Pages

8 mars 2020

The Endless

Fervent supporter du duo Benson & Moorhead depuis leur tout premier film, Resolution, me voici un petit peu gêné par The Endless. Les deux compères continuent de creuser leur sillon dans le cinéma de genre, persévérant dans une voie personnelle, originale, indépendante, plutôt que de céder à la facilité et aux appels des grands studios. The Endless est leur troisième long métrage et celui qui, à ce jour, a bénéficié de la meilleure visibilité et des critiques les plus positives — en attendant le prochain, Synchronic, dont le pitch a l'air alléchant et qui s'est déjà fait remarquer aux différents festivals où il est passé. Cette reconnaissance, à laquelle nous avons essayé de participer à notre très modeste hauteur et qui se limite encore toutefois aux cercles des initiés, est pleinement méritée. Oui mais voilà, pour moi, The Endless est peut-être leur film le plus faible, et ce n'est pas faute de lui avoir laissé sa chance, en bon blogueur ciné consciencieux et méthodique.




Après avoir réalisé une première œuvre déroutante difficile à cerner (Resolution) puis mis en scène une histoire d'amour fantastique contrariée assez touchante (Spring), le troisième film du duo s'inscrit plus trivialement dans l'horreur sectaire. Cela constitue déjà un choix moins audacieux, puisqu'on ne compte plus les films récents que l'on peut également ranger dans cette catégorie (de Kill List à Midsommar en passant par The Ritual ou The Sacrament et tant d'autres), tradition bien établie du cinéma de genre et toujours en pleine effervescence. Alors pourquoi pas, encore faut-il réussir à se démarquer de la masse et proposer quelque chose de neuf. L'approche très humaine et sincère de Justin Benson et Aaron Moorhead joue en leur faveur. Dès les premières minutes, on les sent soucieux de leurs personnages, attentif à décrire le lien spécial qui les unit. Après s'être intéressé à deux amis (Resolution) puis deux amants (Spring), notre duo dépeint cette fois-ci la relation de deux frères, qu'ils incarnent eux-mêmes, ce qui ne manque pas de donner une résonance particulière et intéressante à leur relation. Justin Benson incarne l'aîné, protecteur, serein, plus prudent et méfiant vis-à-vis de la secte, tandis qu'Aaron Moorhead joue le cadet, plus naïf, moins costaud, aussi bien physiquement que psychologiquement. Ce dernier est déprimé par le marasme de leur vie quotidienne et donc désireux de retourner dans la communauté qu'ils ont quittée, dont ils reçoivent un beau jour une mystérieuse VHS annonçant le "jour de l'ascension"...




Il y a du sens à ce que Justin Benson et Aaron Moorhead incarnent les premiers rôles, ces deux frères soudés et isolés, qu'ils arrivent facilement à faire exister. Nous croyons ainsi encore plus immédiatement à leur fraternité, et à leur côté marginal. Hélas, force est de reconnaître que nos deux compères sont plus doués à l'écriture et avec une caméra que devant l'objectif... en particulier Justin Benson. Il est peut-être beau gosse, bien bâti, mais question acting, c'est pas encore tout à fait ça : son jeu paraît assez limité, il tire souvent la même tronche pour exprimer la perplexité, le doute, c'est presque risible et cela dessert le film. Premier gros problème, que je vous avoue avoir presque du mal à exprimer tant j'éprouve de la sympathie pour le duo, bref. Nous suivons donc ces deux frangins dans leur retour à la secte qu'ils ont fuit, dans un coin de Californie écrasé par le soleil mais plutôt charmant, où tout le monde s'avère très accueillant, oubliant le passé et ne jugeant aucun des deux zigotos pour avoir fait une très mauvaise pub de leur communauté dans les médias. Sous cette couche de normalité et derrière ces sourires bienveillants, se cachent évidemment une bizarrerie discrète et naît une inquiétude sourde qui se manifeste notamment lors des drôles de jeux nocturnes auxquels sont invités à participer les deux frères. C'est là que l'inventivité du duo fait de nouveau plaisir à voir et se rappelle à notre bon souvenir. Il suffit d'une corde, tendue vers le ciel, qui disparaît dans la nuit, sur laquelle on essaie de tirer tant bien que mal, ne sachant pas ce qu'il y a au bout, hors champ, pour créer une situation purement fantastique et pour qu'une peur lancinante s'installe. C'est une idée visuelle aussi simple qu'excellente, qui nous offre l'une des meilleures scènes du film.




