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31 octobre 2020

Pumpkinhead : le démon d'Halloween

On doit aussi au regretté Stan Winston, grand maître des effets spéciaux ayant notamment travaillé pour Spielberg et Cameron, deux longs métrages en tant que réalisateur. Le premier, Pumpkinhead, sorti en 1988, jouit d'une belle réputation, c'est donc avec une certaine curiosité que je m'y suis risqué. Il s'agit de l'adaptation d'un très bref poème signé Ed Justin que l'on pourrait grosso mierdo traduire ainsi : "Si t'as des emmerdes / Fais appel à Pumpkinhead". Pumpkinhead n'est autre qu'un démon, le démon de la vengeance pure, froide et implacable. Il a une sale tronche toute déformée, en forme de potiron, comme l'indique son blaze, et mesure environ 3 mètres : vous n'avez franchement pas envie de croiser sa route, croyez-moi. Assez proche de la reine d'Aliens, Pumpkinhead a plutôt une bonne allure et entretient la nostalgie des amateurs de films d'horreur pour les effets spéciaux d'antan ; il permet à Stan Winston d'exploiter ses talents bien connus pour donner vie à des monstres en animatronique.





Anéanti par la mort accidentelle de son fils, défoncé par une bande de jeunes débiles venus tester leurs motocross dans les collines de ce bled paumé, Lance Henriksen choisit de faire appel au fameux démon pour assouvir sa terrible soif de vengeance. Il s'adresse donc à la sorcière du coin pour ranimer le démon qui sommeillait dans un vieux cimetière ultra glauque. Comme dans tout bon pacte avec des forces maléfiques, Lance Henriksen devra faire couler son propre sang pour espérer voir sa prophétie vengeresse s'accomplir. Une fois réveillé, Pumpkinhead se révélera aussi impitoyable que le veut sa réputation et quelques jeunes tocard en feront les frais... 





Pumpkinhead a effectivement du charme et m'aurait sans doute beaucoup plu si je l'avais découvert adolescent. Il y a là une bonne ambiance, sombre et bien craspec, qui fait plaisir à voir. Stan Winston aime le cinéma d'horreur et il fait ça sérieusement, cela se sent. Il situe son film dans un de ces coins reculés comme les adorent les réalisateurs spécialisés dans le genre, sans toutefois tomber dans les clichés. Une introduction efficace, où le personnage, campé ensuite par Henriksen, enfant, assiste aux exactions du Pumpkinhead, plante parfaitement le décor, donnant d'emblée un puissant parfum de conte macabre et fantastique au film. On peut donc aisément comprendre pourquoi le premier long métrage de Stan Winston jouit d'une si bonne réputation et qu'il est même culte pour certains aficionados. Vu aujourd'hui, certains passages mettant en scène ces ados idiots sont assez risibles, et je dois avouer que j'ai eu un peu de mal à me passionner pour cette histoire si linéaire et prévisible, malgré le soin réel apporté à l'ouvrage et l'évidente sincérité des humbles artisans impliqués. 


Pumpkinhead : le démon d'Halloween de Stan Winston avec Lance Henriksen, Jeff East et Cynthia Bain (1988)

30 octobre 2020

You Should Have Left

Vingt ans après Hypnose, son plus haut fait d'armes en tant que réalisateur, David Koepp retrouve Kevin Bacon pour un nouveau thriller horrifique où l'acteur est sujet au doute, au stress et à des hallucinations. Au vu du résultat, on se dit que les deux individus auraient pu fêter leurs retrouvailles entre eux, en privé, voire plus prudemment sur Zoom, et en tout cas nous laisser à l'écart, ne pas nous inviter, n'en conserver aucune data, dans un geste à la fois écolo et altruiste. S'il n'est pas complètement nul et qu'il est humainement possible de tenir d'un bout à l'autre sans trop souffrir (la preuve, j'y suis arrivé lors d'un voyage en train que ce film ne m'a pas donné l'impression de rendre beaucoup plus court...), You Should Have Left est, vous l'aurez compris, tout ce qu'il y a de plus dispensable et anodin.




