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29 décembre 2015

Le Labyrinthe / Le Labyrinthe : Terre brûlée

Douze jeunes hommes en colère se réveillent au sortir d'un traou. Parmi eux, une jeune femme. De quoi égayer les soirées à la prairie des filtres. Cette prairie que surplombent les immenses murs d'un labyrinthe, d'où le titre français, très éclairant quoique différent du titre original : Wes Ball. Le film est tiré d'une saga para-littéraire pour mômes qui a fait tout un foin outre-manche, à l'image de Harry Potter et les boucliers de Quetzacoatl, de Hunger Games et les boucliers de Tecucitzecatl, ou encore Divergente et les boucliers de Popocatepetl. Et comme dans tous ces romans-fleuves pour adolescents, on retrouve ici le fameux panel de jeunes trous du cul du tiéquard, à savoir le pequenaud à lunettes, le gros lard rose bonbon à binocles, le rouquemoute fumier à monocle, la tancharde semi-aveugle à triple foyers et à triple bonnets, le chinois aux cheveux pelliculeux qui porte des lentilles de contact, et le black qui n'a aucune de sorte de problème de vue. Tout ce beau petit monde, pas malin pour un sou, doit se dépêtrer d'une situation impossible : ici, un traou (ce n'était pas une faute de frappe).


Le fameux traou dont sort le blanc-bec au début du film. Trop évidente relecture de la célèbre expression "sortir du placard"... Entouré de tout un troupeau d'adolescents aveugles et boutonneux, notre héros chope illico un gros braquo.

Le héros (un acteur physiquement désagréable, si ce n'est honteux) sort de ce fameux traou dès la première seconde du film, et se découvre entouré par tous les autres binoclards qui crèchent déjà parmi les filtres depuis des mois. Là où n'importe qui se transformerait en moulin à paroles et retrouverait ses cinq ans d'âge mental, ne cessant d'interroger tout le monde : "Qui ? Quand ? Comment ? Quoi ? Pourquoi ? D'où ? Jure ?", notre jeune enflure accepte sa nouvelle vie sans broncher, trouvant simplement ses nouveaux potes assez peu loquaces, et ne cessant par conséquent de se répéter à lui-même "Passe-moi le cendar, je te refile les corbacs..." Ce manque total de curiosité de la part du bouffon en tête d'affiche est pratique pour maintenir le suspense, mais d'une incohérence qui fait grimper la rage chez le spectateur. Une raison de plus de haïr tous ces personnages d'enfants de salauds ultra-stéréotypés et vides de tout. On décoche un premier sourire à la fin du film quand le mec tout à gauche sur l'affiche se fait enfin ratiboiser la tronche (qu'il avait déjà bien éclatée de base).


Complètement ignorée par tous les mâles qui l'entourent (le virus ne les a pas transformés en zombis mais tout de même en vieux moines zens et eunuques), la seule fille de la bande finira par les [Spoiler]trahir[Spoiler].

Dans le deuxième film, rebelote. Tous les défauts sont de retour. Les producteurs et le réalisateur, Maze Runner, ont misé sur le vieillissement de leur public en faisant de leur film de SF un zombie flick soft. Au-delà du labyrinthe, une horde de zombacs a envahi le monde suite à un virus d'origine inconnue. Et la bande des têtes brûlées, recherchée par les autorités car immunisée contre le fléau, fout les voiles dans la nature à la recherche d'une nouvelle place de la daurade où couler de beaux jours. Seul passage du film un peu étonnant, qui sort des sentiers rebattus, cette scène, au début, où le héros prend une douche après avoir mangé un kebab et découvre qu'il a ses règles. Ceci étant dit, grâce à un rythme soutenu, le téléspectateur traverse le film comme une goule assoiffée. De belles images servent cette suite, allaitante et lovelace. Hypermarché.


Le Labyrinthe / Le Labyrinthe : Terre brûlée de Maze Runner avec Dylan O'Brien et Kaya Scoladerio (2014/2015)

25 décembre 2015

Les 101 dalmatiens

En ce jour de Joël (que nous vous souhaitons noyeux ! - logiquement cette première phrase vient de vous flinguer la fête), M6, la chaîne de télévision, qui ma foi existe encore, a décidé de diffuser le remake live des 101 dalmatiens de Walt Disney, réalisé en 1996 par Stephen Herek, deuxième du nom, le fils (Herek's son). Ce film, c'était le "grand come-back" de Glenn Close, au même titre que tous les films tournés par Glenn Close, actrice au parcours chaotique qui, disparaissant des salles de cinéma entre chaque film tourné, n'a cessé de "revenir" à l'écran. Glenn Close incarne ici Cruella d'Enfer, une stricte ordure humaine qui ne songe qu'à une chose : désosser 101 petits clébards innocents tachetés de black pour s'en faire un pur blouson. Glenn Close porte le film, il faut bien le dire, sur ses épaules (voir l'affiche), malgré la présence du plus fringuant Jeff Daniels au casting. Capable de déformer sa tronche dans tous les sens, plus qu'aucun animatronics ou autre dessin à main levée, l'actrice a décidé que c'était le moment ou jamais de cabotiner. Résultat électrifiant.


Sur le plateau, en bleu de travail, Glenn Close, interviewée pour les besoins du making-of par le patron de Diaphana, Mouss Diouphana, répond à la question : "Pourquoi ce film ?" en exhibant son chèque de paie. La même honnêteté, et la même longévité, qu'Harrison Ford, qui invoquait les mêmes arguments tout récemment pour expliquer son retour dans la saga Star Wars.

Je suis triste cependant, en ce jour de réveillon, car M6 a décidé de diffuser la version grand public montée par les studios Disney. Je vous recommande de tout cœur le DVD du film aux éditions Diaphana, dont les bonus soumettent à notre curiosité les deux autres versions de la fin du film, signées de A à Z par Stephen Herek : l'une ultra positive, l'autre ultra négative. La première est une variante d'une séquence bel et bien présente mais fort édulcorée dans le film tel qu'il a été diffusé aujourd'hui sur la sixième chienne, qui se situe juste avant le moment où les deux sbires de Cruella, Horace et Jaspert (ce dernier incarné par un Hugh Laurie loin de s'imaginer qu'il deviendrait bientôt un sex symbol), se font rôtir les burnes sur une clôture électrique. Dans la mouture originale de cette scène, prévue pour conclure le film, les gentils (les dalmatiens et Jeff Daniels, qui deux ans plus tôt était déjà toiletteur pour chiens dans Dumb and Dumber, chef-d’œuvre des frères Farrelly sur le point, d'après mes sources, de détrôner Vertigo en tête du palmarès du célèbre British Film Institute), gagnent, haut la main, large. C'est même un over happy end puisque le film se clôture sur une scène hilarante où Cruella d'Enfer, après avoir reçu coups de sabots sur targeons d'ailes de poulets dans la gueule au sein de la ferme où elle cherche les dalmatiens (le règne animal s'étant coalisé pour lui foutre la rouste), subit in fine les assauts déments du gros porc concupiscent dont elle a tiré le berlingot, malencontreusement confondu à travers un tas de paille avec la queue d'un des clébards traqués. Glenn Close est plus que jamais survoltée dans ces quelques minutes de cinéma underground où un goret enragé, le cousin dégénéré de Babe, crédité au générique de fin comme "Zgeg le cochon devenu acteur porno", la lui fait à l'envers sous les yeux ébahis de tous les bestiaux de la ferme. 


Jolie scène où Jeff Daniels joue à Earthworm Jim PC sous le regard bienveillant de son dalmatien, Davy Croquette.

