Pages

21 avril 2015

The Wanderers

Le Bronx, début des années 60. Les bandes rivales s'affrontent dans les rues new-yorkaises, chacune a son code vestimentaire, ses origines et son territoire. Richie Gennaro et Joey Capra, deux garçons sympathiques d'origines italiennes, appartiennent à la même bande, les très pacifiques Wanderers (vagabonds). Le premier, jeune homme charmeur et téméraire, est le véritable chef de la meute tandis que le second, plus timide et réservé, en est en quelque sorte le boute-en-train. Liés par une forte amitié, ils vivent ensemble leur dernière année au lycée. Richie (Ken Wahl), sérieusement engagé avec une fille éperdument amoureuse de lui, découvre les responsabilités nouvelles résultant de cette relation, impliquant notamment de devoir résister aux tentations même quand celles-ci prennent la forme d'une Karen Allen rayonnante. Quant à Joey (John Friedrich), il traverse une période difficile, trouvant dans sa bande de potes le seul refuge possible d'une vie familiale épouvantable, dominée par un père violent, infidèle et irascible. Les deux garçons sont à une période charnière de leur existence.




Réalisé par Philip Kaufman en 1979, The Wanderers est un "film de gangs" à ranger dans la catégorie des American Grafiti, Outsiders et Les Guerriers de la nuit sortis à peu près à la même période. Et, bien que je dois avouer ne pas avoir vu le film de George Lucas, je ne crois pas prendre un très grand risque en affirmant que The Wanderers (bêtement devenu Les Seigneurs en VF) doit être le tout meilleur du lot. Épaulé par sa femme, Philip Kaufman a adapté le premier bouquin de Richard Price, très habile écrivain originaire du Bronx dont le talent a plusieurs fois été mis au service du cinéma et de la télévision, signant quelques scénarios pour Martin Scorsese et inspirant directement la série The Wire. Le cinéaste a transformé le récit très épisodique de l'auteur new-yorkais en un film qui parvient à en conserver l'esprit, s'attachant également à retranscrire une ambiance, l'air d'une époque, mais qui réussit à trouver une cohérence et une dynamique propres en prenant pour fil conducteur le destin de ces deux personnages immédiatement attachants.




Dès les premières minutes, qui nous proposent une course-poursuite à toute allure dans les ruelles du Bronx puis un affrontement musclé entre deux bandes qui trouve résolution via un deus ex machina des plus savoureux, Philip Kaufman fait preuve d'une vigueur et d'une maîtrise qui ne l'abandonneront jamais. Sous fond de musique sixties du plus bel effet, nous prenons un malin plaisir à suivre les vies de ces jeunes qui ne pensent qu'à s'amuser comme pour mieux oublier l'inéluctable et radical changement à venir. Le bouillonnement urbain si cher aux livres de Richard Price est parfaitement retranscrit par un Philp Kaufman inspiré qui ose parfois des ruptures de ton très surprenantes. La légèreté, l'insouciance juvénile laisse régulièrement place à un profond désarroi et à une gravité saisissante. Je repense ici à cette scène troublante où tous les Fordham Baldies, une bande plutôt violente de crânes rasés en blousons de cuir, se retrouvent engagés dans la Marine par un recruteur zélé qui, jusque là, se contentait de hanter certaines scènes, dans l'arrière-champ, posté en uniforme derrière sa vitrine, portant son regard inquiétant et inquisiteur sur les jeunes des rues.




Le réalisateur se permet aussi des sorties de route franchement étonnantes, faisant dévier son film de la trajectoire habituelle et attendue. Kaufman nous rappelle alors qu'il venait tout juste de signer un remake particulièrement réussi de L'Invasion des profanateurs de sépultures au moment du tournage. The Wanderers faufile soudainement vers un registre fantastique voire horrifique lors des apparitions inquiétantes des Ducky Boys, ce terrible et insaisissable gang d'irlandais surgissant toujours de nulle part, et de préférence d'un épais brouillard, pour commettre l'impensable. On pense même au cinéma de John Carpenter quand nous les voyons apparaître tels des fantômes dans leur brume crasseuse (Fog) ou se montrer aléatoirement tel des croque-mitaines citadins (Halloween). Venant de moi, c'est bien entendu un sacré compliment.