Kevin Bacon incarne donc un écrivain richissime au passé trouble, désormais en couple avec Amanda Seyfried. Pour se "retrouver" et "passer du bon temps" avec leur gamine, ils choisissent de louer une maison à l'architecture douteuse, isolée quelque part au Pays de Galles (en réalité, et à des fins économiques, dans le New Jersey). Une fois sur les lieux, rien ne se passera comme prévu, et la petite parenthèse galloise de la famille Bacon n'aura rien du séjour reposant escompté... David Koepp parvient très laborieusement à nous accrocher à son scénario de malheur, basé sur un bouquin signé Daniel Kehlmann que l'on imagine forcément un peu plus touffu... On est toujours à deux doigts de couper court, mais on tient bon, vaguement curieux de connaître la suite des événements et, dans mon cas, peu désireux de sauter du train en marche, malgré un enchaînement de situations bien connues, vues et revues.




You Should Have Left fait partie de ces trop nombreux films américains dans lesquels une petite famille méprisable se met à pousser des cris de joie insupportables et éructe à tour de rôle les pires banalités lors de la découverte pleine d'enthousiasme de leur lieu de villégiature, pourtant proprement hideux. Ces gens-là doivent être tellement habitués au bitume... Ici c'est donc cet effroyable chalet rectangulaire sans aucun cachet, triste superposition moderne de baies vitrées, renfermant de longs couloirs glauques donnant sur de vastes pièces carrées aux murs gris, piètrement décorées. Et c'est donc ce lieu en apparence sans âme ni histoire, flambant neuf et ultra clean, que David Koepp veut nous rendre maléfique... Il est bon de parfois tordre le cou aux clichés, de ne pas nous proposer encore une vieille demeure au style gothique avec portail menaçant en fer forgé et toiles d'araignée dans tous les coins, mais encore faut-il que l'alternative choisie ne soit pas aussi merdique...




Malgré tout, admettons qu'il y a quelques semblants d'idées de mise en scène, dont un enfant de 12 ans pourrait être fier, lorsque Koepp joue justement de l'architecture mystérieuse de cette ignoble baraque. Ce passage où Kevin Bacon essaie de piger comment les pièces sont agencées, mesure la longueur d'un mur à l'intérieur puis à l'extérieur constatant une différence inexplicable, puis observe sa fille ouvrir une porte qui devrait la mener dehors et la fait simplement disparaître du cadre pour on ne sait où, est strictement le seul moment que je sauve là-dedans. Le seul. Pour le reste, circulez, il n'y a vraiment rien à voir. L'un de ces films qui nous ont amené à dire que le cinéma était bel et bien perdu pour cette année.


You Should Have Left de David Koepp avec Kevin Bacon et Amanda Seyfried (2020)

27 octobre 2020

Extra Ordinary

Cette comédie horrifique irlandaise, écrite et réalisée en duo par Enda Loughman et Mike Ahern, s'inscrit humblement dans la lignée des Ghostbusters et autres Fantômes contre Fantômes. Les esprits frappeurs servent d'abord de ressort comique et les médiums chargés de soulager leurs victimes se débarrasseraient volontiers de leur don, un fardeau bien lourd à porter. Ici, c'est une célibataire à la trentaine bien tassée (Maeve Higgins), qui tient ses dons spirites de son défunt paternel mais préfère se consacrer à son petit business d'auto-école plutôt que d'exploiter ses talents paranormaux. Jusqu'au jour où un homme désespéré (Barry Ward), embêté par le fantôme de sa femme décédée, en vient à lui demander de l'aide pour sauver sa fille, prise pour cible par la vedette locale, un vieux chanteur de rock chrétien (Will Forte), à la recherche d'une vierge pour pactiser avec le démon et renouer enfin avec le succès...
 
 
 
 
Derrière ce drôle de pitch se cache un petit film tout à fait aimable qui pourrait vous faire passer un bon moment, à condition d'avoir envie de quelque chose de léger et souriant. Extra Ordinary est une modeste réussite dans un sous-genre, la comédie horrifique ou fantastique, où il est de plus en plus rare d'exceller mais très courant d'agacer. Comme dans les autres films de cette catégorie, Mike Ahern et Enda Loughman s'adonnent à quelques clins d’œil inévitables (L'Exorciste, Poltergeist, SOS Fantômes, etc), mais ils font cela sans aucune lourdeur et il ne s'agit pas du tout de leur premier argument comique, nous sommes très loin de la parodie. Dès ses premières minutes, le film dégage son charme délicat, trouve son ton singulier et son petit rythme bien mené, qui nous placent d'emblée dans les meilleures dispositions.
 