Dans la deuxième fin alternative, c'est au contraire Cruella qui marque les trois points. Rien de visuellement traumatisant ni de gore dans cette version-là. A condition toutefois de ne pas du tout aimer les animaux. En effet, Cruella finit ici par mettre la main sur chacun des 101 chiots des quais (elle n'en loupe pas un), et les dépèce un à un sous l'objectif un brin complaisant de Stephen Herek, avant de les coudre tête-bêche, pour finir reine du défilé, pavoisant sur le podium avec son manteau de poils ras, toute de chiens morts vêtue. Gênant. Peut-être vous dites-vous que, tout compte fait, la version plus connue du film est encore la plus adaptée à un public enfantin. Certes, mais c'est faire fi de la cruauté inhérente aux contes merveilleux, et fermer les yeux sur l'audace délirante d'un authentique jobard du cinéma en la personne de Stephen Herek, fan incorrigible du cinéaste belge Jean-Louis Le Tacon, comme le prouvent ces deux fins originales qui réunissent l'amour du porc et la fascination pour le massacre animal qui font la richesse de Cochon qui s'en dédit, documentaire tétanisant s'il en est. Mais soit. Je peux comprendre. Chacun son délire. Et pour ceux qui veulent se perdre parmi les dalmatiens en ce 25 décembre, bouffer 250 minutes de ienchs et faire des rêves en noir et blanc jusqu'au nouvel an, le film est suivi des 102 dalmatiens, avec notre Gérard Depardieu national dans le rôle de Cruella d'Enfer. Exit Glenn Close. Cruella recherche cette fois-ci un clebs de plus, le cent-deuxième du titre, pour compléter sa tenue et agrémenter le manteau de ses rêves d'un slip XXL.


Les 101 dalmatiens de Stephen Herek avec Glenn Close, Jeff Daniels et Hugh Laurie (1996)

20 décembre 2015

Mustang

D'abord le titre. Quand on entend Mustang on pense tout de suite à la fameuse marque de guitare. Puis on se souvient que tout le monde n'est pas aussi pointu que nous en matière de zique, et que l'association la plus commune dans la majorité des cerveaux humains est sans doute celle avec le fameux cheval du même nom. Devant le film, on se dit "Non, cela doit être plus malin que cela". Peut-être qu'une Ford Mustang va heurter tout le casting d'un seul coup (un strike) et justifier le titre ? Eh bien non, nous n'aurons pas cette chance. Le titre du film est bel et bien une référence quasi directe au cheval. Quasi si on retire l'aspect guitare, auquel on pense évidemment en premier. Ce groupe de filles, cette sororité visible sur l'affiche (ÉQUIVOQUE !...), toujours filmée en plan large, cheveux au vent, toute entière contenue dans le cadre, pendant les quinze premières minutes, est bel et bien associée à un troupeau de chevals. 




Ce film sur la condition des femmes en Turquie associe donc la femme à un cheval. Nous, ça nous gêne. Apparemment c'est passé, comme une lettre à la poste, puisque le film a été salué unanimement (à l'exclusion de tous ceux qui ont un peu de goût et de jugeote). Ce film franco-turc-allemand a été le candidat pressenti pour le si désiré Oscar du Meilleur Film Étranger de ces trois pays. Les Turcs ont finalement cherché deux secondes et trouvé un meilleur film dans leur cheptel. Les Allemands n'étaient pas intéressés outre-mesure. Et ce sont donc ces cons de français qui ont choisi de le proposer pour la statuette en marbre. Quelle belle destinée pour ce film apatride. Avouons-le tout net, c'est une bestiole à Oscars. Sujet grave, sujet lourd. Traité avec gravité, traité avec lourdeur. Des jeunes actrices accessibles, impliquées, formant une belle fratrie. Trois idées de mise en scène qui se foutent la race (dont celle des chevaux). Bref, toutes les cases sont cochées pour être un prétendant sérieux aux Césars, aux Oscar, dans toutes ces cérémonies de merde.




Un passage du film nous a gênés. Et ici nous nous mettons en mode Rivette qui assassine Truman Kapot dans l'un des épisodes les plus sanguinolents de la critique française. Contexte : deux jeunes filles vont faire des courses à Auchan avec leur paternel et l'une des deux filles (qui a 16 ans et ne rêve que d'une chose, qui peut mesurer une vingtaine de centimètres quand on a de la chance et qu'on a du sang sub-tropical) décide de rester dans la bagnole. Sur le parking rôde un clodo torse poil, taillé comme CR9 (Il Phénoméno, double-ballon d'or, double vainqueur de la coupe du monde, nemesis et meilleur ami de Zizou, amateur de hot-dogs). La jeune fille rameute le jeune clodo en lui montrant qu'elle ne porte pas de sous-vêtements et que les préliminaires seront inutiles pour que le passage soit doux, agréable, optimal. Ni une ni deux, la petite sœur fout le camp et laisse l'arrière du van aux exploits de son aînée. La caméra hypocrite de Deniz Gamze suit alors la gamine dans son errance sur le parking et un suspense s'instaure quant à savoir si le papa va débouler le caddy plein à craquer avant que le coït soit fini et promettre ainsi à sa progéniture une raclée du tonnerre. Quand le père se ramène, la caméra le suit jusqu'à l'ouverture de la porte du van. Point culminant du suspense puisque nous ne savons pas si le clodo a fait son affaire et pu s'en aller discrètement. Aucun indice ne nous a été donné. Pour un film qui s'indigne de la condition des femmes, qui veut pointer du doigt leur statut de femmes-objets impuissantes subissant le diktat d'une société rétrograde et patriarcale, il est d'assez mauvais goût, nous semble-t-il, après avoir associé les femmes à un haras, d'instaurer un suspense aussi facile, forçant le spectateur à espérer le pire. Moyen moyen Deniz Bergkampz...


Mustang de Deniz Gamze Ergüven avec Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu (2015)

15 décembre 2015

American Ultra

Qu'ont-ils voulu faire ? Mais qu'ont-ils voulu faire ? C'est la question qu'on se pose pendant les vingt premières minutes, avant de baisser les armes et de laisser le film mourir en silence, seulement accrochés de temps à autres par la silhouette de Kristen Stewart. Déjà, nous, on s'attendait plutôt à une comédie du genre Apatow. Donc on s'attendait à rire. Puis une illumination nous a fait comprendre qu'il s'agissait d'un stoner movie. Un de ces films qui misent tout sur l'état de défonce avancé de sa poignée de spectateurs. Il faut à tout prix voir ça complètement foncedé. Or, nous étions clean, propres comme un sou neuf, lucides, pas un gramme de substance pathogène dans notre sang, seulement des tas de Cheerios pour remplacer nos globules blancs (déficience en fer oblige). Cet état de salubrité publique nous a amenés à être extrêmement choqués durant ces scènes d'action très nombreuses qui se veulent extrêmement violentes et sanglantes. Pourquoi ? S'agit-il là encore d'un spectacle susceptible de faire triper des gens déjà bien entamés ? Nous n'avons pas compris. Voir un crâne s'éclater contre un mur et de grosses gerbes de sang fuser de tous côtés ne nous fait pas rire, ni d'Eve ni d'Adam. Ultime remarque : c'est environ la quatrième collaboration en date de Jesse Eisenberg et Kristen Stewart, deux acteurs que l'on a connus plus inspirés dans leurs choix de carrière. Que s'imaginent-ils ? Peut-être croient-ils former l'équivalent contemporain de Bogart/Chazal... Ce n'est pas le cas ! Grosse, grosse, grosse incompréhension sur ce film.




American Ultra de Nima Nourizadeh avec Jesse Eisenberg et Kristen Stewart (2015)

6 décembre 2015

Slow West

S'il ne dure que 80 minutes, Slow West, premier long métrage de John Maclean, porte toutefois bien son titre car c'est sur un rythme particulièrement tranquille que nous traversons les paysages magnifiques de la Nouvelle-Zélande, faisant office de Far West, aux côtés des deux protagonistes qu'il met en scène. Le premier, Jay (Kodi Smit-McPhee), est un jeune homme venu d’Écosse, parti en Amérique pour retrouver son grand amour. Le second, Silas (Michael Fassbender), est un vieux loup solitaire imperturbable, qui prend le garçon sous son aile et dont on découvre progressivement les réelles motivations. Le scénario, également signé Maclean, est d'une simplicité absolue et c'est ici une qualité. De courts flashbacks nous révèlent progressivement les liens qui unissaient notre jeune et frêle héros à sa dulcinée, et la raison du départ précipité de celle-ci, accompagnée de son père, vers l'Amérique. Des chasseurs de primes, menés par une tronche désormais familière, Ben Mendelsohn (croisé dans Animal Kingdom, Lost River, Prédictions...), viendront traquer, à distance, notre duo.




