, soit l'équivalent de deux wagons), Bong Joon-Ho était heureux de trouver en Netflix des producteurs qui lui ont garanti le contrôle complet de son oeuvre. C'est ainsi que celle-ci a fini par être disponible, en exclusivité, sur la chaîne américaine, provoquant un tollé sur la Croisette, où le film figurait en sélection officielle. Fort de ses pleins pouvoirs, Bong Joon-Ho en a profité pour nous livrer le premier film de monstre 100% vegan de l'Histoire du cinéma : Okja.





Okja nous dépeint une histoire d'amitié entre une jeune fille coréenne et sa truie géante, objet d'une lutte impitoyable entre une multinationale américaine et les membres du Front de Libération des Animaux. La multinationale, dirigée par Tilda Swinton, souhaite remettre la main sur sa création, la truie, afin de révolutionner la production alimentaire et se faire un maximum d'oseille tandis que le Front de Libération des Animaux, mené par Paul Dano, veut révéler au grand jour les pratiques inhumaines de la multinationale pour mieux mettre fin à ce type d'activités.




A partir de ce scénario co-écrit avec le journaliste engagé Jon Ronson, déjà auteur de quelques enquêtes controversées, Bong Joon-Ho cherche vraisemblablement à nous livrer un divertissement familial intelligent car porteur d'un message et n'épargnant personne. Ses objectifs sont tous plus ou moins atteints. Okja est effectivement un divertissement de qualité, comme Hollywood n'en produit quasiment plus, et sa partie coréenne est particulièrement réussie. Celle-ci contient même des scènes d'action assez fameuses, et je fais ici surtout allusion à la course poursuite en camion dans les rues de Séoul, où le cinéaste nous rappelle tout son talent de metteur en scène. La scène est trépidante, totalement lisible et d'une fluidité que l'on a plus l'habitude de voir sur (grand) écran. Un petit régal ! Au-delà de ça, la première partie du film dégage une certaine légèreté, une naïveté, plutôt rafraîchissante et vraiment pas désagréable. On passerait bien deux plombes à zoner dans la forêt en compagnie de la gamine et de la truie géante.




Les choses se gâtent un peu quand l'action se déplace aux Etats-Unis. Okja se met alors à peser son poids, à l'image de sa star américaine, Jake Gyllenhaal, véritable boulet du film dans la peau d'un scientifique-présentateur tv excentrique. Toutes les critiques, tous les commentateurs s'accordent à le dire, Jake Gyllenhaal est absolument minable là-dedans. C'est un fait assez rare pour être souligné, il fait l'unanimité. Ce n'est pas un ressenti personnel, c'est partagé. Toutes les personnes ayant vu Okja ont eu envie de se faire Gyllenhaal à la sortie. A côté de lui, Tilda Swinton passe presque pour un modèle de retenu, c'est dire ! Et Paul Dano, très bon dans le rôle du chef ambivalent de la FLA, brille encore plus. La polémique cannoise, c'est Gyllenhaal, pas Netflix. Tout le monde s'est révolté qu'un film parasité par une telle prestation puisse être présent en compétition officielle et c'est bien légitime. Jake Gyllenhaal n'avait rien à faire sur la Croisette. Sa performance outrancière, en roue libre, ridicule, horrible, restera à jamais comme un point noir dans la carrière de cette acteur d'ordinaire passable. Il fout mal à l'aise, on se sent mal pour lui. Qu'est-ce qui lui a pris ? Et comment Joon-Ho Bong a-t-il pu accepter ça ?!




En dehors du cas Gyllenhaal, qui mériterait une étude plus approfondie pour comprendre les raisons d'un tel comportement, une grande parade organisée par la multinationale dans les rues de New York donne lieu à une scène pénible, trop longue, mal négociée. En réalité, dès que Bong Joon-Ho perd de vue la jeune fille et son gros cochon, cette jolie amitié à laquelle on adhère sans souci, son film se délite un peu. Et quand Bong Joon-Ho s'aventure sur le terrain de la dénonciation pure et dure des méthodes douteuses du secteur agroalimentaire et, plus largement, de notre société de surconsommation, il ne fait pas toujours preuve d'une délicatesse infinie. Ainsi, quand, à la fin du film, il nous montre les cochons géants attendant l'abattage, parqués et prisonniers dans des sortes d'immenses fermes lugubres aux clôtures de barbelés dissuasives qui font immanquablement penser aux camps de concentration nazis, Bong Joon-Ho est à la limite du hors-jeu et l'on se dit qu'il aurait pu faire ça plus subtilement...




