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7 avril 2020

Vif-Argent

Premier film de fiction de Stéphane Batut, auteur jusqu'ici de deux documentaires, Vif-Argent est une réussite prometteuse. Le film s'ouvre avec un jeune homme (Thimotée Robart), allongé au bas de la falaise des Buttes-Chaumont, qui se réveille, manifestement inquiet, interpelle une bande de jeunes qui l'ignore, tente de les rattraper, dévale une pente et tombe sur les rails que les jeunes arpentent. Mais quand ces derniers arrivent à son niveau, ils ne le voient pas, et une fille de la troupe trébuche sur lui sans le remarquer. On comprend vite que le jeune homme n'est plus de ce monde. Heureusement, un homme est là qui le voit et le prend sous son aile, rassurant, réconfortant. Et le reste du film ne nous privera pas du ton bienveillant, doux, accueillant de cette première rencontre programmatique entre notre jeune fantôme et son passeur, Alpha (Djolof Mbengue), cet homme si sympathique qui devient aussitôt et restera pour lui (et pour nous) un ami.




Puis notre garçon, Juste, rencontre une femme (exit Saint-Pierre), Kramarz (Saadia Bentaïeb), pour un jugement dernier en toute sobriété, et ressort de cet entretien avec une mission. Ellipse. Quelques années plus tard, Juste, devenu passeur à son tour, sillonne Paris, invisible, attendant de croiser la route de nouveaux morts à accompagner ; toujours selon le même rituel : il demande à celle ou celui qui vient de mourir de faire le récit d'un souvenir, que Juste visualise en fermant les yeux, et dans lequel il se déplace en même temps qu'il y convie le trépassé, invité à réintégrer une scène du passé qui lui servira de sas paisible vers l'au-delà. Cette très simple mais belle idée décloisonne le film et nous déplace, le temps de quelques sorties bienvenues, dans la jungle, sur les contreforts des Alpes ou au bord de la Méditerranée, en Italie. Mais dans le métro, Agathe (Judith Chemla), une femme bien vivante, voit Juste, et pense le reconnaître.




Le film, au casting parfaitement réussi, invente de beaux personnages, intéressants et touchants, qui existent très fort parfois en très peu de temps, à la faveur de textes bien écrits (ce sont les différents morts, dont un joué par Jacques Nolot, que l'on est toujours content de recroiser ; l'ami passeur de Juste, le fameux Alpha, mais aussi sa femme, personnages qui bénéficient de quelque largesse de la part de Sainte-Kramarz, et on la comprend ; le père de Juste ; Agathe, et sa grand-mère). Vif-Argent s'inscrit donc dans la lignée de ces quelques films qui se consacrent à l'un des grands pouvoirs du cinéma : filmer des fantômes, montrer l'absent. Sans le comparer à des films récents comme Oncle Boonmee ou L'étrange affaire Angelica, on peut lui reconnaître une certaine originalité, un scénario bien pensé, une réalisation inspirée, par exemple lors d'une scène d'amour particulièrement sensuelle, et quelques belles idées, comme la séquence presque finale (et sans doute vaut-il mieux ne pas lire ce qui suit avant de regarder tout ça). Dans un film qui par ailleurs évoque dans les grandes lignes le célèbre Ghost (et Stéphane Batut semble assumer cet héritage disons populaire, qui, non sans risque, clôt le film sur une version musicale de la chanson All by Myself), c'est le souvenir du film d'Amenabar, Les Autres, qui se rappelle à nous, sans citation ni twist final, mais par la grâce d'un revirement où les morts restent seuls dans un monde désert dont les vivants, bien que présents, sont invisibles.


Vif-Argent de Stéphane Batut avec Thimotée Robart, Judith Chemla, Djolof Mbengue, Saadia Bentaïeb et Jacques Nolot (2019) 

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