 
 
 
C'est d'abord grâce à ses personnages principaux sympathiques et attachants qu'Extra Ordinary parvient rapidement à exister par lui-même. Le film doit beaucoup à son actrice principale, Maeve Higgins, très amusante et naturelle, elle n'en fait jamais trop et ses petites facéties nous charment rapidement. A ses côtés, Barry Ward, sosie rajeuni d'Arsène Wenger, s'en tire très bien lui aussi, fort de son charme discret de gentleman ; nous avons tout simplement envie de voir ces deux-là s'acoquiner puis tomber amoureux. Face à eux, dans un rôle d'hurluberlu taillé sur mesures et propice aux écarts de conduite, Will Forte a ses quelques bons moments et nous sommes contents de retrouver cet acteur au talent comique véritable dans un film qui lui ressemble (avec encore toutefois une légère frustration car il aurait pu être plus exploité).
 
 

 
Le dernier acte, moment parfois très laborieux dans ce genre de films puisque l'on y perd trop souvent de vue l'humour et la légèreté au profit de la résolution inévitable d'intrigues tarabiscotées, est ici assez réussi. Il constitue même un moment fort grâce à une situation très osée et loufoque, que je ne vous révèlerai pas dans le souci de maintenir le plaisir de la découverte intact chez nos deux lecteurs de passage. Enfin, les effets spéciaux ne sont jamais envahissants et quasiment toujours réussis, ils contribuent eux aussi à faire d'Extra Ordinary une petite chose agréable et joliment faite qui sait toujours éviter, l'air de rien, les écueils cruels de son genre.
 
 
Extra Ordinary de Enda Loughman et Mike Ahern avec Maeve Higgins, Barry Ward et Will Forte (2019)

20 octobre 2020

Dolores Claiborne

Dans la trop grande famille des films américains des années 90 qui ont putain de mal vieilli, je voudrais la grosse tante relou dont tout le monde n'a strictement plus rien à foutre : Dolores Claiborne. Dans la catégorie des adaptations de Stephen King en marge de l'épouvante et du fantastique, je voudrais l'une des plus pourries du lot, celle où la psychologie à coups de hache chère au célèbre écrivain du Maine fait le plus de ravage : Dolores Claiborne. Et parmi les réalisateurs dont la filmographie entière pourrait disparaître en fumée à tout jamais sans peiner personne, à commencer par lui-même, je nomme Taylor Hackford. Dites-vous pourtant qu'en 1995, cet homme-là était alors au sommet de sa carrière, puisqu'il enchaîna directement avec L'Associé du diable ! Est-il vraiment nécessaire d'en rajouter ? Marié à Helen Mirren depuis 1997 – ces années-là ont décidément été les meilleures de sa vie –, Taylor Hackford semble avoir toujours privilégié sa vie privée et familiale. On ne peut pas lui en vouloir pour cela. Il ne s'attendait certainement pas à ce que l'on redécouvre et juge ses œuvres 25 ans après leur sortie.




Dolores Claiborne contient tous les poncifs chers aux histoires de Stephen King, avec mari alcoolo, enfant abusé, femme battue et flic débile, le tout réuni au sein d'une petite bourgade du Maine où les ragots circulent rapidos pour mieux créer un bouc émissaire tout désigné. Il s'agit ici de Kathy Bates qui, dans le rôle titre, incarne une bonne femme scrutée de près suite à la mort de la très riche vieille femme dont elle était l'intendante. La fille de Dolores, campée par Jennifer Jason Leigh, journaliste à New York fâchée avec sa maman, lui vient tout de même en aide et se rabiboche progressivement avec elle, tout en faisant resurgir un passé douloureux... Désolé, je vous fais ce résumé sans la moindre envie ni passion et ça se sent, sortons vite de ce paragraphe si pénible !




