Alors c'est ça, à en croire les critiques unanimes, LE thriller
français de l'année 2021 ? C'est donc ce long machin froid, gris et
laid, truffé d'incohérences et de facilités, qui a été capable de réunir plus d'un million de spectateurs en salle malgré le contexte actuel
? Bon, tant mieux pour le cinéma français hein ! Il en faut des petits
succès surprise, des films qui marchent envers et contre tout ! Et puis
je vous l'avoue tout net : moi aussi j'ai marché, je me suis laissé
prendre, j'ai été captivé jusqu'au bout. A la différence que j'étais
chez moi, pépouze, au fond de mon canapé, et ça m'a permis de rester
d'humeur. Car sur grand écran, pas dit que j'aurais pu encaisser avec la
même distance la mise en scène platissime de Yann Gozlan et la mocheté
générale de son dernier rejeton, qui semble s'obstiner à se dérouler
dans les endroits les plus hideux et cafardeux du monde. Tout se joue
dans l'ambiance pas si feutrée d'open-space mornes et exigus, où l'on
aimerait ne jamais avoir à mettre les pieds, dans des salles d'analyse sonore
sordides, plongées dans l'obscurité quasi totale, dans les habitacles
inconfortables de voitures grises, elles-mêmes garées sur le macadam
anthracite de parkings détrempés, face à des hangars immondes sur
lesquels s'abat sans cesse une pluie fine et pernicieuse. Parfois, nous
nous retrouvons dans des sous-sols glauques et mal éclairés qui,
pourtant, apparaissent presque comme des bols d'air frais. Et, toujours,
nous sommes surplombés par un ciel menaçant, une large barre grisâtre
supplémentaire qui envahit régulièrement le cadre avec une autorité
implacable. Même quand nous le voyons pas, nous le savons là. Pesant,
écrasant, aussi plombant que le sérieux du film, de rigueur non-stop,
évidemment. Il y a là-dedans bien plus que cinquante nuances de gris.
Que du bonheur ! C'est à se demander si le tournage n'était pas annulé
en cas de beau temps, si l'on ne pliait pas tout dès qu'un coin de ciel
bleu avait la mauvaise idée de se pointer. Mater ça un dimanche pluvieux
d'hiver – car c'est typiquement ce qu'on appelle un "film du dimanche
soir", juste assez prenant pour vous faire oublier la reprise du lundi –
c'est un vrai coup de poignard ! Que c'est déprimant ! A ce point-là,
c'est forcément un choix esthétique du cinéaste, pas de doute là-dessus. Peut-être
veut-il nous montrer l'horreur de nos sociétés actuelles... Il ne ment
pas, ces grands bureaux, ces lieux de travail et de désolation, sont bel
et bien comme ça. Et cela serait raccord avec son scénario en mille-feuille, où il est
question de techniques de surveillance omniprésentes et, finalement,
d'une économie libérale prête à tout, et notamment à fermer les yeux sur
la sécurité réelle de ses avions... C'est que ça dénonce grave par ici !
Aussi, à travers cette histoire de complot lié à un crash d'avion
qu'un simple acousticien de la BEA se donne pour mission de faire
éclater au grand jour, le cinéaste veut peut-être exposer un autre des grands
maux d'aujourd'hui. Yann Gozlan filme un individu, joué par un Pierre Niney
qui a bien la tronche de l'emploi, complètement obsédé par son travail.
Il n'a que ça en tête. Il n'existe et ne brille que par ses compétences hors-normes
d'acousticien hors pair, il est un coton-tige à binocles imperturbable, capable de déceler les moindres détails d'un
enregistrement de boîte noire en sale état qui, pour le commun des mortels, n'est
qu'un tintamarre incompréhensible. A l'instar du personnage campé par
François Civil dans Le Chant du Loup, autre thriller français voisin sur plus d'un point, couronné de succès et
tout aussi médiocre, Pierre Niney incarne quasiment un homme doté
d'un super-pouvoir : l'ouïe méga fine. Cela s'accompagne ici d'un point
faible, comme tous super-héros d'ailleurs, puisqu'il souffre d'hyperacousie et
perd ses moyens lorsqu'il se retrouve d'un seul coup dans un environnement dont il ne maîtrise
pas la cacophonie (heureusement, son casque Sennheiser et ses écouteurs
intra-auriculaires Jabra sont toujours là pour le replonger dans le
calme – Boîte noire propose de beaux et discrets placements de produits, le top de la
qualité dans le domaine).
