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14 février 2011

Dogfight

San Francisco, 1963. Le jeune Eddie Birdlace (River Phoenix) s’apprête à vivre sa dernière nuit avant son départ pour le Vietnam. Le groupe de marines auquel il est rattaché organise une soirée où se tiendra un drôle de concours nommé « Dogfight » qui consiste à récompenser celui qui aura amené la fille jugée comme étant la plus moche. C’est comme ça qu’Eddie est amené à rencontrer Rose (Lili Taylor), une jeune fille timide et solitaire, aspirant à devenir une chanteuse folk, dont le physique peu facile correspond effectivement au profil recherché pour la soirée. Ce film réalisé en 1991 par Nancy Savoca se présente d’abord comme une simple romance rendue particulièrement agréable à suivre grâce au charme assez rare de l'ensemble des personnages en présence. Le regretté River Phoenix campe avec brio un jeune garçon de 18 ans au caractère bien trempé, mais un peu buté et englué dans son petit univers très masculin. Sa rencontre avec Rose, une jeune fille idéaliste et un peu naïve, enfermée dans des rêves entretenues par ses idoles (Joan Baez, Bob Dylan, Woody Guthrie, etc), le confronte à une autre vision des choses qui ne le laissera pas insensible. Lili Taylor est également parfaite dans son rôle, elle qui n’a clairement pas un visage correspondant aux critères habituels de beauté, mais qui ne manque pas pour autant de dégager un certain charme et qui parvient même à nous séduire lorsqu’elle se met à pousser la chansonnette, avec sa voix si douce simplement accompagnée par un timide jeu de guitare ou de piano. On suit donc avec un réel plaisir la petite aventure de ce couple d’une nuit, filmée très simplement mais avec une application sincère par Nancy Savoca, qui n’a visiblement pas tourné grand chose depuis. Les passages inévitables du scénario, comme le moment où Rose se rendra compte de la raison pour laquelle elle a initialement été abordée par Eddie puis les excuses et explications qui s’en suivent, parviennent miraculeusement à éviter une lourdeur que l’on pouvait légitimement redouter et tout fonctionne étonnamment bien. Alors que le temps semble se dilater et cette nuit devoir ne jamais finir, le film donne l’impression de passer à toute vitesse. Tandis que nous nous attachons encore davantage à notre couple vedette se promenant et échangeant dans un San Fancisco au look encore très fifties, l’accent est mis sur leur manque d’expérience et leur innocence commune. Nous suivons également via de brèves scènes souvent amusantes les divagations de la bande de potes qu’Eddie a temporairement abandonnée. Eux aussi constituent trois personnages très joliment dépeints, qui ne manquent pas de nous faire décrocher quelques sourires et même un vrai éclat de rire lors d’une scène de tatouage particulièrement savoureuse.




Mais c’est grâce à sa dernière partie, contenue dans son quart d’heure final, que Dogfight prend une toute autre envergure. Cette nuit où tout semblait figé dans le temps finit par s’achever, et dès l’aube, Eddie doit quitter Rose, puis nous le voyons prendre ses jambes à son cou pour ne pas manquer le départ des troupes pour le Vietnam. Je croyais alors qu’il s’agissait du dernier plan du film, en me disant qu’il pouvait très bien nous quitter là, nous laissant imaginer la suite. Mais ça n’est pas le cas, et Dogfight choisit d’aller plus loin. Le film, très léger jusque-là, s’alourdit brusquement et prend alors tout son sens. Le temps du film est soudainement haché, accéléré. La guerre du Vietnam, que l’on traverse comme un éclair lors d’une scène aussi brève qu’efficace et brutale, apparaît comme un cauchemar à oublier au plus vite. Notre héros se réveille d'ailleurs transfiguré puis découvre la ville de San Francisco métamorphosée et l’accueil très divers qui lui est réservé. On devine que ses trois amis n'ont pas survécu à la guerre et qu'ils y sont tombés comme des mouches, bien triste sort pour ceux qui se faisaient surnommer les « bees » (abeilles) en raison de leurs patronymes se commençant tous par la lettre B et qui en avaient donc chacun une tatouée sur le bras. Eddie n'a plus qu'à rejoindre Rose pour retrouver une petite source de réconfort et peut-être tenter de renouer avec une époque définitivement abolie dont elle est la dernière relique. Dans cette dernière partie, Nancy Savoca réussit le plus difficile et fait de son œuvre modeste beaucoup plus que la petite romance qu'elle prétend longtemps être. On sait que plus rien ne sera comme avant, et pas seulement pour notre personnage principal. Le générique de fin défile sur les notes de Sunflower river blues de John Fahey, une mélodie qui nous conforte dans la drôle d'impression empreinte de douce nostalgie laissée par ce très beau film que je vous invite vivement à redécouvrir.


Dogfight de Nancy Savoca avec River Phoenix et Lili Taylor (1991)

11 commentaires:

  1. Je le connais pas du tt celui-la.. ca donne envie!

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  2. Sacré article pour un sacré film !

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  3. Ca donne franchement envie de voir ce film si méconnu, en plus avec ce grand acteur qu'est River Phenix.

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  4. Ouais ça fait sacrément envie. J'avais déjà vaguement entendu causer de ce film par rapport à River Phoenix, mais je ne connaissais pas du tout le nom de Nancy Sinatra.

    A voir :)

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  5. L'un de mes films préférés! Je suis ravie d'en lire du bien, ca me donne envie de le revoir.

    Mona

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  6. Super film, malheureusement quelque peu tombé dans l'oubli oui...
    Vous avez raison de parler du morceau sublime de John Fahey qui accompagne le générique; il participe grandement à l'effet rare que procure ce joli film. Super bo aussi.

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  7. River Phoenix reste le meilleur pour moi!
    Il etait trop genial il etait magnifique et talentueux.
    J adore River.

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