Chat échaudé craint l'eau froide, nous pouvions aussi craindre que le cochon vedette du film soit un amas disgracieux de pixels mal incrustés dans l'image, ce qui aurait été très gênant étant donné l'importance de l'animal dans l'intrigue... Or, force est de constater que les effets spéciaux sont très soignés et Okja (prononcer Okyaa-aaaah) paraît bel et bien vivant, c'en est presque bluffant. On peut regretter, toutefois, le manque d'expression de la bête. N'importe quel animal réel dégage plus de vie, mais aurait été bien plus difficile à contrôler sur un tournage de six mois... Et un animal de dessin animé encore plus, puisque toutes les expressions sont généralement surlignées. Ici, sans doute s'agit-il d'une volonté du cinéaste d'inventer un animal discret, "réaliste", mais sa création ne marquera guère les esprits, même des plus jeunes. Heureusement que la gamine (excellente Ahn Seo-Hyun) déborde d'énergie et a l'air de vraiment aimer son cochon pour que l'on marche dans la combine et que l'on suive, sans déplaisir, les péripéties de leur amitié. Malgré tous ces bémols, Okja est un film assez sympa.


Okja de Bong Joon-Ho avec Ahn Seo-Hyun, Paul Dano, Tilda Swinton, Jake Gyllenhaal et Byun Hee-Bong (2017)

14 juillet 2017

Le Jour d'après

Curieusement, Le Jour d'après est un film qui semble entièrement dédié à la grâce de son actrice principale, Kim Min-hee. Curieusement parce que son personnage gravite à la périphérie du drame que déroule le cinéaste. À la limite, on pourrait presque résumer l'histoire que nous raconte le film en oubliant d'évoquer le personnage interprété par l'actrice. Il s'agit du récit, savamment déconstruit et remodelé par le montage, d'une journée de Bongwan (Kwon Hae-hyo, un acteur récurrent chez Hong), petit éditeur que sa femme soupçonne à juste titre de tromperie. La première séquence donne le ton de ce qui s'avère être un film, une fois n'est pas coutume, particulièrement dur, sans pitié, jusqu'au malaise parfois : l'épouse de Bongwan le traque pendant son petit-déjeuner, le pousse dans ses derniers retranchements, preuve à l'appui (elle a trouvé une lettre écrite par l'assistante et maîtresse de son mari, qui a depuis démissionné), le force à avouer, et l'homme, lâche et terrassé sur place, de ne pas répondre, et d'alterner rire nerveux et silence coupable, le menton bas, entre deux bouchées bruyantes de son repas matinal.





Après quoi nous voyons (plusieurs fois) Bongwan faire le chemin qui sépare sa maison (sa femme) de son lieu de travail, dont une fois en courant à toute allure avant de s'arrêter et de pleurer longuement. Le titre du film n'est pas anodin. Nous assistons à la chute, largement amorcée avant notre arrivée, d'un type exténué. Une fois qu'il a rejoint sa maison d'édition, Bongwan rencontre sa nouvelle recrue, Aerum (la fameuse Kim Min-hee), bientôt confondue, gifles à l'appui, avec la maîtresse de l'éditeur par l'épouse de ce dernier, puis éclipsée par le retour de ladite maîtresse, qu'elle était censée remplacer mais qui désire finalement retrouver sa place. Remplaçante, prise pour une autre, remplacée, Aerum, extérieure aux enjeux du triangle amoureux conflictuel, ne joue qu'un rôle très secondaire dans cette affaire (si elle en joue seulement un), elle est le témoin gêné (très belle scène où elle tombe sur Bongwan et sa maîtresse à la sortie d'un restaurant et ne sait plus très bien où se mettre), la victime giflée d'un quiproquo, la pièce rapportée, la variable, quantité négligeable.





On pourrait tant et si bien l'oublier que c'est ce qui se passe effectivement, dans la dernière séquence, en forme d'écho et de boucle bouclée, qui reprend à l'identique une scène qui a déjà eu lieu assez tôt dans le film (on songe forcément au dispositif des scènes rejouées dans le magistral Un jour avec, un jour sans, déjà porté par la jeune et talentueuse Kim Min-hee), la scène de la rencontre entre Aerum et Bongwan, filmée selon les canons du maître, en coupe latérale. Quelques temps après cette journée pleine de rebondissements, Aerum revient chez l'éditeur, qui ne se souvient absolument plus d'elle, et les deux personnages entament une conversation qui se révèle être exactement la même que lors de leur première rencontre (à quelques détails, fascinants, près). Et l'on se demande comment cet homme a pu oublier Aerum. Car elle est le cœur de ce film. Elle est exactement ce que le spectateur n'oubliera pas.