Il y a là encore quelque chose de très lovecraftien dans le scénario imaginé par Justin Benson, et ce n'est jamais pour me déplaire, avec cette idée d'une entité supérieure, qui nous dépasse et que l'on ne peut pas tout à fait comprendre, et ce culte que lui vouent quelques sympathiques illuminés. L'écrivain est même directement cité dans l'un des dialogues, pour une filiation encore plus évidente et assumée que dans leurs deux précédents longs métrages. Malheureusement, malgré une toile de fond qui donne envie de s'enthousiasmer, d'accrocher, d'y croire, les enjeux du scénario apparaissent bien maigres et redondants. Le film ne prend pas comme il devrait, s'essouffle, perd régulièrement en intérêt, on a du mal à s'y passionner. Les tergiversations du duo (l'un veut partir, l'autre rester), assez platement filmées, finissent par lasser un peu, on peine à s'y intéresser vraiment. C'est frustrant tant, par ailleurs, le film réserve bel et bien quelques chouettes moments, agréablement perturbants, souvent marqués par une brillante utilisation du hors champ et d'excellentes idées visuelles toujours placées sous le sceau de la simplicité, de l'évidence, de la bricole, avec, à la clé, deux trois scènes aussi bonnes que celle du jeu nocturne brièvement évoquée plus haut.




Mais malgré ces qualités indéniables, The Endless est donc un peu laborieux, trop long, le rythme est problématique, tout cela tarde bien trop à décoller et l'idée centrale du scénario, avec ces boucles temporelles délimitées dans des zones géographiques adjacentes plus ou moins grandes (en plus de Lovecraft, les deux acolytes ne seraient-ils pas aussi des lecteurs assidus de Christopher Priest ?), apparaît insuffisamment exploitée. En outre, si le film garde une bonne tenue malgré une photographie parfois douteuse, bizarrement étalonnée en post-prod, le bât blesse lorsqu'Aaron Moorhead et Justin Benson délaissent la simplicité et ont recours à de vilains CGI qui tachent. Je pense par exemple à ces flammes numériques hideuses et, surtout, à ce filtre chelou qui vient gâcher le climax, pourtant plaisant en soi puisqu'il s'agit tout simplement d'une déclaration fraternelle entre les deux personnages, qui retrouvent leur solidarité et reviennent à l'essentiel en plein chaos. 




Benson & Moorhead persévèrent ainsi dans leur univers bien à eux, qu'ils enrichissent plus ou moins habilement, ressassant les mêmes thèmes, et The Endless se révèle en fin de compte être une suite de Resolution. C'est d'ailleurs cette révélation qui survient à point nommé et qui donne un nouveau souffle (enfin !) au film, bien qu'elle ne soit pas mise en scène comme un twist mais comme une continuité, une jonction tout à fait naturelle, ce qui est encore un choix malin et judicieux. Cependant, on aurait peut-être souhaité qu'ils apportent plus de réponses, donnent moins l'impression d'entasser mécaniquement les couches de mystère, car cela finit par nous perdre un peu. Il n'y a somme toute rien de véritablement honteux là-dedans, loin de là, et The Endless demeure un film de genre bien au-dessus de la moyenne, où l'on retrouve l'intelligence et l'ingéniosité qui caractérise le cinéma du duo depuis ses débuts. Mais nous sommes désormais en droit d'attendre mieux de Benson & Moorhead et j'espère que leur prochain film sera plus consistant, à la hauteur de leur talent, qu'il leur permettra de franchir un palier et confirmera pour de bon les espoirs placés en eux. 


The Endless de et avec Aaron Moorhead et Justin Benson (2018)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire