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18 avril 2011

Rabbit Hole

Rédacteur exceptionnel sur ce blog et véritable électron libre de la critique cinématographique belge, Thomazinette a vu de son œil gourmand l'intriguant Rabbit Hole de John Cameron Mitchell, en ce moment dans les salles, et il nous en dit quelques mots :


La première scène de Rabbit Hole est d'une vigueur et d'un enthousiasme prometteurs : la main bien charnue de Nicole Kidman éventre d'un grand geste un gros sac de terreau, et, rejointe par sa comparse, la main verte de Nicole Kidman, elle plonge à grandes poignées dans cette bonne terre bien noire et humide. Cette phrase virile me donne, rien qu'à la lire, envie de faire des grands bruits de gorge et autres râles exclamant ma joie. Il faut dire qu'avec le printemps, je transporte du fumier pour mon plus grand bonheur d'un bout à l'autre de la Belgique. Je fais le tour des manèges de la région, je prends ma fourche et j'enfourne ce bon gros tas d'excréments fermentés dans un sac bien étanche. S'il n'y a pas de fourche, j'y vais à mains nues, et je découvre alors pourquoi on appelle cela du fumier. Pas pour le doux fumet, non, celui-ci s'estompant au fil de la fermentation. Mais la température à l'intérieur du tas est si chaude qu'elle vous fait vous sentir dans une ratatouille en cuisson ; ça peut atteindre jusqu'à soixante degrés Celsius ces petites usines à amendements, et dès lors vous gratifier de jolis petits signaux de fumée. Diable que j'aime m'y frotter.




J'ai donc naturellement beaucoup apprécié cette façon d'ouvrir le film, qui nous augure une histoire terreuse, bien fumante et nourrissante, les deux mains dans cette glaise, les mains dans le cambouis de la vie, cambouis en l'occurrence souillé par le sang versé d'un enfant. À ce moment-là, on se dit "chic, on n'y va pas avec des pincettes". Et en effet, durant tout le film, on sent que Nicole Kidman, la mère en deuil, est là surtout pour une chose : déglinguer brutalement les gens compatissants autour d'elle, briser la fausse prévenance et rentrer dans le bide de la gêne qui s'est installée entre elle et les autres. Elle gifle les dames dans les supermarchés, refourgue les vêtements de feu son fils à sa sœur enceinte sans se poser de question ("juste pour les économies"), fait la course avec un bus, se fout à dos tout un groupe de thérapie en se moquant publiquement et avec hilarité des pleureuses... Bref, elle fonce dans le lard de tout ce qui bouge comme un taureau déjà bien amoché à la corrida.


On est bien sûr touchés par cette femme désorientée qui cherche à rester digne sans pouvoir résister à la brutalité qui accompagne son désespoir. Mais on est surtout heureux quand cette brutalité se tourne vers celui dont le visage appelle les baffes comme l'aimant appelle la limaille de fer. Le mari de Kidman est campé par Aaron "aron, petit patapon" Eckhart, avocat de formation, reconverti en acteur suite à une blague de ses collègues de bureau, qu'il a pour notre plus grand malheur prise au premier degré. Celui qu'on appelle toujours Maitre Eckhart dans le cinéma, dans l'espoir qu'il prenne ses cliques et ses claques et retourne derrière le barreau, m'était inconnu avant la vision de ce film. J'ai vu le film avant-hier, et j'ai déjà tout oublié de ses expressions faciales (sans doute qu'il n'y en avait pas) ; la seule chose dont je me souviens c'est que son visage a le contour d'un gros rectangle posé verticalement sur son cou. Son visage est une brique de lego et son personnage en est à la hauteur puisqu'il se sent obligé d'incarner Ken, la petite poupée mâle assortie à toutes les poupées Barbie. Décide-t-il de se faire homme-enfant pour pallier à la perte de son gamin préféré ? Rien ne permet de le dire, mais c'est bien un festival de caprices et de pleurs infantiles que nous offre le Maitre Eckhart. Réfugié dans son travail, dans son squash, ses grosses motos, les joints et son gameboy, il bloque dans le passé et s'apitoie faiblement, suscitant un certain agacement. Mais cet apitoiement a quelque chose de beau lorsqu'il est manifesté par une scène où Eckhart essuie ses larmes sur la peau flexible de son chien. Emmitoufflé dans ce gros doudou de toutou, il pleure à grandes larmes d'enfant en se frottant contre les poils du chien, qui feint la compassion avec un jeu d'acteur bluffant.