On craint un peu, durant les premières minutes du film, d'avoir affaire à la première œuvre d'un débutant appliqué, soigneux, prenant vraisemblablement beaucoup de plaisir à réaliser son petit western, quitte à oublier le notre et à se regarder faire. Mais progressivement, cette assez désagréable impression se dissipe quasi totalement et nous finissons par cerner les humbles et nobles ambitions de John Maclean. Salué au festival de Sundance, l'apprenti réalisateur réussit haut la main sa curieuse reconversion après avoir commencé sa carrière dans la musique, comme membre fondateur du groupe écossais The Beta Band.




La Nouvelle-Zélande, au potentiel cinégénique bien connu, est très joliment filmée et passe sans problème pour cet Ouest américain dont le cinéaste a pris plaisir à s'accaparer tous les codes. Nos deux hommes parcourent des décors sublimes et semblent toujours passer un peu après qu'un drame historique s'y soit déroulée. Les indiens sont déjà des fantômes que l'on a pratiquement tous chassés, des ombres que l'on devine à peine, des silhouettes courant à travers des forêts riches en légendes. Au début du film, notre jeune héros, d'abord perdu dans une épaisse fumée blanche et peu à peu recouvert d'une poudre grisâtre à l'origine inconnue, finit par sillonner les restes d'un camp indien réduit en cendres, lors d'une scène captivante, à l'ambiance funèbre et flottante très réussie.




Très vite, le jeune Jay devra se familiariser avec les dures lois de l'Ouest que son protecteur Silas connaît par cœur. Michael Fassbender apporte tout son charisme et sa présence physique à ce personnage de chasseur de primes endurci dont le passé et l'histoire personnelle n'ont guère besoin d'être vraiment étoffés pour exister à l'écran. Après ça, on aimerait drôlement revoir Michael Fassbender dans un western ! Rien à reprocher non plus à la prestation de l'australien Kodi Smit-McPhee, dont les traits et le regard lunaire siéent parfaitement à ce personnage romantique, seulement guidé par l'espoir de retrouver l'être aimé.




Les rencontres sont rares mais toujours marquantes. Jay croisera la route d'un personnage étonnant, un allemand plongé dans la rédaction d'une étude sur la disparition de la culture indienne, partageant son accent, son prénom et son attitude de documentariste passionné et humaniste avec le grand cinéaste teuton, Werner Herzog. Avec ce très joli clin d’œil, John Maclean ne pouvait que m'apparaître encore plus sympathique ! Les échanges de coups de feu sont toujours très brefs, souvent fatals ; John Maclean ne fait preuve d'aucune fascination pour la violence, bien au contraire. Le froid inventaire final des cadavres tombés durant le film laisse même une drôle d'impression quant à la futilité de toutes ces morts. Le dernier quart d'heure nous réserve une longue fusillade dont la conclusion, particulièrement cruelle, ne rend que plus remarquable ce personnage de jeune garçon obnubilé par sa quête amoureuse et installe définitivement Slow West parmi les belles petites découvertes cinématographiques de l'année.


Slow West de John Maclean avec Kodi Smit-McPhee, Michael Fassbender, Ben Mendelsohn et Caren Pistorius (2015)

3 décembre 2015

Crime in the Streets

Ce film oublié de Don Siegel mérite que l’on y revienne. Ne vous fiez pas à l’affiche, intégralement mensongère. Elle représente une scène que vous ne verrez jamais dans le film, et la phrase d’accroche (« How can you tell them to be good when their girl friends like them better when they’re bad !… ») est non seulement stupide mais littéralement contraire à tout ce que montre et dit Don Siegel. Prévenons d’emblée les fans de l’inspecteur Harry, nous sommes ici aux antipodes de la série menée par un Eastwood grinçant qui contourne les lois pour faire régner la sienne. Pour situer un peu, l’ouverture du film (qui date de 1956), préfigure celle de West Side Story (tourné cinq ans plus tard). On y voit deux bandes de jeunes qui s’affrontent dans une rue déserte à coups de bâtons et de couteaux. L’une de ces bandes est menée par John Cassavetes, qui tient le premier rôle du film. La façon dont les mauvais garçons prennent possession des lieux en sautant silencieusement par-dessus un mur, leur progression dans la rue vers la troupe ennemie, filmée via une série de gros plans sur leurs mains armées (ils battent le rythme avec leurs armes comme les Jets claqueront des doigts), et le départ soudain d’un air de jazz quand le premier coup est donné, laissent penser que Robert Wise et Jerome Robbins ont pu apprécier le film à sa sortie et s’en souvenir au moment de mettre en boîte la première séquence de leur comédie musicale.





Mais très vite le film s’éloigne de toute fresque chorégraphique entre troupes d’adolescents belliqueux pour réduire son décor à une rue, puis, peu à peu, à une seule impasse, qui s'enfonce perpendiculairement à la rue et au plan du décor, digne de celle qui sert de décor principal à The Set-Up (sinon en termes de temps passé, du moins en matière d’impact sur la mémoire du spectateur), autre film, cette fois antérieur (1949), signé Robert Wise, qui peut-être inspira, en premier, Don Siegel. La belle scène d’introduction, avec sa guerre des gangs sans préambule, n’était qu’un prétexte : après la bataille, la bande menée par le jeune Frankie Dane (Cassavetes) se défoule sur un prisonnier de guerre dans la fameuse impasse, mais un voisin les surprend et va prévenir la police, qui débarque chez l’un des coupables et le conduit en prison. Pour se venger, Frankie, meneur d’hommes enragé, décide de tuer le délateur, avec la complicité de deux de ses complices, Lou (Mark Rydell), grand échalas rieur, et Angelo « Baby » Gioia (Sal Mineo), l’éternel Platon poupain de La Fureur de vivre.





Et non seulement le film ne fera pas le récit d’un conflit ouvert entre deux groupes de jeunes gens désœuvrés et violents, mais il ne sera pas non plus, ou pas vraiment, le film noir qu’il annonce ensuite. Resserré sur une quasi unité de temps et de lieu, basé sur de nombreux dialogues sur fond de jazz angoissé, parfois proche en cela de l'ambiance commune à ces quelques films basés sur les pièces de Tennessee Williams (Un Tramway nommé désir, Soudain l'été dernier, La nuit de l'iguane, ...), Crime in The Streets se focalise sur un personnage, celui de Frankie. Le jeune et fringuant John Cassavetes est à la limite de jouer à côté tout au long du film (à quel point notre connaissance de sa vraie personnalité fait-elle inconsciemment blocage quand on le voit interpréter un gamin mutique et plein de haine ?), sauf que ce jeu, que l'on pourrait qualifier, en étant vache, d’inconfortable, sert à merveille son personnage de jeune homme à part, déconnecté des autres, prisonnier d’une seule attitude et d’un seul sentiment (sa colère et sa soif de vengeance). Un peu d’ailleurs comme dans Rosemary’s Baby, où Cassavetes, qui joue moins pour Polanski que pour financer la pénible production, longue de quatre ans, du génial Faces, semble toujours avoir la tête ailleurs, posture idéale pour interpréter un soi-disant mari modèle, acteur à la vie comme à la scène, prêt sous de faux airs bien sympathiques à vendre sa femme et son fils à des voisins diaboliques.