Mais
au-delà de cette déplorable super-héroïsation du personnage principal, qui paraît désormais inévitable dans bien des films de ce genre-là, le réalisateur
montre
surtout un professionnel formaté, jusqu’au-boutiste, un perfectionniste maladif,
pétri de tocs et de tiques, une ombre filiforme condamnée à évoluer dans des espaces déshumanisés. Un homme qui ne semble pas animé par la
volonté de renverser le système, seul contre tous, en révélant un grand scandale, mais dont l'impulsion vient, d'abord et surtout, de son
envie
de faire son travail comme il faut, tout simplement, quitte à faire
quelques remous... "On ne peut pas juger quelqu'un seulement pour ses
compétences" lui serine sa compagne, campée par Lou
de Laâge – dont la coupe de cheveux trop travaillée nous indique
immédiatement qu'elle n'est pas nette – pour le sermonner d'être un peu
trop dur
avec le collègue, forcément moins bon que lui, qui a hérité du dossier
dont il rêvait. Avec ces deux-là, ce jeune couple antipathique bossant
dans
l'aéronautique, dont la relation est superficielle au possible, Gozlan nous montre un mariage fragile et prêt à se
défaire pour des
motifs professionnels, chacun étant obnubilé par sa progression, par sa
carrière. Le désir d'évolution, en salaire et en responsabilités, rime
avec surmenage et fait des ravages jusque dans l'intimité du foyer. La
pauvreté des dialogues et le jeu stéréotypé des comédiens abondent,
volontairement ou non, en ce sens (pauvre Dédé Dussollier qui n'a rien à jouer, sa chevelure blanche ébouriffée est la plus grande source de lumière de ce trop long métrage).
Il ne faut pas oublier que le titre du précédent film de Yann Gozlan
était Burn Out
! François Civil (encore lui ! décidément, une paire d'acteurs se
partagent tous les gros rôles en ce moment) y interprétait (bon, le mot
est un peu fort) un jeune gars
surmené, débordé, contraint à multiplier les jobs, de nuit comme de
jour, pour recouvrir la dette de son ex, avant de se mettre au go
fast... "Décrochez, prenez des vacances !" semble nous dire Yann Gozlan, à travers ses thrillers, portraits de jeunes hommes modernes aliénés par leur travail, qui ne donnent qu'une envie : prendre le soleil, se mettre au vert, voir la vie en couleurs ! Et ne me remerciez pas pour cette analyse à deux francs six sous de la
filmographie du nouvel auteur en vue du cinéma de genre hexagonal...
Elle n'ira pas plus loin.
Car côté cinoche, ce quatrième long
métrage du spécialiste français du suspense n'atteste en rien d'une
véritable progression, il nous confirme au contraire que Yann Gozlan, en
dépit de toutes ses bonnes intentions, paraît avoir déjà atteint son
plafond de verre. Le réalisateur s'aventure sur les terrains du thriller
paranoïaque, complotiste, mais n'atteint jamais le niveau d'intensité
et l'espèce de vertige que pouvaient générer ses brillants
prédécesseurs. Si son scénario met le son au centre de tout, il n'en
fait pratiquement rien à l'image, comme Antonin Baudry dans son
sous-film de sous-marin ; il se consacre trop peu à cet aspect-là et de
manière très frustrante et pauvre quand il s'y penche rapidement.
Oubliez Blow Out, Conversation Secrète et consorts, Yann Gozlan, avec
tout le respect que j'ai pour lui, ne pratique pas tout à fait le même
art que ses glorieux modèles américains. C'est pas grave hein. Des De
Palma, des
Coppola, c'est rare, c'est deux ou trois par génération, grand max,
comme dans le football. Yann Gozlan est à ces deux-là ce que Camel
Meriem est à Zinédine Zidane : un bon joueur de club. Quant il passe à
l'action, Gozlan brille encore moins, les quelques scènes où ça
bouge un peu, montées à la truelle, manquent cruellement de tension,
d'inventivité, et l'on peine à croire en cet homme de bureau qui, quand le scénar le demande, devient un habile plongeur sous-marin au clair de lune, combat des
chiens féroces, escalade des portails, s'infiltre tel un grand-maître
espion et se dérobe à ses poursuivants, seulement aidé tout le long par
ses écoutilles du tonnerre, tel le Sentinel, cette série-télé ridicule
qu'aimait tant mon cousin Z'Aurélien (si tu me lis !), passait sur M6 à
la fin des années 90 et préfigurait, l'air de rien, tout le cinéma de
divertissement du XXIème siècle ! Si l'on ne peut donc enlever
à ce film une certaine efficacité, faut-il se contenter de peu pour en
dire davantage de bien...
Boîte noire de Yann Gozlan avec Pierre Niney, Lou de Laâge et André Dussollier (2021)
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