Au contraire, Aaron est pathétique lorsqu'il se met à vouloir jouer l'homme en colère. Sa technique crève les yeux, et c'est une recette basique et mal employée : elle consiste, pour mimer l'offusqué, à répéter ce que l'autre vient de dire sur un ton interrogatif et menaçant. Face à un gars qui passait par là, et qui annonce gentiment « bonjour, je passais par là », Eckhart, fou de rage, répond « tu passais par là !? », et cela itéré pendant cinq grosses minutes, sans convaincre personne que son accès de rage est sérieux. À cela, préférez le courroux de Nicole Kidman, qui s'insinue dans le moindre de ses gestes, comme celui de faire compulsivement tartes et gâteaux à n'en plus finir.

Il faut enfin noter que la scène la plus poignante du film se passe dans une cave, entre Kidman et sa mère, où celle-ci lui déclame une tirade très belle et émouvante sur un genre de deuil qu'elle partage avec sa fille. Et aussi que, d'autre part, ce film n'est pas aussi bourrin qu'il ne s'annonçait au début. Il y a une délicatesse et une pudeur quand même bienvenues, qui teintent la colère d'une douce amertume, ce qui n'est pas une mauvaise idée, mais fait perdre dans ce cas-ci un brin d'impact aux émotions véhiculées. Cette hésitation de ton permet cependant de bien rendre compte de la désorientation que la situation dépeinte suscite. À part ça, le réalisateur, John Cameron Mitchell, avoue lui-même avoir voulu s'effacer devant le sujet du film. Sa seule idée semble être celle, somme toute banale, de placer le quotidien du couple déchu dans une maison grande et vide, au sein d'une banlieue morne et triste du Connecticut. Il n'a donc pas fait grand-chose à part filmer sous les directives de Kidman, qui, elle, n'hésite pas à revendiquer ce film en interview comme son œuvre. Et on lui donne volontiers raison là-dessus.


Rabbit Hole de John Cameron Mitchell avec Nicole Kidman et Aaron Eckhart (2011)

12 commentaires:

  1. Superbe article Thomazinette :)
    J'adore tout particulièrement ta façon d'épingler Aaron Eckhart.

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  2. Grande critique, quel coup de clavier ce Thomazizou! Dire que c'est moi qui l'ait découvert, ce jeune taureau liégeois...

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  3. Merci bande de deux ! :-)

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  4. moi j'ai bien aimé ce film^^ mais kidman n'est plus ce qu'elle était.. -_-

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  5. Elle n'est plus ce qu'elle était mais elle tient tout de même la forme. Je ne l'ai pas mentionné, mais elle parvient à abréger une partie de bowling en projetant son mari au diable vauvert d'un seul coup de boule.

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  6. critique très drôle ^^

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  7. La chaudière du futur est entre les mains de cette chère Kidman ; de nombreux prototypes sont en cours d'élaboration et en phase de test chez une bonne partie de nos éleveurs. Je vous invite à prendre connaissance du récit de l'un d'entre eux à cette adresse :

    http://www.ruralinfos.org/spip.php?article1261

    Cordialement,

    David Falaise, pour la gazette d'Étretat

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  8. ça a l'air marrant ce film ^^

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  9. J'aurais été moins tendre avec ce film !! :[

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  10. J'avoue avoir tout de même bien aimé deux passages sublimés par le jeu d'Aaron Eckhart (très joliment épinglé par Thomazinette). Celui dit "de la balade du clebs" que la critique a immortalisé et que je recommande à tout le monde. Mais aussi celui où Eckhart tente de pécho Kidman et que celle-ci se défait de lui en lui reprochant d'essayer de parvenir à ses fins en employant de bien viles méthodes, en l’occurrence : lancer un vinyle d'Al Green et répéter son patronyme à qui mieux mieux.
    Autrement, c'est vraiment une succession de scènes parfois ridicules et à l'issue toujours très attendues et répétitives, tendant toutes vers les larmes ou le pétage de plombs. Au début je trouvais Kidman toujours assez douée, puis elle tombe assez rapidement dans la surenchère idiote et le pathos en même temps que le reste du film.

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  11. Il est quand même ultra merdique ce film. J'y repense, là, chais pas pourquoi... Une vraie saloperie.

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