Ça par exemple… Si je m’attendais à aimer le dernier film de Spike Jonze… Force est d'avouer qu'une armée d'a priori négatifs m'ont assailli à l'approche de ce fameux Her, signé de la main du réalisateur d'une centaine de clips et, tout dernièrement, de Max et les Maximonstres. Scénariste plein de bonnes idées mais pénible et besogneux (à l’instar du célèbre Dans la peau de John Malkovich, film parti sur de bonnes bases dont il n’a su que faire), au style visuel pompier et lassant, Jonze ne partait pas d'un bon pied, encore moins à la vue de cette affiche ô combien inquiétante. Et pourtant le film est une bonne, une vraie surprise. D'abord parce que le cinéaste cesse de jouer la carte de l'épate ou de la séduction et peint un futur terriblement proche de notre présent, sans emphase, sans esthétisme criard, dépourvu de toute quête d’inventivité échevelée, de tout coup de manche narratif, et loin de tout goût affiché pour un "visuel" excessif. Spike Jonze a lui-même écrit son scénario et se libère ainsi de la lourde patte Kaufman, auteur de Synecdoche New-York et scénariste non seulement de Dans la peau de John Malkovich mais aussi d'Adaptation, l'autre long métrage de Jonze. Charlie Kaufman a également commis, pour Michel Gondry, autre clipeur professionnel adepte du tout-visuel, le script d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Et l'on pouvait craindre que Her se rapproche de ce cru de la filmographie de Gondry, récit aussi mignon que mélancolique d'une histoire d'amour vouée à l'échec mais recommencée ad vitam æternam par deux paumés dépressifs et adorables...
Mais Her vole bien au-dessus de tout ça en refusant d'être un pot pourri de petites idées bricolées, de séduire son petit monde avec force détails mignonnets, en mettant au rebut toute mise en clip superficielle et toute velléité de livrer son petit délire cheap pseudo ravissant. Optant en fin de compte pour une simplicité absolue et pour un discours tout en finesse, Jonze parvient enfin à mettre l'émotion au premier plan. Il filme un futur qui est déjà au présent, poussant notre quotidien à peine plus loin qu'il ne va déjà et, ce faisant, il réalise l'un des films les plus intéressants de ces dernières années sur des questions aussi cruciales et d'actualité que le problème de l'individualisme et de la solitude de l'homme moderne, celui de la communication virtuelle, de la dépersonnalisation émotionnelle, de la mise en gérance des histoires personnelles ou du développement des intelligences artificielles. Sans asséner de réponses toutes tracées, et sans tirer de plans sur la comète, Spike Jonze avance des hypothèses non seulement originales mais terriblement convaincantes : et si, au fond, les nouvelles technologiques de communication, au lieu de révolutionner absolument le destin du genre humain, ne faisaient que rejouer son drame profond, l'échec amoureux, en l'accentuant sans véritablement le dénaturer ? Et si les robots, doués de personnalité et d’une authentique capacité au sentiment, venaient à tomber amoureux des hommes, et réciproquement, au lieu de vouloir les soumettre et les abattre, comme, pour vulgariser leur propos, dans 2001 l’Odyssée de l’espace ou Terminator ? Et si l'intelligence artificielle, au lieu de prendre le contrôle du monde et de vouloir asservir ses propres créateurs (pour quoi faire au juste ?), comme l'ont prophétisé tant de films, se mettait simplement à évoluer à une telle allure et de façon si indépendante que l'homme n'aurait plus rien à lui apporter, que l'humain la désintéresserait totalement et qu'elle finirait par mettre un terme à tout rapport avec lui pour fuir dans un ailleurs inventé par elle ?