Une autre scène propose un basculement très étrange : celle de ce match de football américain qui, suite à l'apparition des Ducky Boys, dégénère en une bagarre générale où l'intervention finale musclée du père de Joey, trouvant là l'occasion rêvée d'extérioriser toute sa violence, laissera une impression très marquante. Le match de football, d'abord accompagné d'une musique pop entraînante et joyeuse, se transforme progressivement en une scène quasi guerrière et particulièrement violente, où des sirènes et des crissements dissonants se mêlent à des cris multiples qui résonnent en un écho tétanisant. Alors que la bande son du film pourrait se résumer en un alignement facile de tubes accrocheurs de l'époque, cette scène montre que Philip Kaufman ne s'est pas limité à cela : le travail sur le son est ici tout à fait bluffant. A ce titre, l'apparition finale de la silhouette de Bob Dylan, interprétant The Times They Are A-Changin' dans une petite salle du Greenwich Village, ne semble pas du tout gratuite, elle fait totalement sens et vient même appuyer la douce mélancolie qui se dégage de cette poignante conclusion. The Wanderers m'a également rappelé le Breaking Away de Peter Yates, sorti la même année ; on tient là un autre très beau film, empreint d'une certaine nostalgie, sur le passage à l'âge adulte et le changement d'époque. Bien sûr, je vous le conseille vivement !


The Wanderers (Les Seigneurs) de Philip Kaufman avec Ken Wahl, John Friedrich, Karen Allen et Toni Kalem (1979)

35 commentaires:

  1. Ce film est-il à ranger d'office dans la "to watch list" de n'importe quel fan de Karen Allen, autrement dit dans ma "to watch list" ?

    La première image que tu donnes en lien des Ducky Boys fait vaguement penser à la petite troupe d'Orange Mécanique, hasard ou coïncidence ?

    RépondreSupprimer
  2. The Wanderers est à ranger dans ta "to watch list" à coup sûr, oui !


    Je n'ai pas pensé au film de Kubrick devant.

    RépondreSupprimer
  3. Très envie de voir ce film dont je n'avais jamais entendu parler du coup. Merci.

    RépondreSupprimer
  4. D'après la première photo, je peux constater que notre cousin musicien joue dans ce film, et qu'il est bagarreur...

    RépondreSupprimer
  5. Etienne Daho s'est, paraît-il, inspiré du look du jeune homme sur la troisième photo pour faire carrière en Bretagne. Bien lui en a pris, il est maintenant d'avantage connu que Christian Gourcuff, a.k.a. le sorcier blanc (à ne pas confondre avec Laurent Blanc, dont c'est le dernier match sur le banc du PSG ce soir, la plaisanterie n'a que trop duré).
    Par contre, contrairement au jeune homme sur cette photo, Daho n'a pas rencontré de compagne du "calibre" de Karen Allen, il a dû se contenter d'une certaine Dani, preuve de certains penchants gérontophiles du monsieur? A moins qu'il aime les cougars ? Je laisse ces questions en suspens pour les générations futures d'historiens de l'art.

    RépondreSupprimer
  6. Merci pour cette intervention, Metondoigt :)

    RépondreSupprimer
  7. J'espère qu'il te plaira ! :)

    RépondreSupprimer
  8. Beaucoup de gens se posent des questions sur Philip Kaufman, laissez-moi éclairer votre lanterne.
    D'abord, oui Phil Kaufman est un beau gosse, formidablement bien conservé malgré ses presque 80 printemps. Il partage cette particularité avec Clint Eastwood.
    Clint Eastwood dont il est l'ennemi le plus coriace depuis que celui-ci l'a débarqué sans ménagement de la réalisation de Josey Wales hors la loi, en raison de divergences artistiques irréconciliables, ceci ayant pour conséquence la mise en place de la fameuse "Eastwood rule.".
    Pour finir, c'est lui qui a eu l'idée de faire chercher l'Arche d'Alliance à Indiana Jones, et pour ceci on le remercie. En effet, si vous n'étiez pas au courant, George Lucas et Spielberg voulaient tout d'abord que Indiana Jones recherche son zlip pendant tout le film. On l'a échappé belle.