Siegel fait le portrait d’un jeune type abandonné par un père violent, qui a grandi dans une piaule minable, n’a vu sa mère que par intermittences avant et après des journées de travail exténuantes, et que la naissance d’un petit frère né d’un autre père a contribué à refermer sur lui-même, dans un refus d’être aimé ou seulement effleuré, et une volonté d’en découdre coûte que coûte, au moindre prétexte. Le film ne dit donc rien d’exceptionnel, mais il le dit avec intelligence. Notamment dans un beau dialogue qui oppose Ben Wagner (James Whitmore), un éducateur de rue (Whitmore aura en quelque sorte joué son propre contrechamp presque 40 ans plus tard dans Les Évadés - souvenez-vous, le petit vieux, gérant de la bibliothèque, qui finit par sortir de taule et se crucifie aux poutres de sa chambre d'hôtel), au père barman du petit Angelo, qui ne comprend pas que son fils s’encanaille avec des brutes et ne voit plus qu’une solution pour l’en empêcher : lui taper dessus. Les mots prononcés par James Whitmore sont bien pesés (Reginald Rose, auteur du script, a aussi écrit celui de 12 hommes en colère, et on ne peut guère s’en étonner), ils font du bien à entendre, rappelant l’absurdité de systématiquement envoyer les très jeunes en prison, lieu idéal du repli sur soi et de la propulsion accélérée dans une spirale de violence, mais surtout l’importance de parler, plus difficile mais indispensable, d’écouter la jeunesse en colère. Siegel filme son dialogue très simplement, avec juste ce qu’il faut de mise en scène pour le mettre comme en relief sans l'écraser : en gros plans, poussés contre les bords du cadre, les visages des deux personnages sont tournés l'un vers l’autre, quitte à buter contre le cadre et contre un interlocuteur qui ne l'est pas moins, buté. Ils se parlent et s’écoutent, au risque de cogner "la tête dans le mur", pour reprendre une expression utilisée un peu plus tard par l’éducateur dans un autre discours tenu cette fois-ci directement au premier intéressé, le fameux Frankie, celui dont le repaire est une impasse.





L’une des forces du film est de constamment rappeler qu’un seul soutien ne suffit pas. Le beau discours que l’éducateur tient à Frankie n’est pas suffisant : Frankie ne répond pas et rentre chez lui, toujours décidé à s’en prendre au mouchard qui habite au-dessus. Le regard porté par la charmante jeune fille du quartier sur Frankie, perché sur son petit balcon métallique (autre écho par anticipation à West Side Story, mais doublement inversé puisque c'est le garçon qui est au balcon et que la tentative amoureuse est niée d'emblée) ne change rien non plus (contrairement à ce que l’affiche veut vendre...). Il faudra oser jeter un regard ou tendre l'oreille vers cette jeunesse (c'est ce que montrent les deux plans tout en profondeur de champ dont j'ai réuni les photogrammes plus haut, où le voisin surprend les violences des petites frappes dans l'impasse et où le frère entend l'élaboration du plan meurtrier de ses aînés), puis oser parler enfin, et si la police se contente d'enfermer, alors se tourner vers de mieux intentionnés qui feront l'effort d'écouter et de parler, à leur tour, aux premiers concernés. Il faudra tout ça mais plus encore, et pas qu’une fois, un soutien répété de chacun. Quitte à ce que le résultat ne vienne qu’au prix d’une véritable mise en danger, et c’est le soutien peut-être le plus essentiel, un proche, le petit frère, qui s'y colle. Mais même après tout cela, quand le problème semble réglé, Frankie a encore la tentation de fuir, de se dérober, de s'en retourner seul, et il faut un énième bras tendu de l’éducateur pour le rattraper in extremis : pas d’épiphanie miraculeuse, pas de retournement définitif. Le film fait le détail d’un travail pénible, constant, d’une attention permanente, d’efforts sans relâche, répétés, pour que quelque chose tienne ce gamin, et il le fait avec une simplicité désarmante.




Voici un film qu’il est réconfortant de découvrir ou de revoir par les temps qui courent. Nous avons réagi de façon brusque et triviale aux attentats du 7 janvier par un bref édito qui n’exprimait pas beaucoup plus qu’un profond dégoût pour ce qui venait de se passer, citant les mots de Warren Oates à défaut d’autres. Nous savions pertinemment que ce n’était pas la réponse la plus intelligente que nous pouvions apporter mais nous avons voulu opposer des mots et des images (une réplique cinglante et le visage fermé, sombre, hébété, de Warren Oates) à un événement dont les rares images, elles aussi agrémentées de répliques voulues définitives, constituaient pour nous et pour chacun une terrible agression, quitte à le faire dans la précipitation. En vérité, les candidats à la fameuse shit list sont beaucoup plus nombreux que ça, et se sont empressés de pointer le bout de leur nez depuis le 7 janvier, et de nouveau depuis le 13 novembre. Et c’est dans ce contexte, où l’on juge et condamne à tour de bras, où l’on envoie des enfants au commissariat, où d'autres sont condamnés à six mois de prison ferme pour avoir tagué une croix gammée, où l'on perquisitionne au petit bonheur la chance, assigne à résidence à l'emporte-pièce, garde-à-vue sur commande, où l'on parle de recruter 5000 policiers et passe sous silence l'éducation, où les médias les plus voyants et les plus bruyants se repaissent de tout cela en charognards, qu’il est bon de découvrir ou de revoir Crime in the Streets.


Crime in the Streets de Don Siegel avec John Cassavetes, Sal Mineo, Mark Rydell et James Whitmore (1956)

29 novembre 2015

Take This Waltz

Il y a des films qui vous dégoûteraient de l'Amour et de la vie en couple. Il y a des films qui auraient le don d'endurcir illico les plus insatisfaits et malheureux célibataires. Take This Waltz, deuxième long métrage écrit et réalisé par l'actrice Sarah Polley, est tout à fait de ceux-là. On y suit les hésitations et les malheurs existentiels de Michelle Williams, heureuse épouse de Seth Rogen (comment peut-on ?) tombée éperdument sous le charme de son voisin, un beau brun de 57 kilogrammes (Luke Kirby's Dream Land). Elle aime les cheveux crépus et la gentillesse à toute épreuve du premier ; elle est irrésistiblement attirée par les yeux azuréens et les chemisettes à carreaux du second. Elle ne se lasse pas des bons plats cuisinés de l'un, concepteur de recettes de cuisine à base de poulet de son état ; elle est tout simplement en extase face aux petits dessins à l'encre de Chine et à l'exceptionnelle endurance du second, artiste maudit et conducteur de pousse-pousse de profession (les métiers de chacun ont au moins le mérite d'être originaux, même s'ils ne justifient pas leurs baraques d'enfer et leur train de vie en général). Bref, Michelle Williams ne sait pas quoi faire, ses certitudes vacillent, son mariage est en danger. Pendant 1h30, elle tergiverse, puis finit par craquer. Le film, d'un romantisme fabriqué imbuvable, atteint alors des sommets dans l'horreur et l'innommable.




Pour bien nous montrer le bonheur total dans lequel nage Michelle Williams quand celle-ci a pour de bon décidé de quitter son moche époux pour les bras maigrelets du voisin, la caméra de Sarah Polley se met à tournoyer follement autour d'une gigantesque pièce faite de mille colonnes (comme je vous l'ai dit, tous les personnages vivent dans des palaces impossibles). Comme dans un insupportable clip, la "scène" de cette nouvelle vie conjugale change systématiquement quand la caméra passe derrière l'une des colonnes, sans transition visible. Michelle Williams et son jules jouent tranquillement au Scrabble... partagent un bon vin rouge et quelques tapas... se chuchotent des mots doux et se câlinent tendrement ...puis baisent comme des animaux sauvages ! D'abord dans une position inspirée des plus craspecs porno US, avec le pied du mec posé sur la joue de sa partenaire consentante, et ensuite dans une position plus banale où Michelle Williams se défoule cette fois-ci sur son homme, quitte à risquer une rupture de l’albuginée et des corps caverneux. Bref, le petit couple déglingué se démonte passionnément, et on est censé trouver ça sublime, alors que la mise en scène, déjà vue mille fois ailleurs, fout la gerbe en plus du tournis. En ce qui me concerne, j'espérais en secret que ce petit spectacle se prolonge, dure encore, j'attendais qu'on nous propose un petit abécédaire du kama sutra et j'imaginais qu'on irait crescendo dans la sauvagerie et le dégueulasse. Mais c'était bien trop espérer de Sarah Polley, cette femme n'a en réalité aucune suite dans les idées : ce passage ne dure pas assez pour être marrant, juste ce qu'il faut pour foutre les nerfs à vif !




