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6 septembre 2023

Susie et les Baker Boys

Jeff et Beau Bridges sont les Baker Boys, un duo de pianistes de jazz qui, depuis des années, arpentent les petits clubs de Seattle pour y divertir une audience de plus en plus clairsemée. Peinant désormais à rejoindre les deux bouts, ils doivent trouver un moyen de relancer leur carrière. Ils décident alors d'embaucher une chanteuse. C'est ainsi qu'ils rencontrent Susie, Michelle Pfeiffer, une ancienne escort girl à la voix de velours qui leur permettra de soulever les foules mais mettra à rude épreuve leur fraternité... Nous sommes en 1989 et Susie et les Baker Boys ressemble à ces films, sans étiquette clairement définie, dont Hollywood a paumé la recette. Ce n'est pas vraiment une comédie romantique ni un film musical, bien qu'il y ait quelques éléments comiques appréciables et qu'une bonne place soit faite à la musique, c'est un peu tout ça et rien à la fois. On se demande d'ailleurs comment un tel titre serait vendu aujourd'hui, à notre époque où chaque chose doit pouvoir rentrer dans une case facilement identifiable par des spectateurs considérés comme des consommateurs qu'il faut satisfaire. Modeste relique oubliée d'un temps révolu, The Fabulous Baker Boys se laisse encore regarder sans souci, et c'est bien là le plus important. On est certes loin du chef-d'œuvre ou du grand film à redécouvrir, quand bien même il s'agirait, selon la National Board of Review, d'un des dix meilleurs de l'année 1989. Nous tenons simplement là un film honnête, décent, respectueux de son audience, d'humble ambition. Dans son premier long métrage, Steve Kloves, qui deviendra plus tard le scénariste attitré de la saga Harry Potter, a surtout le mérite de s'intéresser de près à ses trois personnages principaux, bien écrits et campés par de très bons acteurs.



 
 
La bonne idée du film, c'est d'avoir choisi Beau Bridges pour interpréter le frère de Jeff Bridges. Certes, ça l'air de couler de source dit comme ça, mais c'était pourtant pas joué d'avance, comme nous l'apprend le superbe article Wikipédia anglais consacré au film - un article estampillé d'une étoile d'argent récompensant la qualité de son contenu, effectivement fort bien documenté et riche en informations, qui contraste avec les trois pauvres lignes lisibles sur sa version française et semble nous indiquer que l’œuvre de Steve Kloves jouit d'un certain statut outre-Atlantique (à moins que son seul fan hardcore soit un fervent contributeur de l'encyclopédie en ligne). Bref, Beau Bridges incarnent donc le grand frère de Jeff Bridges et cette trouvaille géniale, cette idée de casting du tonnerre, on ne la doit pas à Kloves, qui aurait préféré diriger le bien plus "bankable" Eddie Murphy, mais à Jeff Bridges en personne. C'est le futur Big Lebowsky qui a indiqué au réalisateur et scénariste débutant que son propre grand frère serait un choix excellent pour incarner son grand frère. Steve Kloves a été convaincu dès sa première rencontre avec Beau Briges : "C'était lui, le frère de Jeff, je l'ai su à l'instant même où il est entré dans la pièce !" nous raconte-t-il plein d'enthousiasme dans les commentaires audio du dvd d'un film qui le renvoie à la période la plus créative de sa triste carrière.



 
 
La réunion des deux Bridges à l'écran vaut en effet mille mots et remplace toutes les scènes d'exposition du monde. Jeff et Beau dégagent d'emblée une alchimie naturelle à l'écran, en atteste par exemple cette étonnante scène de bagarre qui, soit dit en passant, ressemble bel et bien à une bagarre entre frères : on cherche à se foutre la race mais on ne veut surtout pas se faire vraiment mal. Cette rixe est si spontanée que Beau Bridges a manifestement surpris l'équipe de tournage : le perchman s'invite furtivement dans le cadre d'une caméra maladroite et mouvante qui s'efforçait de suivre les gesticulations imprévisibles de l'aîné de la fratrie. Le motif de cette querelle ? Susie, évidemment. On sait tout de suite que celle-ci va venir perturber le tandem déjà fragile composé par les deux pianistes dans le creux de la vague. Jeff Bridges a beau fumer clope sur clope, rien n'apaise les sentiments et l'attirance qu'éveille en lui la belle blonde, et que l'on comprend tout à fait. Car l'autre attraction du film, au-delà de l'harmonie discrète des deux frères, c'est bien sûr Michelle Pfeiffer. Son interprétation nuancée donne vie à un personnage pas si simple à cerner, qui échappe comme il faut aux clichés. Il y a quelque chose de félin dans le caractère insaisissable, le regard pénétrant et les yeux presque un peu globuleux de celle qui, une paire d'années plus tard, prêtera ses traits si bien dessinés et son allure si svelte à Catwoman. Les quelques scènes où elle pousse la chansonnette ne sont jamais de mauvais moments, bien au contraire, la plus réussie du lot étant indiscutablement celle où, vêtue d'une robe rouge qui lui sied à merveille, elle émoustille les spectateurs par son chant délicat et ses poses lascives, sur le piano, pour mieux allumer celui qui en joue... Une performance qui vient couronner la meilleure partie du film, celle qui se concentre sur l'idylle entre ces deux personnages solitaires qui, jusque là, se contentaient de se jauger de loin, freinés par la présence dissuasive du grand frère. Débarrassés de Beau Bridges, exceptionnellement absent pour motif familial, Jeff et Michelle se retrouvent donc enfin seuls. Ils se tourneront longtemps autour avant de se laisser aller... Et à nous de constater que l'alchimie n'est pas que fraternelle dans The Fabulous Baker Boys. On a aucun mal à croire que Jeff Bridges et Michelle Pfeiffer relancent encore régulièrement Steve Kloves pour qu'il imagine une suite à leurs aventures inachevées.


Susie et les Baker Boys de Steve Kloves avec Jeff Bridges, Beau Bridges et Michelle Pfeiffer (1989)

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