    Grâce à Phil Kaufman.

    RépondreSupprimer
  9. Daney avait inventé, je crois avec un autre journaliste du Libé de l'époque (Olivier Séguret ?), une chouette catégorie de films recommandables : les films « J.a.v.a. » — jouissifs, à voir absolument...

    RépondreSupprimer
  10. Triviax, un autre personnage légendaire à mes yeux, après Poulpard...

    Sinon, Philip Kaufman, beau gosse ou vieux beau ? :

    http://image.tmdb.org/t/p/w500/5hmDqd4AoGgDnAb18L6JcjtqlmK.jpg



    Rudement coiffé, en tout cas...


    Et cinématographiquement inégal, capable du meilleur ('L'Étoffe des héros') comme du pire ('Soleil levant'). Suite au texte de Félix, je veux croire que ces 'Wanderers' font plutôt partie du premier lot !


    Sinon, côté film de bandes de jeunes gens rivales dans les années 1960, vous ai-je déjà parlé de cette magnifique bande invisible (et fleuve) qu'est 'A Brighter Summer Day' (1991), du Taïwanais Edward Yang ? (En fait, je sais pertinemment que je vous en ai déjà parlé, mais il est des cas où l'on aime à radoter...)

    RépondreSupprimer
  11. J'aimerais le voir depuis longtemps celui-ci. L'autre jour je lisais Assayas à son sujet, aujourd'hui toi, et mon envie grandit, à blanc...

    RépondreSupprimer
  12. On dirait un peu Edgar Allan Poe (ou l'image que je m'en fais en tout cas). :D
    Je paierai cher pour avoir une telle crinière !

    RépondreSupprimer
  13. Et, même si je ne connais pas toute sa filmographie, il me semble bien que Kaufman a eu un moment de grâce entre 1978 et 1983.


    1978 : L'Invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers)
    1979 : Les Seigneurs (The Wanderers)
    1983 : L'Étoffe des héros (The Right Stuff)

    Y'a pire comme enchaînement...

    RépondreSupprimer
  14. Pas vu The Wanderers donc, mais bien d'accord pour les deux autres. Quand j'ai découvert son remake des Body Snatchers, au cours d'un week-end où je me suis envoyé toute la série (ou presque : Siegel, Kaufman, Ferrara, pas eu la foi de me refaire le triste Hirschbiegel), c'était celui que j'avais le moins apprécié. Mais l'ayant revu récemment, je dois bien admettre qu'il est bon.

    Quant à L’Étoffe des héros, c'est un sacré truc. Sam Shepard à son plus haut niveau. Et Ed Harris qui tutoie les étoiles tandis qu'un aborigène se la donne autour d'un feu... Magnifique. Nolan et ses trous de ver peut aller se rhabiller.

    RépondreSupprimer
  15. Content que tu aies revu à la hausse son Body Snatchers ! :)
    Et sûr que The Wanderers saurait te plaire aussi.

    Vous m'avez filé envie de revoir L’Étoffe des héros ! Ça remonte à méga loin pour moi, même si j'en garde un sacré souvenir.

    RépondreSupprimer
  16. Pas revu depuis sa sortie, j'espère ne pas être déçu lorsque j'en aurai l'occasion — pas dans l'horrible copie vidéo pirate multi-sous-titrée directement filmée sur un écran de cinéma et qui circule depuis plusieurs années, dont j'ai déjà parlé ailleurs sur ce site. La version que je voudrais découvrir, c'est celle de 3h57 (en 1991, il était sorti en France dans une version de 3h05) : il paraît que c'est une de ces versions longues qui valent réellement le coup, comme celles de 'Cléopâtre' ou de 'La Porte du Paradis'. Elle a été sortie en 35 mm en 2009 par la World Cinema Foundation de Martin Scorsese (cette dernière constituant son œuvre la plus intéressante des vingt-cinq dernières années), mais pas en vidéo. Il paraît que la veuve d'Edward Yang, de passage en France pour une rétrospective de son œuvre, a expliqué que cela posait encore de complexes problèmes de droits. Ceci étant dit, dans mon souvenir, ce film très atmosphérique gagnait vraiment à être découvert en salle.

