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23 novembre 2014

Le Convoi

Le Convoi de Sam Peckinpah (à ne pas confondre avec les géniaux Le Convoi sauvage de Richard C. Sarafian, ou le Convoi de la peur de William Friedkin), suit le parcours de Rubber Duck, routier incarné par le magnifique Kris Kristofferson. Harcelé par un vieux flic hargneux et raciste, Lyle Wallace (génial Ernest Borgnine, proche ici du Vic Morrow de Dirty Mary, Crazy Larry), Rubber Duck, idole de la communauté des chauffeurs poids-lourds, trouve immédiatement du soutien auprès, d'abord, de quelques fidèles, tels Love Machine (Burt Young) ou Spider Mike (Franklyn Ajaye), puis très vite de toute une armée de camionneurs remontés. Le convoi du titre va alors prendre une dimension hallucinante, visible dans quelques plans où la colonne de camions s'étend à perte de vue sur les routes longilignes de la vieille Amérique. Et le flic revanchard comme ses collègues devront redoubler d'efforts pour parvenir à stopper cette marche en avant solidaire et entêtée.




En 1978, Sam Peckinpah, déjà gravement malade, tourne son avant-dernier film. Le cinéaste n’a pas perdu grand chose de son panache et de son talent. Il cède certes à la facilité avec cet énième recours forcé aux ralentis dilatés dans une scène de baston générale dans un bar, poussive quoique allégée par sa part de cartoon, et on le sent bien en roues libres sur sa table de montage dans la séquence tout en fondus et surimpressions où les camions et les bagnoles de police s'égarent dans la poussière sur un chemin de terre, mais le film n'en est pas moins solide.




Le plaisir qu'il y a à embarquer dans ce Convoi tient d'abord aux acteurs en présence : le Kris Kristofferson de Pat Garrett et Billy le kid, le Ernest Borgnine de La Horde Sauvage, mais aussi Seymour Cassel, fidèle de Cassavetes, ou ce bon vieux Burt Young. L'humour du film leur doit évidemment beaucoup. On se régale aussi du mélange des genres opéré par Peckinpah, qui mêle western et road movie - le second descendant en droite ligne du premier - avec brio, notamment dans la scène mémorable où Rubber Duck s'apprête à affronter le shérif Wallace, qui retient son ami noir prisonnier dans un petit bled du Texas. Après avoir quitté le convoi pour aller retrouver sa femme sur le point d'accoucher, Spider Mike s'est fait arrêter dans un État pas spécialement réputé pour sa tendresse envers les noirs, et le shérif local l'a évidemment passé à tabac comme un sauvage. Pour aller aider son ami, Rubber Duck a donc interrompu ses négociations avec le gouverneur Haskins (Seymour Cassel), prêt à parlementer avec ces satanés routiers soutenus à travers tout le pays par la population histoire de gagner quelques voix. Mais alors qu'il croyait y aller seul, ses camarades l'ont suivi, et Peckinpah filme le camion de Rubber Duck rejoint par une foule d'autre poids-lourds sur les starting blocks face à la petite bourgade texane dans un mexican stand-off qui oppose une troupe de semi-remorques, alignés sur l'asphalte tels les héros de La Horde sauvage s'avançant vers l'armée du général mexicain Mapache, et le pauvre Ernest Borgnine retranché dans son bastion. Pas de coups de feu dans ce duel, mais des camions lancés à toute berzingue sur les murs de la prison.




La part la plus intéressante de ce film tient dans ce qu'il fait la jonction entre le cinéma américain des années 70 et celui des années 80. Peckinpah ne se refait pas totalement, et son Convoy évoque le Vanishing Point de Richard C. Sarafian, avec son routier pourchassé qui devient un mythe grâce aux communications radio, sans parler de la gratuité initiale de l’opération lancée par les camionneurs (Duck lance un définitif : « Un convoi, c’est fait pour avancer ») et de sa récupération politique tardive tous azimuts (combat des noirs, conflit au Vietnam, etc.). Mais, deux ans avant son avènement, Peckinpah a déjà un pied dans la décennie suivante, dont l’avatar le plus visible est le look terrible que trimbale Ali McGraw, avec son bronzage forcé et sa permanente à la garçonne, la fameuse et horrible coupe « Starsky » des années 80. Ces années-là seront aussi celle d’un ringardisme achevé dont le film n’est pas exempt, et surtout celles des gros bras (comment défoncer une ville entière avec de gros bahuts). On trouve aussi la marque des 80s dans le happy end qui tache, là où n’importe quel film du Nouvel Hollywood des années 70, et surtout n’importe quel film de Peckinpah, se serait jusqu’alors conclu par la mort du héros, si possible dans une explosion inutile et tragique. C’est cet enjambement, d’une décennie l’autre, entre les mains d’un cinéaste presque fini mais encore à l’affût et toujours aussi enthousiasmant, qui fait tout le sel d’un film inégal mais véritablement généreux. Inégal tout de même, disons-le, parce que Peckinpah, à travers ce finale notamment, n'est pas tout à fait lui-même. Le cinéaste tournera son dernier film, Osterman week-end, cinq ans plus tard, en 1983, et si on y retrouve un Craig T. Nelson affublé de la moustache de Tom "Magnum" Selleck, il s'agit bien là d'un pur film du Nouvel Hollywood, testament d'un auteur des années 70 ayant achevé son œuvre dans une décennie définitivement pas faite pour lui.


Le Convoi de Sam Peckinpah avec Kris Kristofferson, Ali MacGraw, Burt Young, Ernest Borgnine et Seymour Cassel (1978)

8 commentaires:

  1. Avec toute la bonne volonté du monde, j'ai tenté ce film, j'ai tenu une dizaine de minutes. Pas mal pour un chef d'oeuvre ;)

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  2. A noter que personne n'a parlé de chef-d’œuvre.

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  3. À noter que Seymour Cassel n'a aucun lien de parenté avec Vincent Cassel.

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  4. A noter également qu'à une lettre près le blaze du héros devenait un pur blaze d'acteur porno.

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  5. un "convoi" qui sera le plus gros succès de sa carrière , un année 1978 ou débarquait un certain Lucas avec son étoile noire ...certes une œuvre parfois un peu pornawak dans son traitement scénaristique , mais sur la forme un superbe objet filmique comme on n'en voit plus aujourd'hui , avec une mise en scène éléphantesque ! le miller de mad max 2 a du pomper quelques plans .
    bonne chronique pour l'anniversaire des 30 ans de la disparition d'un des cinéastes les plus critiqués , voire même démoli , de l'histoire du 7eme art , alors qu'il en est un des plus extraordinaire partisans , plus de la moitié de ses œuvres étant rentrées au panthéon .

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  6. Tu m'as quand même filé envie de le téma !

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  7. Pareil que Poulpard. Enfin, avec variantes.
    J'étais dans une salle avec des potes, ils voulaient rester, eux, car ils aimaient, eux.
    (NB: La semaine de la sortie, hein. Z'êtes pas nombreux à pouvoir en dire autant... Heureux mortels!) ..
    Bon, bref. Tout ça pour dire que les blablas des cibi, les ralentis de camions qui se carambolent et se disloquent... ça va cinq minutes. J'ai tenu dix. Après, j'ai juste ouvert un œil aux changements de bobines (wé, j'ai dit "changements de bobines", y a eu, wé...)

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  8. Excellent article de 15 pages avec interviews diverses et variées sur le bonhomme dans l'excellent journal SO FILM.
    Ce dernier numéro est particulièrement génial. On y parle même de Bobby Driscoll. La chose est assez rare pour être notée.

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