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22 avril 2012

Très bien, merci

Ou quand un titre ne sert pas son film. Emmanuelle Cuau s'est laissée prendre à une mode très française des années 2006/2007 consistant à choisir pour titre une réponse banale et toute faite, pour ne pas dire insipide, à une question du quotidien. Ainsi après Je vais bien ne t'en fais pas, J'attends quelqu'un ou Ce soir je dors chez toi venait Très bien, merci, une œuvre d'un tout autre calibre, aux aspirations et à l'audace inversement proportionnelles à celles de ses concurrents de titrologie. S'il existe un "vote utile" (celui par exemple qui nous fera voter Chevènement dès le premier tour en mai 2012), il existe aussi des films utiles, et celui-là en fait partie. C'est le film définitif sur la période Sarko, celui qui a su épingler avec brio, et ce immédiatement après l'accession au pouvoir de celui qui nous pourrit la vie depuis cinq ans, les travers d'un système sécuritaire voire tendancieusement autoritaire et l’oppression des citoyens au quotidien, sans donner l'impression de grossir le trait (ou juste ce qu'il faut), sans tomber dans la caricature ou dans le tract politicard, ni dans le misérabilisme.



Ce film c'est la descente aux enfers d'un homme lambda brillamment interprété par Gilbert Melki, qui assiste un beau soir à une altercation entre deux flics et un pauvre type, observant la scène en témoin silencieux. Les flics le prient de dégager mais il fait valoir son droit à se tenir là innocemment avant de sortir de sa lâcheté habituelle et si commune en signifiant à ses interlocuteurs qu'ils se montrent un peu trop zélés face à un citoyen quelconque et inoffensif. Mais les policiers ne l'entendent pas de cette oreille et décident rapidement de l'emmener au poste pour le placer en garde-à-vue. Après son incarcération, l'expert comptable perd son emploi et de fil en aiguille, refusant de se soumettre et d'accepter l'injustice, plonge lentement, pour finir interné en hôpital psychiatrique, jugé fou par ceux qui le sont à ses yeux. Sorti du centre et au chômage, il ne correspond plus aux critères d'une société refusant de donner une seconde chance à ses membres ayant chuté. Il a beau envoyer des CVs et les grossir à droite à gauche, comme on fait tous, il reçoit toujours des fins de non-recevoir, quand il ne reçoit pas strictement rien. Il finira par obtenir un job en gonflant à bloc son dossier, contraint par un système absurde et sclérosé à agir mochement, à tricher tout simplement.



Emmanuelle Cuau a osé, y'a pas à dire, avec ce film qu'il faudrait revoir aujourd'hui, à la veille des soirées électorales déprimantes qui s'annoncent difficiles. Un film utile. On a montré ce film à nos pères respectifs, qui partagent nos opinions politiques. L'un a beaucoup aimé, considérant le film très juste et son discours précieux bien que faisant froid dans le bas du dos. L'autre, plus impulsif, plus à fleur de peau, a littéralement décompensé, il a pété un câble, in a good way, et a quitté les lieux au bout d'une heure, se foutant à la porte de sa propre demeure, à deux doigts d'exploser dans le prochain commissariat venu ou auprès de quelque symbole de la France actuelle que ce soit. Il a tout simplement appuyé sur Stop et a immédiatement saisi son téléphone pour me dire : "Fils, le film que tu m'as filé c'est de la bombe atomique, par contre j'ai fait un trou dans la porte de ta chambre, faudra que tu me retapes ça". Frappé de plein fouet par la pertinence du film d'Emmanuelle Cuau, il a eu besoin d'évacuer la révolte et la colère qui bouillonnaient à l'intérieur de lui. Je (et ceux qui connaissent un peu nos sagradas familias respectives sauront qui s'exprime ici) ne connais que trop bien cet état-là dans lequel mon père plonge de temps à autres, ce caractère de cochon exacerbé par une société immonde qui le pousse à bout au moins une fois par jour, et qui l'a plusieurs fois fait saisir mon chat Doppelgänger par le cou pour s'en servir comme d'un ballon de foot américain, les lacets toujours vers l'extérieur, afin de marquer des drops impossibles entre les deux sapins devant la maison.


Très bien, merci d'Emmanuelle Cuau avec Gilbert Melki et Sandrine Kiberlain (2007)

14 commentaires:

  1. Ca fait envie et ça ne fait pas envie, de peur de mettre fin à mes jours de manière sordide, en faisant tomber volontairement un piano à queue du dixième étage sur ma face.

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    1. C'est à voir !

      La deuxième photo (qui illustre normalement l'affiche principale du film) me fascine avec son montage superposé qui pose un réel problème de perspective.

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    2. Il me semble que c'est un splitscreen.

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  2. Cool que vous reveniez sur ce film franchement bien, pas assez connu c'est clair (car noyé comme tant d'autres dans un océan de foutre).

    Faudrait dire aussi qu'il est assez drôle (même si on sourit pour mieux se rendre compte que nos dents sont jaunes).

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  3. Super film, utile à la société, votez POUTOU merde !

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  4. C'est bien vu de revenir sur ce film ouais, avec sa mécanique bien huilée (ou plutôt celle du système) qui glace le sang. Et grand Melki! (pourquoi il ne tourne pas plus lui ??)

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  5. Est-ce que c'est une réponse du berger Melki à la bergère Björk (celle du Dancer in the Dark) ? Est-ce que c'est aussi inhumain et injuste ? Est-ce qu'on a autant envie de flinguer des gens après ?

    Par ailleurs, je crois en fait que si Cuau a si bien capté la saloperie sécuritaire de Sarkozy et consorts si tôt dans le mandat, c'est surtout parce que l'aspect sécuritaire du régime Sarkozy n'a pas vraiment été aussi fort après. C'est plutôt avant 2007, quand il était à l'Intérieur, notamment, que c'était atroce au quotidien. Pendant son mandat, finalement, il a fait encore pire : il a réduit les effectifs de la police partout.

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    1. Fine analyse.

      Ce "petit" film est à peu près dix mille fois mieux que la Palme d'Or de Soderbergh.

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    2. De Von Trier tu veux dire. La dernière pourriture de Soderbergh t'a bien foutu le cerveau en vrac! :)

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    3. Tout juste ! Merci pour l'erratum :)

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  6. Et moi, je vous demande de vous arrêter maintenant !

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  7. yen a qui on vu kaboul kitchen ? c'est bien ?

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    1. Non connais pas. J'avais même jamais entendu parler de ce truc.

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    2. Mes parents, et ils ont bien aimé, notamment car mon père est un grand fan de Gilbert Melki.

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