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12 février 2011

Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)

C'est pour sa faculté d'enchantement que le film d'Apichatpong Weerasethakul a atterri à la deuxième place de mon classement des meilleurs films de 2010. La fascination est immédiate quand, dès la scène d'introduction, le film nous saisit miraculeusement avec une séquence de douce poursuite nocturne dans la jungle, impliquant une vache qui s'est libérée de ses liens et son maître qui la rejoint pour ramener la bête résignée à son attache. On ne sait guère pourquoi mais l'on est d'emblée sidéré par ce qui se déroule sous nos yeux. Au point que ce qui suit immédiatement cette toute première séquence perd légèrement en intensité, car nous sommes bel et bien restés dans ce pré-générique qui nous a filé entre les doigts et nous a laissés ébaubis, envoûtés sans que l'on sache décidément les raisons de cet envoûtement. Il faut dire aussi qu'à un certain moment ce film onirique pousserait presque au rêve - et donc au sommeil - un spectateur bercé par la pluralité de ses récits et de ses régimes narratifs d'une part, qui font la luxuriance de l'œuvre, et par sa durée et son rythme très lent d'autre part, que certains nomment "style contemplatif" et que d'autres appellent malheureusement torpeur.




Le cinéaste donne tellement de place au spectateur que ce dernier est tenté d'exploiter cet espace d'imagination et de pensées et de s'abandonner à ses propres rêveries devant un film d'une richesse inouïe qui, bien que d'un rythme engourdi, semble s'écouler sans qu'on n'ait le temps de le retenir. Et pourtant les images se fixent. Le film ne m'a pas quitté depuis que je l'ai vu au cinéma, il s'est imprimé en moi et me reviennent très régulièrement toutes sortes de moments, comme à la faveur d'un sortilège inconscient. De sorte que je suis impatient de le revoir pour retrouver ces instants subjuguants et pour mieux m'en imprégner encore.




Un peu avant la fin du film, une séquence s'avère tout aussi saisissante que l'ouverture, lorsque les personnages progressent dans la grotte étoilée : c'est si facile sur le papier, et c'est pourtant magnifique une fois filmé. Ce miracle-là est forcément mystérieux. Il naît peut-être d'une croyance absolue dans les puissances du cinéma, d'une poésie des images et du montage, du foisonnement d'influences conjuguées qui touchent autant au folklore Thaïlandais qu'aux croyances ancestrales de cette culture étonnante ; il procède en tout cas d'une grande liberté, doublée d'audace et de pure et simple virtuosité.




Pour encadrer la séquence centrale de la princesse et du poisson-chat, séquence costumée, onirique, fabulaire, érotique, qui atteint au sublime, l'ouverture et la clôture du film revendiquent a contrario une veine plus réaliste, ou disons plus intimiste, qui achève de faire la nique au règne actuel d'un cinéma de la rapidité et du sensationnel qui à force de le quêter sans finesse a semble-t-il fini par définitivement déserter le champ de l'illusion. Au début, par un effet minimal, le cinéaste fait lentement apparaître un fantôme à la table de ses personnages, que le spectateur comme les protagonistes eux-mêmes met un certain temps à discerner et dont la découverte provoque chez lui la même réaction de recul et d'incrédulité. A la fin, un moine qui vient de quitter sa toge pour prendre une douche observe en s'habillant la télé que ses amies regardent allongées sur un lit. Au détour d'un champ-contrechamp et sans le moindre effet spécial - si tant est que le faux-raccord n'en soit pas un - le moine s'est dédoublé et s'observe désormais lui-même en train de regarder cette même télé, son double étant soudainement présent lui aussi sur le lit aux côtés des deux femmes. Le cinéaste exerce alors ce don qu'il possède pour rendre leur puissance et leur prix aux choses les plus convenues. L'effet naît d'une transition simplissime et c'est ainsi, par exemple, en bouleversant le spectateur par l'usage d'un banal faux-raccord, que Weerasethakul nous rappelle modestement et ouvertement tous les possibles d'un art dont les plus élémentaires techniques sont une ressource de renouveau et de ravissement inépuisable.


Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) d'Apichatpong Weerasethakul, avec Thanapat Saisaymar, Jenjira Pongpas et Sakda Kaewbuadee (2010)

15 commentaires:

  1. Vivement qu'il sorte en DVD, j'ai très envie de le voir, surtout par curiosité parce que mine de rien je n'arrive pas à m'imaginer à quoi cela peut bien ressembler, et de quoi cela peut bien parler.

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  2. Pour renforcer l'article de Rémi vous pouvez lire mon interview exclusive de Tim Burton, président du jury à Cannes, ici : http://chris666.blogs.allocine.fr/chris666-282544-interview_exclusive__et_imaginaire_de_tim_burton.htm

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  3. Mais quelle grosse merde ! La plus mauvaise palme d'or et le plus mauvais film depuis longtemps...

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  4. Faux Anonyme, faux. J'ai pas vu Uncle Boonmee mais je peux t'assurer que la plus grosse merde portée sur écran et la pire palme d'or de toute l'histoire du festival de Cannes, hors concours hors catégorie, c'est celle de l'année 2009, dont je n'ose pas écrire le titre tellement ça me rappelle que je suis énervé.

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  5. La Palme à cette saloperie de Ruban Blanc était bien pourrave ouais. Mais dans le genre pire Palme on peut aussi se rappeler du film de Michael Moore récompensé par ce gros con de Tarantino...

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  6. Ouais.
    Ca l'air chiant quand même...

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  7. Probablement le film le plus pourri de ces 10 dernières années, y'a rien de bon à en retenir, une palme en bois eut été trop généreux, fuyez bonnes gens, fuyez.

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  8. Le Ruban blanc, mythique, là par contre il y a une oeuvre à découvrir et elle prend aux tripes, le jeu d'acteurs est phénoménal, un classique selon moi.

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  9. Ruban blanc, pas d'accord, attention grand film, critiquer le jeu d'acteur est irrecevable. Oncle Boonmee, attention grosse merde, jusque-là les palmes de Cannes semblaient tenir, mais là j'ai pas compris, palme d'or en plus, comment un décalage subjectif peut-il devenir aussi objectif. J'en pisse encore au lit...

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    1. Oncle Pastagala, celui qui se souvient qu'il a des goûts de merde.

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  10. Même si l'on veut bien admettre que ce film réclame de connaître un peu la culture locale, la croyance en la transmigration des âmes qui passe par la présence réelle des fantômes, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures est surtout remarquable par la vacuité et l'ennui profond qu'il distille.

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    1. Ah ouais ? Tiens donc ? Eh bien affirmation gratuite pour affirmation gratuite, j'assènerai pour ma part que la réapparition de la sœur morte, et le dialogue qui s'ensuit, est un des plus beaux moments de cinéma fantastique (ou plutôt enchanté, pour rester dans le sillage du texte de Rémi) qu'il m'ait été donné de voir. Qu'est-ce que vous répondez à ça, Monsieur (ou Madame) Péremptoire ? (Vous avez intérêt à disposer d'un peu plus d'arguments que dans votre commentaire ci-dessus, car à une affirmation on peut toujours répondre par une autre.)

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