Que peut-on sauver là-dedans à la revoyure ? Rien, ou si peu... La façon fluide dont sont amenés les nombreux flashbacks n'est pas si moche, reconnaissons-le. Contrairement à la règle actuelle, c'est le présent qui est tout terne et grisâtre, désaturé façon vert-de-gris, et lorsque survient un flashback, celui-ci s'annonce d'abord par des couleurs ravivées, une lumière toute autre, plus franche, qui fait souvent son apparition en arrière-plan. Sans rupture, par un simple mouvement de caméra ou un changement de mise au point, se déroule alors un flashback révélateur. Les deux premières fois, on est agréablement surpris et ça nous permet de relever un peu les yeux, puis cela devient vite une mécanique assez pénible et répétitive. Notons d'ailleurs qu'à la même période, en 1996, John Sayles faisait à peu près la même chose mais avec un tout autre talent et au cœur d'un récit bien plus ample et ambitieux dans son assez beau Lone Star, dont la façon d'amorcer gracieusement les retours vers le passé constituaient le principal intérêt. 




Dolores Claiborne est lourd, laborieux et long. Si long... Quel intérêt de mater ça aujourd'hui ? Je me le demande encore. Ma curiosité m'a encore joué un vilain tour. La scène clé du film, celle qui permet de tout piger et de regarder d'un autre œil, où nous assistons à la mort pas si accidentelle que ça du mari de Dolores, est une agression visuelle aussi gratuite qu'inattendue. Cet événement décisif survient en même temps qu'une éclipse de soleil qui détourne l'attention de l'île toute entière. Sur le papier, c'est bien pratique, mais à l'écran... Car qui dit éclipse solaire dit couleurs bouleversées, ce qui, à travers la caméra de Taylor Hackford, donne quelque chose de tout simplement hideux. Le ciel devient orangeâtre et le visage de Kathy Bates, filmé en trop gros plan, donne l'effet d'une horrible surimpression. Bref, si toutes les copies de ce film venaient à disparaître mystérieusement et s'il ne restait plus que le pauvre fichier mp4 qui m'a permis de le découvrir, je le supprimerais sans vergogne, pour effacer toute trace de son existence de la surface du globe. Ou peut-être demanderais-je une rançon à Stephen King qui, évidemment, cite ce triste film parmi ses adaptations préférées...


Dolores Claiborne de Taylor Hackford avec Kathy Bates, Jennifer Jason Leigh et Christopher Plummer (1995)

13 octobre 2020

La Route sauvage

Déjà excellent dans The Clovehitch Killer, le frêle Charlie Plummer confirme qu'il est bien l'un de ces jeunes acteurs américains sur lesquels il faut compter. Il est l'un des principaux atouts du troisième long métrage du britannique Andrew Haigh, La Route sauvage, un joli récit d'apprentissage adapté d'un bouquin signé William Vlautin et paru chez nous sous le titre Cheyenne en automne. Bien qu'il joue son petit-fils dans Tout l'argent du monde, Charlie Plummer n'a aucun lien de parenté avec Christopher Plummer. Il est une sorte de croisement savant entre Leonardo DiCaprio, pour son charme juvénile, Paul Dano, pour son visage lisse diffusant une étrange placidité, et le regretté River Phoenix, pour l'espèce de fragilité mélancolique, rebelle et lumineuse qu'il dégage aussi. Il incarne ici Charley, un garçon d'une quinzaine d'années qui vit seul avec son père, sans le sou. Désœuvré et livré à lui-même, il se découvre une passion pour le canasson en s'aventurant au gré de ses errances sur les champs de course situés non loin de chez lui. Un type qui bosse là-bas, un peu rugueux mais pas méchant, joué avec talent par le trop rare Steve Buscemi, le prendra rapidement sous son aile, trouvant surtout en lui une aide précieuse et efficace dans son travail quotidien auprès des bêtes et notamment de son cheval vedette, nommé Lean on Pete (il donne son titre original au livre et au film, effectivement intraduisible en français).




Inutile d'en dire davantage sur l'histoire d'un film immédiatement plaisant et qui déroule son petit fil sur un rythme très tranquille, presque reposant. Andrew Haigh, dont les deux longs métrages précédents (45 years et Weekend) valaient aussi le coup d’œil, se consacre pleinement ici à nous dépeindre le portrait d'un adolescent esseulé, abandonné par une mère qu'il n'a pratiquement pas connue et délaissé par un père, foufou mais sympathique, auquel il reste toutefois très attaché. Dans une quête désespérée de stabilité, de normalité, Charley va chercher une famille de substitution, qu'il croira trouver auprès de l'éleveur campé par Steve Buscemi, de sa cavalière jouée par une agréable Chloë Sevigny et du cheval vieillissant dont il s'occupe avec le plus grand soin. Le rôle maternel endossé par Sevigny, peu avare en conseils donnés à son cadet, va un temps infantiliser le récit avant qu'une ultime désillusion ne change la donne. Animé par un nouveau sentiment d'abandon et de trahison, le jeune protagoniste fuit sans prévenir, part seul avec son cheval, d'abord au volant d'un pick-up volé puis à pieds, engageant le film sur le champ du road movie existentiel, à la destination incertaine. Paradoxalement, c'est quand il prend la route que Lean on Pete se met à stagner et semble définitivement se contenter d'être la petite chose agréable qu'il est bel et bien. C'est dommage, car avec un peu plus de caractère, il aurait pu prendre une autre envergure.