Que dire de la prestation de Michelle Williams ? La filmographie de l'actrice ressemble à un abominable fourre-tout avec peut-être, en guise de très mince fil rouge, la volonté apparente de tourner avec des auteurs plus ou moins respectés et reconnus. Elle combine le pire et le meilleur du cinéma américain, du film indé imbuvable (il y en a beaucoup) au vrai film d'auteur remarquable (ses collaborations avec Kelly Reichard), en passant par le gros blockbuster qui tâche (Le Monde fantastique d'Oz) et le biopic à Oscars raté (My Week with Marilyn). A chaque fois, l'actrice est totalement à l'image du film dans lequel elle joue. Elle est excellente et bluffante dans Wendy & Lucy. Elle fout la rage en Marilyn Monroe. Et elle déprimerait donc n'importe qui dans Take This Waltz, où son regard perdu et ses gestes hasardeux siéent parfaitement à son insupportable personnage. Cette actrice et ses choix de carrière sont tour à tour désolants et encourageants. En réalité, je crois qu'elle commence à me fatiguer. Cette fois-ci, je ne lui jetterai pas la pierre, je viserai plutôt Seth Rogen, c'est plus facile : il est tout gros et je n'aime pas son énorme visage.




D'après ce que j'ai lu sur internet, beaucoup s'accordent à dire que le personnage campé par Michelle Williams est une chieuse XXL qui mérite un bon coup de pied au cul. C'est bien, je suis d'accord, je me joins au pugilat. Beaucoup prétendent aussi que le film est joliment filmé, parfaitement mis en scène, qu'il fourmille de belles images et de plans magnifiques. Là par contre, je m'inscris en faux. Sarah Polley développe une esthétique "instagram" faite de flous et de contre-jour intempestifs qui se veut paradoxalement naturaliste et proche des corps (Michelle Williams s'y fout à poil une demi dizaine de fois, et on s'en passerait volontiers) dont le résultat est très souvent d'une incroyable laideur. Le tout est enrobé de quelques chansons sans doute directement issues de l'iPod de la réalisatrice, fan de Micah P. Hinson, et le film emprunte son titre à un morceau du pauvre Leonard Cohen qu'on ne pourra plus jamais écouter librement.




Savoir que Sarah Polley a écrit et réalisé ce film qu'elle doit présenter et considérer comme une œuvre infiniment personnelle inspire le plus profond mépris. C'est typiquement un film qui pense cerner des "trucs" de couple bien connus (les petits jeux amoureux de Seth Rogen et Michelle Williams peuvent rendre fou), qui veut parler directement et intimement à son auditoire, le remuer dans son expérience personnelle, le questionner au plus profond de lui-même. En ce qui me concerne, quand, effectivement, le film me parlait un peu, j'avais envie de m'insulter copieusement puis de filer sous la douche fissa, comme pour me nettoyer de cet affreux rapprochement et pour avoir définitivement et strictement aucun rapport avec cette horreur signée Sarah Polley. Ce film m'a dérangé. J'en ai fait des cauchemars terribles où la ganache de Michelle Williams était remplacée par celle de ma chère et tendre. Véridique.


Take This Waltz de Sarah Polley avec Michelle Williams, Seth Rogen et Luke Kirby (2011)

25 novembre 2015

Manglehorn

Si vous voulez (continuer à) assister à la déchéance professionnelle d'Al Pacino, alors n'hésitez pas une seule seconde, prenez une grande inspiration et lancez-vous dans Manglehorn de David Gordon Green (DGG pour les intimes). Par contre, si vous voulez garder un souvenir émerveillé de cet acteur-caméléon, tirez le frein à main juste après Heat.

Dans Manglehorn, Al Pacino incarne A. J. Manglehorn, un serrurier vieux et fatigué, plutôt grincheux, ayant largement dépassé l'âge de la retraite et vivant seul avec sa chatte Fannie. Il passe une bonne partie de son temps libre à rédiger d'une écriture d'écolier parkinsonien, des lettres enflammées et mélancoliques à une certaine Clara, son amour perdu, lettres qui retournent toutes à l'envoyeur, sans exception, et qu'il stocke chez lui dans une pièce fermée à clef après les avoir récupérées dans sa boite aux lettres infestée d'abeilles. Son unique fils, qui n'est pas le fils de Clara mais d'une femme qu'Al Pacino déclare n'avoir jamais aimée, est présenté comme un connard puisqu'il est un riche trader qui joue à dépouiller les gens en leur proposant des investissements foireux tout en se faisant des millions au passage. Ce fils indigne traite son père avec mépris, lui reprochant d'aimer d'avantage la chatte que sa propre famille (cette série de reproche se déroule lors d'une scène au restaurant à couper l'appétit même aux plus affamés)... Par contre Manglehorn s'entend bien avec sa petite-fille qui a la langue bien pendue et une mère chicanos. En dehors de ça, il aime papoter avec sa guichetière préférée (Holly Hunter, victime d'un lifting malheureux) lorsqu'il effectue son dépôt hebdomadaire à la banque du coin, notamment parce qu'elle est propriétaire d'un chien victime de nombreux soucis d'ordre vétérinaire, comme lui avec sa chatte.




Heureusement que c'est Al Pacino à l'écran : il peut jouer n'importe quoi et n'importe comment, il reste tout de même fascinant. Et heureusement qu'il est là sinon je n'aurais pas réussi à tenir quarante minutes devant ce gros navet. Tantôt farceur, tantôt déprimé, tantôt exalté, toujours Pacino, il nous sort toute sa palette, engoncé dans ses habits fatigués sous une touffe de cheveux fous grisonnants. Il faut le voir changer une ampoule au tout début du film, un acte qu'il accomplit comme s'il jouait Richard III. Bref, Al Pacino joue exactement le même rôle depuis vingt ans, à tel point que tous les personnages qu'il incarne devraient dorénavant s'appeler Albert Pacino, ce serait plus honnête pour les spectateurs. N'ayant pas vu la seconde moitié du film, j'ignore ce qu'il advient de ce personnage mais on peut soupçonner qu'il va se rapprocher de Holly Hunter et retrouver une certaine joie de vivre sur fond de musique indé. Ces films américains pseudo-indépendants sont tous plus ou moins prévisibles et chiants.




David Gordon Green commet donc ici un autre navet. Il a bel et bien définitivement perdu toute espèce de crédit après avoir tenté de remonter la pente ces dernières années avec un retour vers le southern gothic, son genre de prédilection. Après un début prometteur quoiqu'en dents de scie (L'Autre Rive pour le meilleur, Snow Angels pour le pire), il s'est fourvoyé dans quelques productions Apatow sans intérêt en loupant même le coche de mettre en valeur Natalie Portman dans le registre de la comédie dans Votre Majesté (parmi ses films, je garde tout de même un petit faible pour Baby-sitter malgré lui mais c'est vraiment pas grand chose). Il est étonnant de voir qu'il garde encore assez de crédit pour attirer Al Pacino dans son désastre sur pellicule, mais ce dernier commence peut-être à perdre la boule (Danny Collins, où il joue Albert Pacino, exactement comme dans Manglehorn, en serait la preuve). Dernièrement Prince of Texas n'était déjà pas fameux mais se laissait voir, tandis que Joe alternait le bon (surtout pour les fans de Nick Cage dont nous faisons partie !) et le très mauvais, et c'est le très mauvais qui finissait par l'emporter. Au bout du compte, David Gordon Green, réalisateur caméléon avec toujours le cul entre trois ou quatre chaises, ne sait pas trop quoi faire de ses deux mains ni de ses deux pieds. Il gagnerait à s'entourer d'un bon scénariste et d'un bon producteur qui lui permettraient de "retrouver le chemin des filets" de ses débuts, ou bien à définitivement arrêter une activité qui ne semble pas faite pour lui. Il pourrait faire ébéniste, c'est chouette ébéniste comme métier.