    (La copie vidéo pirate susdite doit d'ailleurs être la version longue, mais je n'ai pas eu le courage de la regarder dans ce triste état.)

    RépondreSupprimer
  17. Je l'avais vu en reprise lors d'une « Fête du cinéma », et je me souviens qu'il effaçait tous les autres films vus dans la même journée...

    RépondreSupprimer
  18. Pendant que j'y pense (et j'arrête là pour ce soir !) : Félix, si tu aimes les interventions fugaces et inquiétantes de gangs irlandais (plutôt que les combats de gladiateurs), tu devrais regarder si ce n'est déjà fait 'The Long Good Friday', réalisé en 1980 par John Mackenzie avec Bob Hoskins, Helen Mirren, Eddie Constantine et Paul Freeman (le séduisant Belloq des 'Aventuriers de l'Arche perdue'), ainsi qu'un Pierce Brosnan tout jeune dans un rôle muet et assez effrayant. Un film tout à fait curieux et au bout du compte assez excitant. (En fait de gang irlandais, il s'agit de l'IRA !)

    RépondreSupprimer
  19. À un moment dans l'une de ses chanson, le groupe Deus dit "Sometimes I wander". Un lien avec le film de Phil Kaufman ? Certainement.

    RépondreSupprimer
  20. L'Etoffe des Héros - Space Cowboys... Y a t-il un lien ? Sans me mouiller, je dirais "sans aucun doute".

    RépondreSupprimer
  21. Tu fais fausse route Triviax :)

    RépondreSupprimer
  22. Kaufman enterre Eastwood sur ce coup-là. :D

    RépondreSupprimer
  23. Je n'ai jamais réussi à mettre la main sur ce "The Long Good Friday" qui m'attire depuis longtemps. Je vais réessayer ! :)

    RépondreSupprimer
  24. Sometimes I wonder about you, Triviax !

    RépondreSupprimer
  25. Le titre a été traduit par "Les Seigneurs" ! Tu suis pas, Futsal...
    "Les Zonards" aurait été bien mieux, oui ! :D

    RépondreSupprimer
  26. Bel article qui donne très envie de découvrir ça !

    Sinon je suis curieux de savoir ce qui t'a déçu dans Outsiders ? Je l'ai aussi découvert assez récemment et je l'ai trouvé super.

    RépondreSupprimer
  27. Je sais pas quelle version tu as vue, moi j'ai vu celle ressortie en 2005, de 114mn contre 91 pour la précédente. Et j'ai trouvé le film assez long, ou disons mal équilibré, je n'ai pas pu m'empêcher de penser, après coup, que la version courte devait peut-être mieux fonctionner. On sent que Coppola, en pleine possession de ses moyens, prend beaucoup de plaisir à filmer la jeunesse des années 60, mais au-delà de ça, le film ne m'a pas vraiment touché et j'y ai trouvé des passages presque mièvre. Je précise toutefois que ma déception est toute relative puisque j'ai quand même pris plaisir à le suivre, mais je m'attendais à l'aimer davantage.

    RépondreSupprimer
  28. Je pige, j'ai aussi vu ce director's cut d'1h54 et c'est vrai qu'il y a des longueurs. Mais j'ai quand même trouvé le film très chouette, un film pour gosse comme on n'en fait plus avec ce qu'il faut de dureté et d'émotion, une super photo, une super musique, un super casting...

    RépondreSupprimer
  29. Je me demande si le côté en effet légèrement décevant de 'Outsiders' n'est pas, d'une certaine façon, partie intégrante du film, et de son côté doux-amer...

    RépondreSupprimer
  30. Tu files grave envie entre Allen, Carpenter et ces scènes zarbos qui ont l'air chouettos !

    RépondreSupprimer
  31. ça te plairait sûrement ! :)

    RépondreSupprimer
  32. De la bagarre ? Ouais, je suis pour la bagarre ! J'aurais bien fait partie d'un gang... Faudrait que je m'en trouve un en fait !

    RépondreSupprimer
  33. Un western de Philip Kaufman, ce soir sur Arte :

    http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2015/06/29/la-legende-de-jesse-james-de-philip-kaufman/

    RépondreSupprimer