Toutes ces hypothèses sont à vrai dire fascinantes, et la force de Spike Jonze est de les poser sans se croire obligé, une fois n’est pas coutume, d’extrapoler, d’exagérer, de pousser chaque idée à son paroxysme avec l’air de celui qui a tout compris et à qui on ne la fait pas : ces hypothèses sont simples et Jonze les traite avec toute la simplicité qu’elles réclament. Le cinéaste nous donne ainsi à penser les données du monde tel qu'il est, ou tel qu'il va vraisemblablement devenir, sans refermer aucune porte et en évitant les lieux communs, surprenant constamment son spectateur. Qui ne s'attend pas à ce que Samantha (Scarlett Johansson), le système d'exploitation dont Theodore (Joaquin Phoenix) tombe amoureux, se mette, par jalousie, à parasiter la vie de son installateur, à prendre le contrôle de son existence en utilisant toutes ses données intimes accessibles et en court-circuitant ses relations en toute discrétion ? Il n'en est rien. Au contraire, lorsque Samantha se permet un droit d'ingérence dans la vie de son protégé et amant, écrivain public de lettres intimes pour particuliers, c'est dans le but d'obtenir la publication en volume tant espérée de ses plus belles missives virtuelles. Savoir qu'elle est capable de cette initiative suffit à nous laisser imaginer le pire, la prise de contrôle tyrannique de la vie humaine par une machine, sans que le scénario ait à s'y astreindre. On pouvait aussi s'attendre à ce que la relation de Samantha et de Theodore ne soit pas aussi exclusive que le jeune homme l'espérait. Cette attente est pour le coup confirmée mais, loin de s'abaisser à un retournement de situation banal et désespérant (Theodore surprenant par exemple un ami ou collègue en plein ébat virtuel avec sa dulcinée artificielle), Spike Jonze va au plus simple et pourtant au moins attendu : Theodore constate le détachement de sa maîtresse, lui demande s’il n’est pas le seul, elle lui dit la vérité, que Theodore écoute tout en observant ces dizaines d’individus qui se croisent dans le métro et qui parlent, comme lui, à une voix sans corps, peut-être à la même...
C’est parce que cette situation est connue de tout un chacun que Jonze parvient à nous toucher, parce que le numérique, le virtuel, l’artificiel, ne font qu’augmenter horriblement le nombre des dialogues potentiels, sentimentaux ou non, entretenus de concert par l’être aimé avec d’autres que l’amoureux délaissé. Loin de jongler au petit bonheur la chance avec des idées, des concepts ou autres théories plus ou moins farfelues, comme il l’a fait par le passé, le cinéaste observe avec une sincérité et une forme de respect, d’amour, disons-le, cet humain qui jadis lui servait de jouet. Jonze filme, sans esbroufe, sans en faire de sympathiques freaks, pivots d’une satire pontifiante ou mesquine, un homme et son corps, l’excellent Joaquin Phoenix (Her lui doit beaucoup), il filme une femme, artificielle ou pas, en tout cas sa voix, celle (parfois irritante il est vrai) de Scarlett Johansson, soit des sujets au centre d’une histoire, et non de simples rouages dans une quelconque démonstration. On pense finalement moins à Michel Gondry qu’à James Gray, celui de Two Lovers. Joaquin Phoenix nous gratifie d’ailleurs une nouvelle fois de sa déjà célèbre danse solitaire, aussi drôle qu’émouvante, exécutée pour la première fois en boîte de nuit, en 2008, pour séduire Gwyneth Paltrow. Cette danse et ce film, Two Lovers, sublime et plus important qu’on ne croit, ont donc déjà fait des petits. Outre Her, le récent Tonnerre de Guillaume Brac leur emprunte beaucoup (Vincent Macaigne rejouant la danse de Joaquin Phoenix pour séduire la belle Solène Rigot), et ces trois films sont au fond liés, au-delà de leurs sujets et des figures qu’ils mettent en scène, par la qualité pas si commune de leur regard porté sur l’humain.
Her de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara et Olivia Wilde (2014)
Tout à fait du même avis !
RépondreSupprimerHer est un bien meilleur film de science-fiction que les Pacific Rim, Gravity - qui n'en est même pas un - et compagnie. Ce sont pourtant ces films-là qui font croire à certains un retour en force du genre...
Un film qui, comme tu le dis, sait poser intelligemment des questions passionnantes, et c'est souvent à cela, à mon sens, que l'on reconnaît les œuvres de SF réussies.
Notons que Spike Jonze est aussi une bestiole de foire sur Tumblr et autres réseaux sociaux du même genre, juste parce qu'il est assez beau gosse (dans son genre). Cela pourrait quasi s'intégrer dans ton premier paraphet parmi tous les a priori négatifs sur le bonhomme ! Enfin, vous savez que perso, ça me rend toujours méfiant...
J'aime bien la posture de Phoenix sur la première tof. Typiquement le genre de posture qu'on a pendant l'installation d'un outil informatique dernier cri que l'on vient d'acquérir. On sent que le mec a observé et taffé ça... Quel acteur !
RépondreSupprimerTrès juste. j'étais d'ailleurs exactement dans cette posture hier soir, devant mon mac, en attendant que mon nouvel OS daigne s'installer... Une chance par contre : il n'a pas la voix de Miss Scarlett.
SupprimerSi tu pouvais choisir, tu lui mettrais la voix de Rolland Courbis, non ?
SupprimerJe ne m'étais jamais posé la question mais maintenant que tu le dis, oui, ça ne fait aucun doute. Il n'y aurait même pas match. Rolland ou rien.