Kim Min-hee traverse cette heure et demi comme en catimini, discrète, « je ne suis pas quelqu'un qui domine » dit-elle à Bongwan lors d'un repas, mais elle impacte le film de sa présence d'un bout à l'autre. Jusqu'à prendre le dessus, se décidant à réagir à tout ce qui l'accable et à confondre les manigances des deux amants pour les mettre face à leurs responsabilités (provoquant une crise de larmes pathétique chez son patron, en présence de sa maîtresse, embarrassée par ce spectacle). Sa posture est superbe, et à vrai dire émouvante, quand elle assiste aux explications entre Bongwan et sa femme, les cheveux encore défaits par les gifles de cette dernière, assise en arrière dans le canapé du bureau, à la fois affligée et fière, montrant son exaspération par des mouvements de tête récurrents dignes d'un enfant, captant notre attention sans dire un mot et pesant de toute sa frêle personne sur les déboires du couple.


 


Flottante, aérienne, gracieuse, littéralement "au-dessus de tout ça", elle déambule dans la maison d'édition, fine silhouette, noue et dénoue ses longs doigts devant elle quand elle a l'impression de déranger l'éditeur et son amante, d'être de trop, alors qu'elle est parfaitement là, heureusement là, et qu'on ne voit, qu'on ne voudrait voir, qu'elle. Le plus beau moment du film lui est consacré, quand elle découvre qu'il neige, après avoir feuilleté les quelques livres que l'éditeur lui a permis d'emporter avant de la congédier, et après avoir fait une prière, assise à l'arrière d'un taxi. Elle ouvre la fenêtre et s'émerveille du spectacle. Cette scène relève peut-être du sacré, mais sûrement du sublime.


Le Jour d'après de Hong Sang-soo avec Kim Min-hee et Kwon Hae-hyo (2017)

11 juillet 2017

Rock'n Roll

Je pourrais me lancer dans une longue critique à charge contre ce film merdeux, mais je n’en ai guère envie. A quoi bon revenir sur ce projet hyper mégalomane de Guillaume Canet, qui sous couvert d’autodérision n’arrête pas de parler de lui, de lui, et encore de lui (entre trois parenthèses où il parle de sa femme, de ses amis, de son métier, et compagnie) ? Sous prétexte de raconter la difficulté de vieillir chez les comédiens et comédiennes, Guillaume Canet, pour résumer, s’admire en se plaignant, ce qui fait toujours un peu beaucoup. Faut-il supporter ça ? Faut-il encaisser Marion Cotillard qui parle avec un accent québécois ignoble pendant la quasi-totalité du film juste parce qu’elle doit jouer un rôle dans le prochain Xavier Dolan ? Faut-il accepter d’entendre parler de Gilles Lellouche comme du Robert Redford français à tout bout de champ ? Faut-il tolérer ces acteurs ô combien antipathiques qui jouent horriblement mal à chaque seconde, Yvan Attal en tête ? Faut-il vraiment ?




Bon, il y a peut-être des choses à sauver dans ce cauchemar. Je préfère me rattacher à ça pour ne pas sombrer dans l’ultra-violence. Je pense en particulier à la séquence chez Johnny Hallyday, plus en forme que jamais. Johnny Smet surnage parmi une petite foule de caméos insipides (on finit par ne plus savoir qui est censé être « célèbre » ou pas, tant les célébrités convoquées sont sans saveur et chlinguent la mort). Johnny débarque en se ramassant la tronche dans son grand escalier. Déjà ça pose le rôle. Puis il passe toute sa scène à appeler Guillaume Canet « Jérôme ». Rien que ça, c’est énorme. C’est ce qu’on rêverait de faire si on croisait la Cane. Johnny met d’ailleurs un zèle particulier à interpeller l'autre enclume d'un petit « Jérôme » dans chaque phrase ! Il coupe ensuite un dialogue embarrassant pour aller « allumer le feu », et il chante ces trois mots mythiques en allumant la cheminée, d’une voix de castrat improbable. Magique. La scène se termine quand Canet quitte le château de Laetitia et Johnny, mais ce dernier nous offre un petit rappel inespéré en hélant « Jérôme » depuis les barreaux d’un soupirail, d'où il lui chante « Les Portes du pénitencier », presque en entier. Dieu sait que je me fous de Johnny Hallyday comme d’une guigne, mais il est un petit rayon de soleil dans ce film si terne.