Manglehorn de David Gordon Green avec Al Pacino et Holly Hunter (2015)

21 novembre 2015

Hunger Games - La Révolte : Partie 2

Tout le monde a parlé de cet homme atteint d’une maladie incurable et condamné à une mort imminente qui a écrit à J.J. Abrams pour obtenir de lui cette faveur : avoir le privilège de découvrir Star Wars Episode VII en avant-première, longtemps avant le reste du monde, histoire d’être sûr de pouvoir se le faire avant de décéder. Aussi suis-je un peu étonné de constater que personne dans les médias n’ait parlé de cet autre homme, un vieux pote à moi en l’occurrence (dont je tairai le nom par respect, mais que je surnomme Leigh Braguette), qui va lui aussi bientôt mourir des suites d’une maladie inconnue, et qui a lui aussi écrit une lettre à un cinéaste pour lui faire une requête similaire, requête qui n’a pas été entendue ni donc relayée, ce que je trouve honteux.


Y a-t-il une âme dans ces babouches ? Et sous ce jean slim ?

Mon ancien camarade d’école a en effet envoyé un courrier en recommandé à Francis Lawrence pour lui demander non pas de rapprocher la sortie de son film, Hunger Games - La Révolte : Partie 2, mais de la reporter de quelques mois, voire de quelques années si possible (car il est optimiste mon ami, il voit la vie en rose), afin d’être certain de n’avoir aucune chance de voir le film avant de disparaître. Mon pote s’est déjà tapé les trois premiers épisodes de "cette saga de merde" (je le cite texto, il est même convaincu, contre l’avis de ses médecins, que c’est lors du visionnage du premier film, en 2012, que s’est déclenchée sa maladie orpheline mortelle, comme un phénomène d’autodéfense par la suppression de soi par soi pour soi), et il aimerait bien s’éviter le plus petit risque de se fracasser sur le 4ème opus avant de mourir. Francis Lawrence, qui est décidément un être peu recommandable, n’a pas décalé la sortie de son film. Hunger Games - La Partie : Révolte 2 et son titre putride ont débarqué sur les écrans ce mercredi. Et Francis n’a pas même répondu à mon ami. Aucun média ni aucun crétin sur Facebook n’a eu l’idée de faire tourner l’histoire. C’est dégueulasse.

PS. Petit message aux journalistes et autres éditorialistes écumeurs du web en quête d’anecdotes morbides croustillantes : si vous entendez parler de lettres semblables à celle de mon ami reçues ces derniers jours par Quentin Tarantino, à propos des Huit salopards, ou par Zack Snyder, au sujet de Batman v Superman : L’aube de la Justice, ne faites pas tourner non plus, c’est moi qui les ai écrites. Je vais bien, rassurez-vous. Mais le monde, lui, va mal, et il va déjà assez mal comme ça, alors si on peut tenter de retarder la sortie de quelques saloperies au coût d’un simple timbre poste, c’est toujours ça de pris. J’ai aussi écrit à Taika Waititi, le réalisateur de Thor : Ragnarok, pour lui demander non seulement d’ajourner la sortie de son truc de quelques siècles mais aussi pour lui demander si je pourrais emprunter son nom pour m’en faire un blaze de scène (à côté de ma carrière de blogueur ciné, je suis breakdancer).


Hunger Games - La Révolte : Partie 2 de Francis Lawrence avec Jenifer Lawrence (2015)

17 novembre 2015

Crazy Amy

Trois ans après le très pénible et déprimant 40 ans : mode d'emploi, qui parvenait à rassembler tous ses plus insupportables tics et défauts, Judd Apatow revient derrière la caméra pour cette fois-ci mettre en image un scénario qui n'est pas le sien mais celui de son actrice vedette, j'ai nommé Amy Schumer. Celle-ci incarne une journaliste new-yorkaise à la vie totalement désinhibée, multipliant les conquêtes masculines et ne s'engageant jamais sérieusement en amour. Sa rencontre avec un homme différent de ceux qu'elle a la fâcheuse habitude de fréquenter, doux et attentionné, médecin du sport de son état, et sur lequel elle doit écrire un article pour son magazine, va changer la donne et amener notre héroïne à s'essayer à la vie de couple...




Comique de stand-up à la popularité grandissante outre-atlantique, Amy Schumer signe ce qui apparaît progressivement comme une bonne grosse comédie romantique avec beaucoup d'éléments que l'on devine autobiographiques. Habilement, la star parvient tout de même à éviter le film trop auto-centré et se distingue en cela du précédent méfait de son réalisateur, parfois très enclin à se regarder le nombril. Alors certes, il faut supporter de voir la comique, au charme tout relatif, faire tomber tous les hommes qu'elle croise et s'entendre régulièrement dire qu'elle est une vraie bombe. Le pêché d'égocentrisme la guette plus d'une fois, mais nous lui pardonnons ces travers, tant nous sourions et rions régulièrement devant son petit manège. On finit même par apprécier son personnage dont nous suivons avec plaisir les mésaventures. 




Le scénario d'Amy Schumer n'échappe pas au schéma archi rebattu et toujours agaçant des romcoms habituels. Ainsi, la dernière demi-heure, où l'on attend les inéluctables retrouvailles finales du couple temporairement séparé, est assez laborieuse et bien plus pauvre en moments comiques. On ne peut alors guère s'empêcher de penser que Crazy Amy, qui dépasse de peu les deux heures, aurait vraiment gagné à être légèrement raccourci. Heureusement, quelques scènes très drôles, du niveau d'un bon Will Ferrell (et venant de moi, c'est un sacré compliment !), sont bien réparties dans les trois premiers quarts du film et font passer la pilule sans accroc. 




Tous les acteurs sont au diapason. Bill Hader, autre habitué d'Apatow, également vu dans l'excellent Hot Rod, est très bon dans le rôle de ce médecin amoureux d'Amy aux agissements crédibles et compréhensifs (chose rarement vérifiée dans ce genre de romcoms où les personnages ont souvent des attitudes totalement débiles). Le catcheur John Cena, ce "Mark Wahlberg qui aurait mangé Mark Wahlberg", boyfriend éphémère d'Amy, est tordant en homo refoulé. Brie Larson, qui interprète la sœur d'Amy, n'apporte aucune valeur ajoutée comique à l'ensemble mais reconnaissons qu'elle est tout à fait agréable à l’œil. Colin Quinn, le père malade d'Amy, fait preuve d'un bel abattage et sort quelques répliques cinglantes avec une mauvaise humeur délectable. Tilda Swinton, la patronne d'Amy, méconnaissable grimée en bimbo, est parfaite dans la peau de cette bonne femme infecte qui déblatère des horreurs sans jamais se soucier des autres. 




Quelques guest stars viennent également faire leurs petits numéros (notamment Daniel Radcliffe et Marisa Tomei dans une inoffensive mais amusante parodie de film de Sundance que les protagonistes vont s'infliger au cinéma), et comme ceux-ci sont généralement drôles, leurs apparitions n'ont jamais l'air totalement gratuites. LeBron James, la plus grande "guest star" du lot n'en est d'ailleurs pas vraiment une puisque le basketteur campe ici un vrai rôle. Il joue le meilleur ami du médecin, personnage très protecteur et ultra radin qui nous vaut quelques-uns des meilleurs moments du film (je pense surtout à cette scène au resto où LeBron James finit par promouvoir de très belle manière sa ville de Cleveland face à son ami, désespéré par son discours et sa pingrerie). Quand il arrêtera de briller sur les parquets, LeBron James a un chemin tout tracé dans la comédie !