SupprimerRooney Mara, j'ai toujours envie de la baffer. Pas vous ? Elle est jolie, je l'avais kiffée dans Side Effects de Soderbergh et je continue à piger un peu pourquoi. Mais elle a quelque chose de très énervant qui fait qu'on a envie de la secouer... Bon, peut-être que le fait d'avoir subi le film Les Amants du Texas n'y est pas pour rien ! Dans Her elle est bien choisie dans le rôle de l'ex-copine qu'on devine ultra chiante...
RépondreSupprimerPas spécialement non, mais je peux piger. Par contre j'ai souvent un mal fou à la reconnaître. Elle est très lisse et je la confonds notamment avec Emily Blunt, ce qui en dit long...
SupprimerCe n'est pas non plus un chef d'oeuvre hein Faut se calmer. Ce n'est pas non plus Profession Reporter ou la Comtesse au pied nu. Il baisse le blog. Faut se réveiller putain
RépondreSupprimerPersonne n'a parlé de chef-d’œuvre ici. Cependant, si l'on doit nommer "chef-d’œuvre" l’œuvre la plus aboutie d'un artiste, "Her" est bel et bien, à ce jour, le chef-d’œuvre de Spike Jonze.
SupprimerÉtonné par ailleurs que ce cher Joseph L. puisse oublier le deuxième pied de la Comtesse, nu lui aussi, mais flatté qu'il s'inquiète de notre soi-disant sommeil.
Joseph est un peu furax en ce moment faut le pardonner... Depuis qu'il a perdu ses lunettes il voit tout d'un seul oeil... Non mais c'est un petit film sympathique mais je doute que ce soit même son meilleur film. Le scénario est bon et Phoenix excellent mais tu fous Torreton dans le rôle et c'est un navet. PS : John Ford n'est pas content du tout. Il dit qu'il n'y a aucune critique de ses films ici , que des tacherons ont droit à des articles , que ça commence à bien faire. Et puis moi pourquoi tu ne parles pas de mon chef d'oeuvre avec Nicholson?
Supprimer"Le scénario est bon et Phoenix excellent mais tu fous Torreton dans le rôle et c'est un navet."
SupprimerCe genre d'argument m'amuse, et d'ailleurs il doit y avoir un ou deux articles sur ce blog qui en font fièrement toute leur argumentation, mais cela n'a définitivement aucun sens, il faut tout de même le rappeler :)
Amusant, je ne nie pas au film quelques-unes des qualités que vous citez, mais je n'ai pas du tout été touché. Je n'aurais jamais pensé au parallèle avec Two Lovers (qui lui m'a bouleversé), ou Tonnerre (un peu moins), mais en effet, plus qu'un film de science fiction (il suffit de prendre les transports en commun pour voir ça), c'est un chouette film sur la solitude, entre autres.
RépondreSupprimerJ'aime aussi les discutions qu'il suscite.
Bel article!
Je me suis permis d'ajouter ton blog dans les liens du nôtre.
SupprimerJ'ai fait le lien avec Two Lovers, lien plus ou moins appelé par Joaquin Phoenix, tu le fais avec Lost in Translation, et on peut y penser via Scarlett Johansson. Ce n'est pas inintéressant, même si je ne suis pas un amateur du film de Sofia Coppola, qui m'a laissé de marbre là où Her a su me toucher. Il me semble quand même que Jonze filme ici la dépression et le "retour en amour" avec moins de distance ironique, et peut-être moins de complaisance, que ne le fait Sofia Coppola, et avec un peu plus de cette sincérité, de cette approche directe, intime, au plus près des êtres, qui faisait une partie de la beauté du film de James Gray.
( merci pour le lien )
SupprimerHé oui, ça m'ennuie d'y trouver plus de Coppola que de Gray. Je crois que j'ai été mis à distance par le dispositif du film.
En relisant ton article, je constate que les idées d'écriture que tu soulignes sont excellentes en effet. Mais je me demande en fait s'il n'y a pas plus matière à écrire qu'à filmer.
Pourquoi tu cites mon chef d'oeuvre pour ta critique sur ce petit film? Non mais c'est quoi ces conneries? Le jour où Jonze atteindra mon niveau Gignac sera Ballon d'or.
RépondreSupprimerJe m'en fous du cinéma mais si on fait un film sur moi ce sera avec Clooney dans mon rôle. Laurent Blanc est un entraineur minable , je vais lui apprendre le coaching dans pas longtemps car je suis le meilleur. J'ai gagné partout , j'ai baisé le barça plus d'une fois c'est pas un illletré amateur de quotas racistes ( bien que bon joueur) qui va m'effrayer. Je suis en tête de gondole sur Football Manager ( puisqu'on parle de virtuel) c'est pour ça que je me permets d'intervenir ici. Faut toujours écouter les grands anciens , je ne suis pas un cinéphile mais quand Kubrick , Antonioni ou Mankiewicz sont de mauvais poil faudrait peut-être les écouter. C'est pas du Courbis là.