La toute fin du film, et par toute fin j'entends l'ultime séquence avant générique de clôture, est vaguement sympa aussi. A ce moment-là Canet est totalement transfiguré après mille séances de chirurgie esthétique et d'injections de stéroïdes (effets spéciaux plutôt réussis pour le coup, big up aux gens qui en sont responsables, où qu'ils soient), et il part à Miami tourner dans une série qui se veut une sorte de réécriture de Rintintin avec un crocodile à la place du chien. Sa femme et leur fils, après une séparation, rejoignent finalement Canet, et mari et femme jouent ensemble dans le programme tv à deux dollars. Le générique nous présente ainsi quelques scènes de ladite série, où l'on voit Jérôme Canet marcher à côté de son crocodile, qui porte son sac à dos à sa place ; il lui indique aussi une route à suivre en le tirant par la queue pour le retenir, sans réaction de l'animal ; traverse un fleuve à dos de croco, et ainsi de suite. C'est ce film-là que Canet aurait dû réaliser. En cinq ou six plans il enterre lui-même tout le film, irritant, répétitif, trois fois trop long, sans intérêt et presque jamais drôle qu'on vient de subir. Ceci étant dit, j'essaie d'être positif, pour tenir le coup, mais c'est pas une raison pour endurer cette fange filmique. Non. Faites pas les cons.


Rock'n Roll de Guillaume Canet avec Guillaume Canet, Marion Cotillard, Yvan Attal, Gilles Lellouche et Johnny Hallyday (2017)

8 juillet 2017

Free Fire

Ben Wheatley, cinéaste anglais jadis très prometteur, continue hélas de filer du mauvais coton. Après son adaptation ratée mais risquée de J. G. Ballard, High Rise, il se fourvoie cette fois-ci dans un exercice a priori beaucoup plus facile : un film de gangsters en huis clos à la Tarantino. Sous ce prétexte, Ben Wheatley démontre qu'il est encore une fois obnubilé par le fétichisme des années 70 et son film de 90 petites minutes paraît en durer le double puisqu'il consiste en une longue et fatigante fusillade dont on se contrefiche des tenants et aboutissants ainsi que de strictement tous les personnages qui y sont mêlés. Que s'imagine Ben Wheatley ? Croit-il vraiment que quelques "fuck" judicieusement placés transforment forcément des dialogues anodins en répliques inoubliables ? En panne d'imagination, il réussit seulement à nous rappeler la pauvreté de la langue anglaise quand elle est utilisée ainsi. Et pense-t-il qu'il suffit de grimer une dizaine d'acteurs en gravure de mode des années 70 pour leur donner du charisme, de l'allure, de la classe ? Nous ne voyons que des costumes, des mannequins, des pantins, faits pour prendre des balles ou en envoyer, et nous imaginons les maquilleurs, costumiers et coiffeurs fonçant sur eux entre chaque prise pour leur refaire une beauté.




Pourtant, les beaux noms, les grosses gueules et les accents en tout genre sont bien de sortie : Cillian Murphy, d'une fadeur exceptionnelle, Armie Hammer, difficilement supportable à rouler des mécaniques dans son costard ridicule, Sharlto Copley, particulièrement nocif avec son accent d'outre-tombe, Sam Riley, qui a décidément bien mal géré sa carrière après avoir incarné Ian Curtis dans Control, Noah Taylor, que l'on a jamais beaucoup vu au premier plan mais que l'on a tout de même bien assez vu, et bien sûr, l'acteur fétiche de Wheatley, Michael Smiley, trimbalant comme toujours son gros nez tordu et sa mauvaise humeur habituelle, condamné à l'ironie patronymique. Au milieu de tous ces hommes, on a de la peine pour l'oscarisée Brie Larson qui, malgré une chemise parfaitement assortie à ses jolies bouclettes, ne devient guère l'icône que son réalisateur aurait tant aimé faire d'elle en lui attribuant le beau rôle. Tous ces acteurs essaient lamentablement de cultiver la diversité de leurs filmographies, continuellement à la recherche du film culte instantané et de l'apparition remarquée chez un cinéaste clivant aux fans véhéments. Hélas, plus Ben Wheatley filme, plus il s'éloigne de ce rang et nous fait même douter de ses premières réussites. Il confirme ici son plus mauvais penchant, pour la pose, pour un cinéma de petit malin empli de références mais incapable de créer quoi que ce soit de marquant et de personnel. C'est dommage, car on avait connu le duo qu'il forme avec sa femme, Amy Jump, bien plus inspiré que ça à l'écriture comme à la réalisation. Kill List et A Field in England restent deux films intéressants, originaux, osés, qui laissaient effectivement croire en une vraie personnalité chez leurs auteurs. Il faudra désormais un sacré revirement pour que nous puissions de nouveau y croire.


