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17 février 2015

Locke

Le film Locke, de Steven Knight, nous aura appris un truc : que concrete, en français, veut dire « béton ». En fait il nous aura appris deux trucs. On a toujours pensé que l’album Concrete Jungle de Bob Leymar parlait d’une « jungle concrète », et nous pigeons désormais le vrai sens de ce titre. Ce film nous a appris trois trucs, pour être honnête. On pensait aussi, de proche en proche, que Concrete Island de J. G. Ballard parlait d’une « île concrète » (titre plausible pour un livre de SF !), avant de piger que l’écrivain causait simplement d’une « île de béton », ce qui fait complètement sens étant donné le contenu de l’ouvrage. Le film Locke a donc considérablement simplifié nos vies. Et ce n'est pas son seul mérite. Avez-vous vu beaucoup de films dont le héros travaille dans le bâtiment ? Il ne s’agit pas d’un pilote du tout, comme l’affiche, appelant sournoisement l’amalgame avec celle de Drive, pouvait le laisser croire. Il ne suffit pas de mater l’affiche, il faut s’intéresser au pitch parfois pour cerner un film ! C’est bien d'un maçon dont il s'agit. Le film dure une heure et quart, c’est un film à idée de base forte, comme Buried ou autres. C’est l’histoire d’un type qui zone une heure et quart en bagnole, à passer des coups de fil pour le salut de sa vie.




Au moment où le film démarre, qui coïncide avec le moment où Tom Hardy met le contact dans sa bagnole, le personnage apprend qu’il va devoir gérer la plus grosse coulée de béton de toute l’histoire du génie civil hors ouvrages militaires. Ce qui n’est pas rien. Le bonhomme maîtrise son sujet pour qu’on lui confie de telles responsabilités. Mais non content d’avoir ce poids sur les épaules, Locke, puisque c’est le nom de notre maçon, apprend d’un coup de fil que sa vie va basculer : sa maîtresse l’appelle pour lui dire qu’elle est enceinte et qu’elle va accoucher dans neuf mois vu qu’ils viennent de baiser il y a neuf jours (Locke se justifiera de cet acte manqué dans une scène de confession en avouant : « Un soir où ma femme a tardé à répondre au téléphone, je l’ai trompée, j’en ai bousillé une autre »). Aucune incohérence dans ce film qui a été écrit d’un coup sec, pas le temps pour les incohérences, l’auteur a foutu une gifle à son clavier et ça a donné cette histoire. C'est un film à records, puisque c’est aussi le seul film où un seul acteur, Tom Hardy donc, apparaît à l’écran. Il y avait également huit caméras casées dans le véhicule de Tom Hardy. Huit caméras ! Tous les records sont battus dans ce film, sauf un ou deux.




Pour revenir au script, le film est une série de coups de fil entre Tom Hardy, sa femme trahie et éplorée, ses employeurs à bout de nerfs, son gamin qui lui fait le résumé minute par minute façon L’Équipe du match du soir opposant Liverpool à Twickenham à coups de « Papa ! Papa ! T’as raté le coup d’envoi ! », « Papa ! Papa ! T’es fan de foot et t’es pas là ! »... bref, l'homme est scié entre sa femme en larmes, son fils hooligan en herbe et sa maîtresse, son coup d’un soir, son one perfect shot. Pour gérer tout ça, Tom Hardy a un kit main libre et une bonne bagnole tout confort de marque BM avec options comprises et incrustées sur le tableau de bord (c’était les conditions de Tom Hardy pour accepter de faire le film). Dans ces conditions optimales, Locke plaque sa femme et son boulot pour retrouver son one perfect shot.




Le personnage, on le comprend assez vite, a perdu son père. On le comprend quand on voit Tom Hardy parler à son paternel mort assis sur la banquette arrière (pour rappel Tom Hardy est seul à l’image, et joue donc contre le rétro), lui répétant non-stop « Tu vois P’pa ! J’fais pas comme oit ! ». Avec un flegme imperturbable, il quitte sa femme et lui raccroche au nez, pour aussitôt se connecter au web et poster « Larguer ma meuf : check » sur Facebook. Il gère avec le même calme olympien un de ses employés qui menace de faire foirer la plus grande coulée de béton ever faute de trouver les clés que Tom Hardy a emportées avec lui dans sa besace en quittant le boulot. Le film se termine sans qu’on en sache beaucoup plus. On se dit que Locke a sans doute bien géré la coulée, vu qu’il s’est assuré de plein de détails avec scrupule et soin (c’est une perle, c’est pourquoi ses boss lui en veulent de les quitter en si bon chemin). Pour conclure, saluons Tom Hardy. Pas une critique de ce film, dans le monde entier, n’a omis de saluer la performance bluffante de Tom Hardy, sauf nous.


Locke de Steven Knight avec Tom Hardy (2014)

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