Grâce à son scénario particulièrement riche en personnages secondaires sympathiques et enchaînant, à un bon rythme, les situations cocasses et les répliques bien senties, Amy Schumer réussit plutôt haut la main ses grands débuts au cinéma. Elle permet en même temps à Judd Apatow d'effectuer un retour gagnant à la réalisation et peut-être même de signer son meilleur film. Nous leur souhaitons de poursuivre sur cette voie... 


Crazy Amy de Judd Apatow avec Amy Schumer, Bill Hader, LeBron James, Brie Larson et Tilda Swinton (2015)

12 novembre 2015

L'Art de la fugue

L’Art de la fugue fait partie de ces trucs qu’on a tellement vus et revus qu’à chaque fois, et tant pis pour la redite, le même besoin se fait ressentir : comment se retenir, devant un film qui nous a tant pompé l’air, de lui lâcher ne fût-ce qu’une petite vesse* dans la gueule ? D'abord, vous présenter l’affaire... Le résumé hallucinant d’Allociné donne une assez rapide idée du désastre : « Antoine vit avec Radar, mais il rêve d’Alexis... Louis est amoureux de Mathilde alors il va épouser Julie... Gérard, qui n’aime qu’Hélène, tombera-t-il dans les bras d’Ariel ?… Trois frères en pleine confusion... Comment, dès lors, retrouver un droit chemin ou ... échapper à ses responsabilités ?… C’est là tout L’Art de la Fugue… ». Normalement j’aurais dû ponctuer cette citation de quelques points de suspension mais je crois que ça va aller.


Nestor Burma passe tout le film dans cette position.

En fait, dès l’affiche, mons-tru-euse, on sait que L’Art de la fugue sera un film choral, donc un film d’acteurs. Et quels acteurs. Au centre, Antoine (Laurent Lafitte), puis ses deux frères, Louis et Gérard (Nicolas Bedos et Benji Biolay : on se demande qui de plus exaspérant aurait pu se glisser dans cette fratrie de la mort, qui ? Yann Barthes ? Il a failli faire partie du casting, véridique). Ils incarnent trois fils. De pute, certes. Mais aussi trois fils de commerçants acariâtres (Marie-Christine Barrault et Guy Marchand, ou Guy Charmand pour les intimes, déjà papa accablé du duo de frères Romain Duris et Louis Garrel dans Dans Paris ; film pénible jusque dans son titre, qui force la répétition, "dans Dans" : lourd...). Le premier fils, Lafitte, est un galeriste bobo, homo, amoureusement instable et sensible, le deuxième, Bedos, un homme d’affaire égoïste, putanier et traitre, et le dernier, Biolay, un chômeur sentimental suicidaire. Ils vivent et pensent forcément l’amour très différemment. C’est pas mal original. Et assez surprenant, ces tempéraments, associés à ces statuts sociaux. Du jamais vu. Et puis autour d’eux gravitent quelques tronches connues, comme Agnès Glaoui (pardon à elle, je l'adore) ou Bruno Puducu (désolé, on se connaît pas). On se demande comment un scénario aussi immonde (adapté d’un bouquin de l’américain Stephen McCauley, auteur déjà porté à l’écran par Sam Karmann dans le tout aussi choral et fumeux La Vérité ou presque, film culte dans lequel Dussolier et Cluzet échangeaient leurs sexes) a pu attirer autant de gens. Ce type de film devrait se tourner à deux ou trois, par des crève-la-faim, dans des caves. Il paraît qu’on n’attire pas les mouches à merde avec du vinaigre, mais ce long métrage prouve, et il n’est malheureusement pas le seul, qu’on peut les attirer avec d’autres mouches. Lequel, parmi ce brillant casting, a signé le premier ? Mystère. Mais les autres, en voyant son blaze qui tache associé au projet, ont cru flairer le bon plan et se sont jetés dans la gueule du loup.


 Élodie Frégé, dans l'émission Au Battle Field Earth de la Nuit, présentée par Michel Battle Field Earth.

Et puis le copinage n’y est sans doute pas pour rien : on va faire mumuse avec les copains. Benjamin Biolay avait déjà joué pour et avec Agnès Jaoui dans Au bout du conte. Comme on se retrouve ! Et cette fois-ci il a ramené avec lui Elodie Frégé, qui n’est là que pour la fermer. Contrairement à l'horripilant Nicolas Bedos**, dont on espère quant à lui qu'il ne s'acharnera pas davantage à devenir acteur, et qui se contente de s’admirer beaucoup et de s’écouter parler, comme d’hab'. Les autres ne sont pas tous détestables en règle générale, et peuvent même se montrer plutôt bons, y compris Laurent Lafitte (que j’ai peut-être la naïveté de ne pas condamner tout de suite à la chaise électrique, mais il est à ça...) et Bruno Putzulu, sôciétaires la cômédie frônçaise, mais le film est si atroce qu’ils ne peuvent que l’être aussi. On devine d’ailleurs qu’ils le savent, que le réalisateur le sait. Que tous ces gens sont au courant qu’ils sont en train de tourner une minuscule chose hideuse et absolument nulle, mais ils le font quand même, parce que c'est sans doute moins désagréable que de ne rien faire. De notre côté, on préférerait ne rien voir.

* petit pet silencieux et malodorant.
** petit pet silencieux et malodorant.


L'Art de la fugue de Brice Cauvin avec Laurent Lafitte, Nicolas Bedos, Benjamin Biolay, Bruno Putzulu, Agnès Jaoui, Guy Marchand, Marie-Christine Barrault et Élodie Frégé (2015)

8 novembre 2015

Un homme idéal

Pierre Niney est un écrivain raté qui ne rêve que d'une chose : être publié et voir son nom en vitrine chez Ombres Blanches. Essuyant les refus successifs des maisons d'édition auxquelles il envoie son premier roman ("Un Homme de dos", tu parles d'un titre accrocheur), il survit en bossant en tant que déménageur. Pierre Niney. Déménageur. Premier goof ! Bon, passons. Sachez toutefois qu'à partir de ces premières informations, vous devriez déjà être en mesure de deviner toute la suite des événements... En vidant l'appartement d'un vieillard décédé en pleine solitude, Niney tombe par hasard sur un manuscrit bien épais, négligemment emballé dans une couverture au-dessus d'une armoire : le saisissant journal de guerre du défunt. Le sang de Niney ne fait alors qu'un tour : il a trouvé sa première œuvre ! Après l'avoir soigneusement recopié sur word sans en changer le moindre mot (nous assistons à cela via une succession de plans hideux qui nous montrent Niney sur son portable essayer toutes les positions et toutes les pièces de son T1bis), ce dur labeur mènera enfin notre ambitieux romancier sur la route du succès, aussi bien auprès du public que des critiques avec, en guise de consécration, le si convoité prix Renaudot. Un bonheur n'arrivant jamais seul, Niney flashera sur le visage anguleux d'Ana Girardot, une zonarde à la fois chercheuse et critique littéraire (quel que soit son réel métier, nous n'y croyons pas), lors de la remise du prix.