Free Fire de Ben Wheatley avec Brie Larson, Cillian Murphy, Armie Hammer, Sam Riley et Sharlto Copley (2017)

5 juillet 2017

L'Homme des vallées perdues

Un cavalier seul apparaît à l'horizon, se détachant sur les montagnes du Wyoming, comme né des fantasmes du petit garçon qui l'aperçoit de loin et n'attendait que lui. L'homme, qui répond au nom de Shane (Alan Ladd), se présente à l'enfant, Joey, puis à ses parents, Joe et Marian (Van Heflin et Jean Arthur). Silencieux sur son passé, il ne faut que quelques minutes à Shane pour se lier d'amitié avec les Starret, cette famille de fermiers sans histoires, quitte à devenir l'associé improvisé de Joe, le propriétaire pourtant farouche des lieux, contre les éleveurs, et en particulier leur meneur Rufus Ryker (Emile Meyer), qui tentent d'intimider et d'expulser l'ensemble des cultivateurs du coin pour permettre à leur bétail de s'étendre au plus loin.




L'amitié et l'entraide entre Shane et Joe Starret est un des atouts majeurs du film, même si le ridicule est frôlé quand on les voit taper en canon sur une souche d'arbre à coups de haches avec une banane de tous les diables. Leur relation devient plus intéressante quand il s'agit plutôt de taper à l'unisson sur les éleveurs dans le saloon local, lui aussi contrôlé par Ryker, ou de se taper l'un sur l'autre à la fin du film, quand Shane tabasse son collègue pour l'écarter du duel final contre l'ennemi et lui sauver la vie. Cette échauffourée amicale sans pitié rappelle avec plaisir quelques modèles du genre, comme la mythique empoignade des acolytes de They Live.





Mais ce qui touche particulièrement dans ce film, c'est sa grande simplicité, qui va de l'évidence de cette amitié qu'il dépeint (comme est évidente l'attirance réprimée que Marian éprouve pour Shane et réciproquement), à la physionomie des acteurs choisis, à commencer par ceux qui composent le triangle amical et amoureux central, tous trois sobrement émouvants, mais aussi les seconds rôles, comme Elisha Cook Jr., dans la peau d'un petit cultivateur sympathique nommé Frank « Stonewall » Torrey, en hommage au général sudiste qu'il admire et à sa ténacité face aux menaces de Ryker.




La séquence où le brave Torrey est envoyé ad patres par Jack Wilson (sublime Jack Palance), tueur à gages embauché par Ryker pour en finir des fermiers, dénote d'ailleurs terriblement dans la partition que nous joue Georges Stevens, étant une des rares manifestations brute de violence du film (entre deux bagarres de bar plus amusantes qu'autre chose), d'une puissance étonnante. George Stevens fait de cet assassinat un exemple (bien au-delà de celui que Ryker entend donner à ses opposants pour les terrifier et leur intimer de fuir) jugeant manifestement inutile de se répandre en tueries et en scènes d'injustices : un homme bon et innocent tué de sang froid, pour rien, et s'écroulant dans une flaque de boue suffit à dire l'impitoyable violence du grand ouest. 




Cette image marque l'esprit, au même titre que celle, d’Épinal, qui conclut le film, du lonesome cowboy héroïque, blessé, peut-être à mort, s'en allant vers d'autres horizons, condamné à errer de ville en ville jusqu'à sa disparition complète. Mais ce n'est pas le cliché qui bouleverse, en tout cas pas tout seul, ce qui serre le cœur et que donc nous retiendrons, c'est bien le cri de l'enfant qui retentit dans la vallée, ce Goodbye Shane (le titre d'origine, ce limpide Shane, est encore plus beau que le nôtre), jeté dans le désert sur une silhouette déjà lointaine.


L'Homme des vallées perdues de George Stevens avec Alan Ladd, Van Heflin, Jean Arthur, Elisha Cook Jr., Jack Palance et Emile Meyer (1953)