S'appuyant donc sur l'interprétation irréprochable de son acteur principal, fort justement récompensé à Venise par le prix décerné aux meilleurs espoirs, le cinéaste porte un regard très juste et délicat sur l'adolescence. Autour de cette figure centrale que l'on ne quitte jamais d'une semelle, le cinéaste parvient à faire vivre des personnages qu'il ne juge jamais et qu'il sait tous nous rendre attachants malgré leurs gros travers (le côté rustre de l'éleveur, l'immaturité fatale du père). En dépit de sa modestie trop affichée, il y a quelque chose de vraiment envoûtant dans ce film sobre, humain et simple qui nous plonge dans l'Amérique rurale et au milieu des grands espaces ici filmés avec une application notable par une caméra inspirée qui rend contagieuse sa fascination manifeste pour ce pays. On pense un peu à du Gus Van Sant et à du Kelly Reichardt en mode mineur devant ce beau film patient qui, encore davantage dans sa deuxième partie, s'intéresse lui aussi aux laissés-pour-compte et finit par adopter un réalisme social assez dur. La dernière image nous quitte de la meilleure des manières, sur une note positive et pleine d'espoir, avec enfin une certitude : celle que l'avenir sera plus doux pour notre jeune héros, après toutes les épreuves traversées.


La Route sauvage (Lean on Pete) d'Andrew Haigh avec Charlie Plummer, Steve Buscemi et Chloë Sevigny (2018)

6 octobre 2020

Les Insectes de feu

J’avais 12 ans quand j’ai découvert ce film. A l’époque, j’avais deux phobies : les insectes et le feu. Autant dire que sur moi, ce film a eu un effet bœuf. Quand j’étais jeune ado, j’aimais avoir les chocottes gratos et j’adorais donc tout particulièrement mater des films de ce genre. J’aimais voir mes plus grandes peurs emprisonnées derrière mon écran de télévision, domptées et inoffensives. Ou du moins c’est ce que je croyais pendant que je visionnais ces films car quand, la nuit tombée, venait le moment d’éteindre la lumière, je regrettais d’avoir voulu faire mon malin. Je ne trouvais pas le sommeil et je repensais immanquablement à ces terribles insectes de feu. Ces blattes incandescentes échappées des entrailles de la Terre suite à un séisme de magnitude 8,9 sur l'échelle de Teddy Richert. Ces cafards démoniaques qu'un savant fou choisit d'étudier du matin au soir et du soir au matin, quitte à s'y brûler les ailes, ou au moins les pinceaux, quitte à y fumer son couple et y laisser sa vie, trop obnubilé à l'idée de percer le secret de ces vermines, de résoudre l'énigme de ces briquets à six pattes, de ces zippos à deux antennes. Telle est l'histoire de ce film phare de mes années 90, sorti en 1975.
 
 
  

Ce film est l’œuvre de Jeannot Szwarc, bien plus connu dans le métier sous le nom de « Jeannot Laissebéton » puisque c’est ce qu’il répétait systématiquement quand on lui demandait d’épeler son véritable patronyme. Jeannot Szwarc est l'un des premiers cinéastes français dont le talent, vite repéré par les producteurs américains, s'est principalement exprimé à Hollywood. C'est lui, l'homme plein de courage et d'abnégation, qui a eu le cran de passer derrière tonton Spielberg pour réaliser la première suite des Dents de la mer, à mon sens supérieure à l'original (le requin finit électrifié par un Romy Schneider à cran, et j'ai dans ma chambre un poster géant de cette scène culte). On lui doit également Hercule et Sherlock, avec Chris Lambert et Rick Anconina dans les rôles de deux chiens réincarnés en flics. Jeannot Szwarc a donc trois de mes films fétiches à son actif. Trois films importants pour moi, qui ont marqué ma petite vie de cinéphile. Mais revenons donc à nos Insectes de feu, et à la raison pour laquelle ce film continue de me hanter jour et nuit.
 