Une ellipse maladroite, brutale mais bienvenue (simplement car elle donne la fausse impression que le film passe plus vite) nous amène quelques mois plus tard, sur la Côte d'Azur. Nous découvrons que Pierre Niney a été assez dégourdi pour se foutre dans une merde noire auprès de son éditeur, auquel il a promis un nouveau livre qu'il n'arrive évidemment pas à commencer, rattrapé par son réel talent, c'est à dire le néant absolu. Niney a cependant été assez agile pour se mettre en ménage avec Ana Girardot, un très bon parti, puisque sa famille pleine aux as possède une sorte de manoir gigantesque avec plage et golf privés. C'est dans ce coin ensoleillé que se déroulera d'ailleurs l'essentiel du film, énième variation autour du thème de l'usurpateur, personnage progressivement mis dos au mur qui finira bien sûr par éveiller tous les soupçons avant d'entrer malgré lui dans une spirale criminelle fatale.




Tout est terriblement prévisible dans ce thriller de bas étage, second exercice en la matière du cinéaste Yann Gozlan après le déjà pénible Captifs. Nous sommes seulement étonnés quand le personnage principal s'enfonce davantage en prenant des décisions et en adoptant un comportement encore plus débiles que ce à quoi on s'attendait, ce qui arrive de plus en plus fréquemment à mesure que l'intrigue avance. La fin du film a tout de même le mérite de nous apprendre une chose utile : en cas d'énormes emmerdes, il existe une solution pour échapper à toutes représailles. Faites confiance à votre ceinture et à votre airbag, et proposez à un naïf quidam un petit tour en bagnole sur des routes sinueuse en ayant au préalable bien pris le soin de désactiver le système de sécurité du siège passager. Dès que possible, encastrez vous à pleine vitesse contre un obstacle quelconque, ce faux accident de voiture provoquera la mort instantanée de votre invité. Inversez alors les positions en plaçant le cadavre sur le siège conducteur, attachez votre montre autour de son poignet et mettez votre portefeuille dans sa poche. Ultime effort : videz un bidon d'essence entier sur le macchabée et partout sur le véhicule, un grand brasier vous lavera de tout soupçon et vous garantira une nouvelle vie d'homme libre, quand bien même tous les flics du pays étaient à vos trousses. Tenez-vous le pour dit. Si vous êtes au fond du trou, il existe ce moyen, même s'il faudra ensuite vous créer une nouvelle identité (Yann Gozlan ne nous en dit pas beaucoup plus là-dessus, les dernières images nous apprennent simplement que Pierre Niney est redevenu déménageur à temps plein).




Drôle de coïncidence, le scénario pourri d'Un homme idéal rappelle étonnamment celui du récent The Words, piètre mais plus habile thriller américain sorti directement en vidéo où Bradley Cooper trouvait son premier bouquin dans une sublime besace en cuir achetée pour trois fois rien dans une friperie parisienne. Le bellâtre scribouillard luttait ensuite pour cacher son mensonge au monde et, surtout, à sa dulcinée, la fameuse actrice na'avi Zoé Saldana. Je crois bien que j'avais pris plus de plaisir devant The Words, je garde même un souvenir assez net de la fameuse besace... On pense aussi beaucoup au célèbre Plein Soleil, que je n'ai pas encore vu, mais dont je sais suffisamment de choses pour reconnaître une évidente filiation ; en outre, une bonne partie du film se déroule effectivement en plein soleil. La mise en abyme d'usurpation ne s'arrête pas là : rappelez-vous que Pierre Niney a remporté le César du Meilleur Acteur au moment même où le navet de Yann Gozlan sortait en salles, une nouvelle imposture qui tombait à point nommé... Et, autre effet spécial étonnant, Ana Girardot n'est pas Barbara Schulz. C'est pourtant ce que j'ai cru tout le long !


Un homme idéal de Yann Gozlan avec Pierre Niney, Ana Girardot et André Marcon (2015)

5 novembre 2015

Invictus

J’étais passé à travers Invictus. Je me suis empalé sur la plupart des dernières grandes purges du grabataire Eastwood, mais Invictus, j’étais passé à côté. Parfois le hasard fait bien les choses. Le film vient s’ajouter à la liste de tous ceux, récents, qui me font me demander, à propos d’Eastwood, s’il y a encore quelqu’un au volant… Le bonhomme n’a ici strictement rien à raconter, mais il le raconte quand même. L’histoire est au fond assez simple, sans grands rebondissements : en 94, Mandela est élu président de la république en Afrique du Sud et met fin à l’Apartheid. Pour réconcilier le pays, il décide de miser (et de tout miser, semble-t-il) sur un succès des Springboks, l’équipe de rugby nationale blanche à 99%, lors de la coupe du monde 95, qui se déroule justement sur ses terres. A la fin ils gagnent. Dur de bâtir un scénario costaud là-dessus, encore plus quand on a l’idée débile de faire durer le film 2h12. 




Du coup, entre deux conversations insipides entre Nelson Mandela (Morgan Freeman, qui aura donc tout joué, de Winter le dauphin à Jules César en passant par un chauffeur de taxi sans permis, un prisonnier ultraviolent, un flic tueur en série, une nurse nommée Betty, Dieu himself et donc Mandela, ce qui revient au même) et François Panard, le capitaine des Boks (Matt Damon, teint en blonde), Eastwood essaye de faire monter la tension sur du vent. Combien de fois nous montre-t-il les gardes du corps de Mandela qui balisent, se mettent en garde les uns les autres, briefent et débriefent, s'invectivent (d'où le titre), zieutent dans tous les sens ? Sauf que Mandela n’a pas l’air d’être profondément menacé et que, dans la réalité, il ne s’est rien passé concernant la sécurité du président qui mériterait d'être raconté. Autant de scènes ultra redondantes et totalement inutiles donc (et ce n'est qu'un exemple). A un moment, on voit Mandela qui danse dans une soirée, et Eastwood fait un plan rapide, tendu, inquiétant, sur son garde du corps qui roupille un peu plus loin, pour nous mettre en alerte, nous dire : "ça sent le sapin !" Mais rien ne se passe. Au mieux Mandela fait un malaise, du moins les vigiles le croient-ils : il tapait juste un roupillon au milieu de l'allée qui mène à sa baraque. Eastwood est en roues libres. Le vioque multiplie les effets d’annonce bidons pour créer d’une manière ou d’une autre un semblant de suspense dans une histoire qui en est totalement dépourvue. 




Le seul suspense que l’on pourrait attendre, à condition de ne pas être au courant de l’histoire du rugby, concerne l’issue de la coupe du monde, mais Eastwood ne filme pratiquement pas les matchs, qui semblent se gagner sur tapis vert (il préfère nous montrer les bodyguards, dans les tribunes, qui suent des torrents et doivent régulièrement se relayer pour changer de slip). Tant mieux cependant, car quand Clint décide de filmer un match, la finale bien sûr, c’est une pure horreur. D’abord la scène dure 80 minutes, soit la durée d’un vrai match. Celui-ci n’est pourtant pas filmé en temps réel : on doit voir, disons entrapercevoir (Eastwood filme vraiment ça comme un manche), trois ou quatre temps de jeu à tout casser, mais ils sont si dilatés par des effets de ralenti hideux que cela représente la durée de deux bonnes mi-temps d'un match officiel.




Les mêlées notamment sont sublimées par des ralentis parfaitement inutiles (on ne ressent rien de chez rien) et monstrueusement moches. Et le pire c’est que le son aussi est dilaté, ce qui nous donne à entendre des sortes de lents meuglements difformes de vaches folles. Un supplice. J’ai rarement été aussi dérangé par un bruit quelconque. Sauf peut-être par les petits cris de plaisir rauques, nasillards, réguliers, que poussait mon Tonton Scefo (celui que mon arrière-grand-mère traitait encore de "putanier" sur son lit de mort) à travers le trop maigre mur qui séparait la chambre d’amis de la mienne quand j’étais petit… France 2 a cru bon de diffuser ce film entre les demi-finales et la finale de la coupe du monde de rugby 2015, mais cernée par les beaux matchs que nous ont offert les professionnels sur le terrain, la vision du rugby (et du cinoche !) que nous offre Eastwood en est parue plus navrante encore.


Invictus de Clint Eastwood avec Matt Damon et Morgan Freeman (2009)