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26 février 2019

Les Noces rouges

Je ne vais pas vous faire le topo sur le portrait au vitriol de la bourgeoisie de province. Vous connaissez le couplet. C'est exactement ce que fait ici, comme partout ailleurs, Claude Chabrol, et il le fait là particulièrement bien. Les acteurs contribuent. Stéphane Audran et Michel Piccoli excellent, fidèles à eux-mêmes, dans les rôles des amants. Claude Piéplu, dans le rôle du mari trahi, est peut-être encore plus fabuleux. Jusqu'aux deux tiers du film, il est sobrement parfait en petit député maire au manteau long, au regard vide et à l'air fat, qui lit le journal le soir en buvant un whisky servi par sa femme ou par la bonne (c'est idem), avant d'aller se coucher, seul, car chez ces gens-là, n'est-ce pas, on fait chambre à part. Mais quand son personnage se révèle, découvrant à tout le monde qu'il avait flairé le pot aux roses depuis un bail, alors là, là, mes amis, la Pièpl', soudain, explose.


 On ne répètera jamais assez à quel point Stéphane Audran était une grande actrice.

Claude Piéplu surnage littéralement, il s'impose, devient la troisième roue du carrosse qui remue la merde. L'acteur tire sur ses clopes comme un chien fou, en permanence, dès cette scène où il surprend sa femme, rentrant chez elle au petit matin, incapable de justifier une promenade nocturne de 4 heures. Il est tout feu tout flamme, il s'énerve et jubile, cerné mais rayonnant, humilié mais humiliant, trahi mais tenant les deux traitres dans ses mains et tirant sur la laisse. L'acteur est magnifique. Vautré dans son fauteuil en cuir : "ça m'arrange !"





Duel au sommet, opposant deux acteurs qui ont un point commun de circonstance : aucun des deux n'a reçu le moindre César, ni pour un second rôle ni pour un premier, ni même un quelconque César d'honneur, mais ce n'est pas grave puisque parmi les 9 américain.es qui en ont reçu un ces 10 dernières années, on compte des personnes beaucoup plus méritantes, comme George Clooney, Michael Douglas ou Sean Penn.
 


Magnifique moment quand Claude Piéplu essaie de redémarrer pour tracer sa route, après le rendez-vous sordide où il réunit les deux coupables, demandant finalement à Piccoli de raccompagner Audran parce qu'il a autre chose à faire que perdre son temps avec les tourtereaux. Qu'a-t-il à faire ? Du pognon. Sale. Et son adjoint socialo va bien devoir le couvrir maintenant qu'il sait tout. Piéplu tourne la clé de contact, galère, rame, la bagnole ne veut pas démarrer, Chabrol est à deux doigts de hurler "coupez", mais finalement le moteur s'emballe. Magie du cinéma... La crise nerveuse d'Audran, une fois la voiture lancée, est encore plus folle. On a l'impression qu'elle l'a retenue, qu'elle a peut-être cru qu'elle n'allait pas pouvoir la jouer, et quand elle craque, elle craque deux fois.


Très belle séquence où Piccoli oublie une godasse sur la plage alors que des gosses passent en barque près de la planque où il se la coule douce avec Audran. Acte manqué ?

Mais il y a aussi une idée étrange dans ce film. Chabrol, je crois, souvent, plaçait une ou deux idées bizarres dans ses films. Il me semble avoir remarqué ça, cette tendance chez lui à la petite idée biscornue, ponctuelle, mais je n'ai aucun autre exemple en tête à vous donner à l'appui de cette thèse brillante (écrivez-la pour moi, je dirai comme on dit dans ce pays aux thésards : Dieu vous le rendra). Dans ce film, l'idée étrange se pointe presque dès le départ. On est d'abord avec Piccoli, chez lui. Il quitte le domicile conjugal et sa femme souffreteuse, prend sa voiture et roule. On est avec lui sur la route et quand il arrive au point de rendez-vous, au bord d'une rivière. Il retrouve Audran. Ils se font plaisir. Puis la caméra monte en voiture avec Audran qui rentre chez elle, dans sa grande maison bourgeoise, où elle retrouve son mari, Piéplu, et sa drôle de grande fille. L'idée étrange n'est pas dans cet habile chassé-croisé des amants. L'idée bizarre, c'est que la bande originale du film, qui se fait entendre durant tout le trajet en voiture de Piccoli, ne se fait pas entendre comme une musique extradiégétique, comme une bande originale normale, mais comme une musique diégétique, jouée dans le film, une musique que Piccoli écoute sur son poste, dans la voiture. Quand la caméra est extérieure à l'habitacle, à quelques mètres de la route, la musique est beaucoup plus faible, assourdie, puis le son reprend son volume normal quand on retourne dans l'habitacle. Et finalement, quand Piccoli coupe le moteur, la musique s'arrête net.


Où l'on se rassure en constatant que, comme nous, et comme Jamel Debbouze, Michel Piccoli a un souci de main.

C'est la seule fois, dans tout le film. Le reste du temps, la musique originale est entendue comme une musique originale classique. On a l'impression que Piccoli écoute la bande originale du film (il est à deux doigts d'éjecter la cassette et de la ranger dans un boîtier à l'effigie de l'affiche des Noces Rouges). Le personnage a vu le film et s'est payé la BO. Ce qui expliquerait qu'il se dirige vers ce rendez-vous secret avec le sourire aux lèvres tout en écoutant, sur la route, une musique hyper angoissante de thriller. Cela explique aussi la dernière réplique du film, où, menottés dans un fourgon de flics, et répondant à la question du commissaire qui leur demande "Pourquoi n'êtes-vous pas simplement partis ?", les deux amants répondent : "On n'y a jamais pensé..." en se donnant la main. Et pour cause, ils connaissaient déjà la fin. Qui manifestement leur allait très bien.


Les Noces rouges de Claude Chabrol avec Michel Piccoli, Stéphane Audran et Claude Piéplu (1973)

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