 

 
On évolue au quotidien avec dans nos poches des gadgets électroniques susceptibles de prendre feu à tout moment. Nos maisons sont pleines d’appareils électrifiés qu’une simple étincelle suffirait à faire exploser. Pour ne rien gâcher à cet effrayant tableau, je suis chaque jour froqué en survêt’, vous savez, ces fringues particulièrement moches mais amples et confortables, fabriquées dans une matière qui s’enflamme en un clin d’œil : le polyuréthane. Ils nous fondent littéralement dessus quand une petite escarbille vient s’y poser. Ils font de nous des grands brûlés en l’espace de quelques centièmes de secondes. S’il y a bien une chose que je redoute, c’est la combustion spontanée. On évolue au jour le jour avec toutes ces menaces qui nous entourent. Pour ces raisons, j’ai fait le choix personnel de ne plus évoluer. Je n’évolue plus depuis que j’ai 12 ans. Mais par conséquent, j’ai toujours peur des insectes, encore davantage du feu et je continue à mater des films de merde. Celui-là est mon pire cauchemar.


Les Insectes de feu de Jeannot Szwarc avec Bradford Dillman, Joanna Miles et Richard Gilliland (1975)

1 octobre 2020

La Fille de Ryan

La Fille de Ryan est ressorti en version restaurée en 2013 et fut cette année-là diffusé au festival de La Rochelle, dont j'avais parlé ici et . Je n'avais malheureusement pas pu le voir à l'époque. C'est chose réparée sept ans plus tard. Et le regret de ne pas l'avoir découvert sur grand écran dans la belle salle de la Coursive n'en est que plus grand. Ce devait être quelque chose... Tourné en 1970 par David Lean, Ryan's daughter ne lui valut qu'un succès mitigé après les immenses triomphes du Pont de la rivière Kwai, de Lawrence d'Arabie et de Docteur Jivago, au point que le cinéaste britannique ne tourna plus qu'un film ensuite, quatorze ans plus tard, Sur la route des indes, d'après E.M. Forster. On se demande, en voyant un tel film aujourd'hui, comment il put être boudé en son temps. 




La Fille de Ryan, d'une durée de 3h25 (une dizaine de minutes de moins si l'on passe l'ouverture, l'entracte et la clôture, les trois pauses musicales habituelles de ces longues fresques de l'époque), nous raconte l'histoire du personnage éponyme, Rosy Ryan (géniale Sarah Miles), fille du tavernier de Kirrary, un petit village de la péninsule de Dingle en Irlande, éprise de l'instituteur local, Charles Shaughnessy (Robert Mitchum), de quinze ans son aîné, puis, après leur mariage, insatisfaisant pour la jeune femme, amoureuse encore, d'un jeune officier anglais récemment blessé sur le front belge et traumatisé par son expérience du combat, Randolph Doryan (Christopher Jones), nommé en cette année 1916 au commandement d'une garnison anglaise surveillant la région alors chahutée par la guerre d'indépendance tandis que Tim O'Leary (Barry Foster), figure de la résistance irlandaise, est de retour au pays pour organiser un trafic d'armes. 

 



C'est un de ces rares films où rien, pas une scène, n'est en-dessous des autres. Chaque séquence possède une couleur bien à elle, une force particulière, et compte absolument, y compris celles qui semblent moins vitales au récit. Je pense par exemple à ce long dialogue entre l'officier anglais fraîchement débarqué sur la côte et son sous-fifre qui l'accueille et lui avoue petit à petit sa lâcheté et son immense peur à l'idée de rejoindre le front en Europe. C'est une scène qui ne fait pas particulièrement progresser le récit, mais qui dit beaucoup de choses, et la richesse du dialogue, le jeu des comédiens, la précision du montage, ce qu'elle dit des hommes et de la guerre, avec une simplicité désarmante, et que l'on entend rarement aussi bien, en font un sacré moment.  


