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15 juin 2012

Mensonges d’État

Ce Scott-là, ce Ridley Scott-là, on n'en parle pas assez. Il est un peu passé incognito. Pourtant Russell Crowe et Léonardo DiCaprio, s'il vous plaît. C'est un peu comme si un cinéaste français reconnu, respecté, bien installé, bref un équivalent de Ridley Scott en France, mettons Bertrand Tavernier (notez que les deux hommes se ressemblent comme deux gouttes d'eau), réunissait enfin et pour la première fois Vincent Lindon et Benoît Magimel ! C'est pas rien. Matez plutôt : Magimel explose dans La Vie est un long fleuve tranquille l'année même où Léonardo Dicaprio, dit le Capétien, crée le buzz à même un paquebot sombrant tête-bêche par mer calme dans Twitanic. Les deux acteurs suivent ensuite la même trajectoire puisqu'après une brève traversée du désert (deux mois pour Das Caprio, vingt ans pour Magimels, mais en Amérique tout va plus vite), faite de boutons d'acné éclatés et de cicatrices faciales lentement résorbées, ils émergent à nouveau en tant que bellâtres, boloss trentenaires méconnaissables, aux dents longues rayant le parquet (cette trajectoire valant surtout pour Magimel). A ma gauche, Crowe, originaire d'Australie, à ma droite Lindon, PACA, tous deux natifs de zones littorales ensoleillées qui leur ont donné cette peau tannée prête à tout incarner et à s'étirer dans tous les sens pour accueillir chaque nouveau rôle. Même carrure ancestrale, mêmes épaules viriles et caffies de tics (l'un a su les dompter, l'autre les cultive et a choisi d'en faire son fond de commerce, vous saurez les reconnaître). Crowe a explosé dans le rôle d'un gladiateur dans Gladiator puis dans celui d'un matheux dans Un Homme d'Exception, Lindon a fait son trou très simplement, en incarnant l'homme du tout venant, celui qui rêve justement d'être gladiateur et de remporter la médaille de Fields mais qui s'en tient à son boulot de bricolo.


Leonardo Dicaprio sur le tournage de Titanic.

Réfléchissez bien : il n'y a qu'un pas entre Scott, qu'on surnomme "l'internet living database", et Tavernier, qu'on appelle "L'encyclo incomplète Tome 1 du cinéma français, de AA à AB". Scott et Tavernier ont tous deux marqué un genre, le film de SF pour Scott (Alien, Blade Runner, rien que ça ! littéralement rien que ça...), le polar noir pour Tavernier (Le Juge et l'assassin, L627). Clin d’œil (ou hasard ?) entre les deux hommes qui s'estiment et se respectent : la planète où se pose le Nostromo au début d'Alien le huitième passager s'appelle L.627 en hommage au film policier du réalisateur borgne hexagonal, alors qu'en 1971 Tavernier n'avait même pas encore eu le fœtus de l'idée du film, réalisé 13 ans plus tard, 13 ans ! soit pile l'âge mental du frère de Ridley Scott, Tony (aka le meilleur ami de Denzel Washington). Que de coïncidences, que de recoupements entre les deux maestros. Et ne faut-il pas voir dans ce film, Mensonges d’État, une métaphore filée et filmée de la relation contrariée d'amour-haine à la "je t'aime, itou" qui unit Scott à Tavernier, les deux reflets d'une même image (déformée à mort), les deux faces d'une même pièce cabossée, puisque les deux personnages du film sont sans cesse éloignés tout en étant reliés par un cordon téléphonique.


"Allo, allo... Tu me reçois ?"

Tout le film consiste en une série d'appels cellulaires entre les deux compères, pour autant de conversations pas très intéressantes vu que ce ne sont que bodies of lies (le titre en VO). Depuis Washington, Russell Crowe ne déblatère que des mensonges d’État à Léo Dicaprio. L'acteur, à la lecture du scénario, a demandé à ce qu'on lui fournisse un kit main libre sans lequel il ne s'estimait pas en mesure de tenir la longueur. Caprio est quant à lui dans le désert, ravi d'avoir rayé une case de plus sur sa liste des "grands réals américains" avec lesquels il "faut" avoir tourné. L'acteur a dressé cette liste à l'âge de 12 ans et il le regrette amèrement quand il se rend compte que ça l'a poussé à jouer avec Baz Lhurmann, Danny Boyle ou Scott Calvaire (et c'est pas un nouveau sobriquet pour Ridley Scott... Scott Calvaire existe vraiment, il a réalisé Rambo Verlaine, le célèbre film sur le poète ultraviolent rescapé du vietnam). Bref nous sommes ressortis éberlués de ce film au script très téléphoné. Mais terminons en réparant une injustice fatale pour le petit dernier de la famille Scott, Bobby, qui s'est donné la mort tout récemment, retrouvé pendu dans son salon avec pour tout dernier message assez lugubre deux télés qui diffusaient en boucles les dvds des films de ses frères (dans un vacarme terrifiant du coup). On cite toujours "Ridley et Tony (Scott)", mais pourquoi ne jamais citer le troisième larron de la famille, qui ne faisait pourtant pas moins de la merde que ses deux frères aînés. Il était maquereau, proxénète, un métier comme un autre, dans lequel il était également très connu et respecté, et nous ne voyons pas en vertu de quoi il ne devrait pas avoir droit de cité, faisant partie de la fratrie autant que les deux autres débiles. On voulait quand même le dire. Mais c'est trop tard maintenant.


Mensonges d’État de Ridley Scott avec Russell Crowe et Leonardo DiCaprio (2008)

10 commentaires:

  1. Vous m'avez tué avec L.627 (Acheron) et avec "Rambo Verlaine, le célèbre film sur le poète ultraviolent rescapé du vietnam" :D

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    1. La planète c'est surtout LV426 :D

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    2. Pareil, et je rajouterais la légende de la photo 2 et la "brève traversée du désert" de Magimel :D

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  2. J'ai dû changer deux fois de couches tellement j'ai ris.

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  3. Et puis le fleuve tranquille c'est 87 , Titanic c'est 97 !

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  4. Et puis le fleuve tranquille c'est 87 , Titanic c'est 97 !

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