RépondreSupprimerMais putain écoutez-moi ça suffit les critiques de mauvais films. Vous allez finir médiocres à force. A moins que ce soit par désespoir. Musclez votre jeu sinon vous n'allez pas finir comme Pires mais comme Guivarch.
SupprimerJe n'aime pas ce ton de votre part, Monsieur Mourinho. Je crois que bon euh. J'avais pas Bafi... Bafété... Bafaté... Merde :(
SupprimerTrès bel article, qui saisi bien la mélancolie amoureuse du film. Joaquin Phoenix est effectivement formidable et le parallèle avec le sublime Two Lovers n'est pas usurpé.
RépondreSupprimerJe regrette seulement que la réflexion sur l'intelligence artificielle ne soit pas plus élaboré dans Her mais cela est sans doute dû à ma passion pour les films de SF très métaphysiques (ce qui est un pléonasme en soit) : http://www.mapausecafe.net/archive/2014/02/18/l-oiseau-de-proie-5302072.html
Le premier paragraphe de ta critique m'a fait un peu peur ("Ou quand Simone d'Andrew Niccol rencontre Shame de Steve McQueen" !), mais la suite est intéressante et la conclusion particulièrement juste.
SupprimerIl est vrai que Jonze s'intéresse plus à la question du virtuel qu'à celle de l'intelligence artificielle proprement dite, et qu'on ne peut s'empêcher, pendant tout le film, de se demander comment il sera possible, car on y vient, de créer une intelligence artificielle autonome et sensible. Mais c'est aussi une force du film de parvenir à nous y faire croire à ce point, de faire de Samantha une authentique personne, bien qu'artificielle, et d'ouvrir par ailleurs sur tant d'hypothèses frappantes quant aux rapports futurs de l'homme au virtuel.
Quel beau film, une esthétique très épurée qui nous fait croire à ce futur si proche où les gens parlent allégrement de leur nuit de baise avec la dernière appli sortie sur le Cloud.
RépondreSupprimerOn a sous les yeux ce que Stendhal appelle la cristallisation des sentiments (t'as vu mes références de barge ?). L'amour se développe et le fait qu'on soit pris au cœur d'une conversation où il manque une personne (vivante), bref un corps nous facilite le processus d'appropriation du personnage. C'est ici que se trouve, à mon avis tout l'ingéniosité du film (pas d'hologramme à la con et un rejet de la figuration humaine).
Une fois, son oeuvre faite Spike Jonze décide de détruire ce fameux cristal et termine dans un final crédible, agréable et toujours esthétique avec (encore) une scène où on voit de nombreux buildings en arrière plan, dépeignant une LA-city (je l'ai reconnu grâce à la tour dans GTA ;) ) verticale et effrayante.
En définitive, ce film a le chic de reposer les questions universelles sur la condition humaine tout en ajoutant l'originalité du contexte. Les réponses ne sont pas données dans le film donc aucun spoiler sur le sens de nos vies, regardez ça la conscience tranquille ;)
Merci pour la critique au fait ! Sans vous je n'aurai pas regardé ce film juste parce qu'il a eu un oscar.
Ravi - si j'ai contribué d'une manière ou d'une autre à te pousser devant ce film - qu'il t'ait plu ! Et merci à toi pour ce commentaire : absolument d'accord sur la pertinence du choix de Jonze de ne pas figurer l'être artificiel (tu parles d'hologramme mais on aurait pu aussi avoir droit à un robot), ce qui favorise le questionnement sur sur la virtualité de l'intelligence artificielle (matérialisée ou non) et sur la solitude imparable de l'homme moderne, tout le film tournant autour d'une figure humaine esseulée, celle de l'excellent Joaquin Phoenix.
SupprimerTrivia : en VF, c'est Audrey Fleurot qui remplace Scarlett Johansson. La petite histoire ne dit pas s'il s'agit d'un choix de Spike Jonze...
RépondreSupprimerJe viens de m'envoyer Her, Spike Jonze est passé du stade gros tocard à celui de pote avec qui je partagerais une bonne bière sans sourciller :D
RépondreSupprimerSi les Oscars n'étaient pas cette institution en bois qu'elle a toujours été, Joaquin Phoenix en aurait déjà 6 ou 8. Il tient ce film tout seul par la force de son gland! Sympathique Amy Adams qui prouve qu'il n'est nul besoin d'artifices quand on a le mojo.