 


Et c'est sans parler de moments plus importants pour les personnages principaux, celui où Rosy accueille le professeur Shaughnessy de retour d'un congrès d'instituteurs, au début du film, la scène où la jeune femme déclare sa flamme à son aîné dans la salle de classe où il fut son enseignant, celle de leur nuit de noces, disons compliquée, le coup de foudre de Rosy et de l'officier Doryan dans la taverne déserte, après une réminiscence traumatique, et plus tard, lors d'une sortie scolaire à la plage, ce moment où l'instituteur suit des traces de pas suspectes sur le sable, l'imagination en ébullition. Mais il faudrait toutes les citer.




David Lean offre ici le grandiose, avec des plans d'ensemble sidérants de majesté, quand il filme les côtes d'Irlande et l'océan comme il filmait le vaste désert de Jordanie huit ans plus tôt, et l'épique, lorsque, dans la lignée des grandes chevauchées dans le désert et des gigantesques batailles à cheval, il réalise une incroyable séquence de tempête où tous les villageois et toutes les villageoises viennent en aide au rebelle Tim O'Leary et se démènent comme des diables pour faire ce qu'ils savent parfaitement faire, braver les éléments et pêcher, sauf que la récolte consiste cette fois en des caisses d'armes et de bâtons de dynamite qui serviront la révolution. Mais le film mêle ce souffle digne de Lawrence d'Arabie au portrait d'une jeune femme, à la peinture précise de sentiments naissants, à l'intimité bouleversante du couple (l'officiel et l'illégitime, observés avec la même sincérité, la même tendresse), à la complexité des sentiments de ses personnages, tous touchants et aimés par celui qui les met en scène. Car au-delà du triangle amoureux, David Lean peint d'autres caractères passionnants, en particulier ceux du père Collins (Trevor Howard), de Ryan (Leo McKern), le père de Rosy, tiraillé entre l'amour pour sa fille et la cause révolutionnaire, ou Michael (John Mills), l'idiot du village, fou amoureux de Rosy, boitant comme son rival l'officier et martyrisé par ses pairs. 

 


On retrouve donc à la fois l'immensité de paysages vivants, la côte irlandaise sublimée tout au long du film, ainsi que le souffle épique de l'Histoire, la communauté en mouvement pour la révolution, et le drame minuscule d'un amour interdit (sans parler de l'adultère, une irlandaise ne pouvant s'amouracher d'un officier anglais), traité avec la même subtilité que dans un bref mélodrame et vrai chef-d’œuvre tel que Brève rencontre, tourné par le même David Lean en 1945, qui racontait la tentation d'une femme mariée, aimant son époux mais soudain éprise d'un homme de passage dans un hall de gare, amant incarné d'ailleurs à l'époque par le même Trevor Howard qui joue ici le curé du village et confident de Rosy. Et la finesse du scénario est égale, où l'on retrouve des personnages dignes et intelligents, qui pourraient s'en tirer plus simplement si la société et l'Histoire ne venaient pas se fracasser sur eux.

 


 
 
Et Rosy cède à la tentation, ce qui donne l'occasion à David Lean de tourner une autre scène étonnante, comme une parenthèse dans le film, une rupture, où Rosy et l'officier Doryan achèvent une promenade à cheval dans un bois, dont ils franchissent la frontière avec solennité, dans un mélange de peur et d'attrait, pénétrant un lieu autre, fermé au monde, secret, et s'y enfonçant, lieu que le cinéaste filme avec désir et attention, accordant de l'intérêt aux moindres détails (feuilles, rosée, mousse, souffle des chevaux), lesquels passent au premier plan et participent de la sensualité de l'instant. 
 
 

 
 
La mise en scène de cette étreinte interdite, qui conjugue géographie amoureuse et pulsation érotique du sous-bois, rappelle le travail de Pascale Ferran dans Lady Chatterley (à ceci près qu'ici Rosy découvre le plaisir auprès de l'officier anglais estropié quand Conny délaissait un mari du même acabit pour rejoindre le garde-chasse Parkin dans la forêt). Devant cette scène, on se demande pourquoi David Lean n'a jamais tenté d'adapter un texte de son compatriote l'écrivain D.H. Lawrence, avant de se raviser, puisque manifestement, dans cette séquence étonnante, il l'a un peu fait, et d'une bien belle façon.

 

La Fille de Ryan de David Lean avec Sarah Miles, Robert Mitchum, Christopher Jones, Barry Foster, Trevor Howard, Leo McKern et John Mills (1970)