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30 août 2023

White Noise

On n'a pas grand chose à dire de White Noise, d'autant plus qu'un seul de nous deux prétend l'avoir vu. Adam Driver est quasiment the whale d'Aronofsky : il est bedonnant, grimé en prof de fac, marié à Greta Gerwig, affublé(e ?) d'une perruque rousse malaisante. Ils ont trois gamins et ça baragouine non-stop, l'un n'a pas fini sa question que l'autre a répondu trois fois et en a posé six autres, effet mitraillette ô combien pénible digne d'une série télé écrite par le démon et baron de la coke Aaron Sorkin. Parlant d'écriture, le film est nettement divisé en trois parties : une première introductive qui plante le décor, pose les premiers enjeux, débute le métrage et nous invite à entrer dedans, d'une main tendue vers le récit qui se fait jour ; une deuxième partie plus récréative et charnière, tel un pont entre les deux autres parties, où se déroulent les péripéties et autres actions des personnages, partie considérée en général comme "centrale" (d'autant plus quand il y en a trois), consécutive à un élément déclencheur que l'on peut librement qualifier de perturbateur et qui ne manquera pas de déboucher sur un élément de résolution provisoire conduisant tout droit à une autre étape de l'histoire ; puis une troisième en guise conclusion, qui amène à une situation finale précédant un générique dit, par conséquent, de "clôture", et terminant l'œuvre entamée dans une forme d'aboutissement et de fermeture avant un écran noir qui signifie clairement que l'on peut enchaîner sur une autre activité humaine que celle consistant à regarder ce film-là. Après cette analyse structurelle de la narratologie, un petit point sur le fond, le sujet : le thème qui rejoint le début à la fin est la peur du temps qui passe, la peur de la mort, la peur du prochain qui y passe, la peur d'y passer au prochain film de Baumbach. Gerwig et Driver sont obsédés par l'idée de leur mort prochaine, au point d'en faire le thème unique et récurrent de leurs échanges au moment d'aller au dodo, et nous nous sentons gagnés par cette angoisse à travers eux. Petite parenthèse : franchement, là, vous ne pouvez pas nous dire qu'on ne cause pas du film, car vous tenez une de nos analyses les plus sérieuses et organisées. On opère le film à cœur ouvert et si ces mots se retrouvent dans des copies d'étudiants, eh bien cette phrase-là pourra se retourner contre eux.


 
 
Étonnamment, la meilleure partie est celle du milieu, encore faut-il tenir jusque-là. Dans celle-ci, un camion se paye un train de marchandises qui contenait des produits explosifs et toxiques. Baumbach veut faire de cet accident un moment artistique, une proposition de cinéma, presque une performance dans le sens premier du terme : cela passe par un montage alterné entre un cours magistral (dans les deux sens du terme) de Driver devant des étudiants et collègues médusés par son charabia imbitable et la collision proprement dite, amenée par la négligence d'un chauffeur routier trop occupé à s'en tailler une pour capter les sirènes hurlantes et les gyrophares survoltés d'un passage à niveau. Suite à l'incident, un nuage électrique se déplace au-dessus de la ville, menaçant les personnages, qui n'en finissent pas pour autant de blablater comme jamais. La famille de Driver trace à travers champs pour sauver sa peau et doubler trois bagnoles embouteillées dans un clin d'oeil à la fameuse séquence dite "du champ de maïs" d'Interstellar, dans une vibe (première fois qu'on emploie cette notion) très Rencontres du troisième type. Leur bagnole échoue dans une rivière, ce qui nous vaut le meilleur moment du film : l'échange de regards entre Gerwig et Driver lorsque ce dernier tourne en vain le volant du véhicule pour le guider dans sa dérive sur les eaux. Ce moment-là m'a flyé.


 
 
L'histoire se déroule en 84, voie royale pour un régal de memory lane à travers cette époque bénie des dieux où on avait le gazole à pas cher, une 4 saisons pour 1 franc, le plein-emploi, des usines à gogo, PPDA au 20h, Ricard à Matignon et une pollution totalement bénigne des dieux, avec Tchernobyl dans le rétro. Baumbach nous livre tous les poncifs des années 90 : la casquette à visière, la gouffa-permanente qui a mal viré, les baskets dégueulasses, les blue-jeans plus très blue, les fameux breaks que nous autres français ne pouvons admirer que dans les films et séries ricaines des années 70... Sans parler des Air Jordan, des futals Waïkiki, de la zique de Toupak dans les oreilles, des bananes autour de la taille avec le nécessaire de toilettes de l'époque : rasoir Gilette et savon déjà solide, revenu à la mode aujourd'hui. Mais surtout ces magnifiques breaks qui volaient la vedette à n'importe quelle star des sixties. Je rêve de conduire un tel engin à travers champs, quitte à décapiter quelques taupes...


 
 
Bien qu'assez peu recommandable, ce White Noise s'inscrit plutôt dans le haut du panier de la filmographie de Noah Baumbach malgré ses trois idées sur la société de consommation et ses personnages toujours revenus de tout, tellement intellectuels, donc suicidaires, tant ils ont compris que la vie était dure. Range ton carnet Baumbach, on a compris que l'existence était une chienne, tes films n'ont pas à nous le rappeler de par leur contenu à proprement parler et, plus grave, par leur qualité intrinsèque. Te fatigue pas à nous adapter La Tabula Rasa Connexion de Saul Bellow ni Porte-manteau et son complexe de Philip Roth, on sait déjà que tu les as lus et aimés, pas besoin de nous l'indiquer, on sait lire autant que toi. Nous sommes allés à la faculté nous aussi. Alors certes, ça n'était pas Oxford ni Harvard, plutôt l'UT2 du Mirail, mais on a eu de sacrés bons profs également ventrus et vêtus de tweeds et on a surtout pu croiser de jolies pépées. Fin de critique et on constate amèrement que l'on n'a pas mentionné le parrain Don DeLillo, auteur du bouquin dont Baumbach livre ici une adaptation, ce qui jure un peu dans une telle analyse. Nul doute que l'écrivain du Bronx se retourne déjà dans sa tombe alors qu'il est encore parmi nous. Entre deux séances de psy et deux allers-retours à la cinémathèque de New York, Don DeLillo maudit ce jour où il a accepté le chèque en bois signé Baumbach & Gerwig (rappelons qu'ils ont un compte commun au Crédit Mutuel).


White Noise de Noah Baumbach avec Adam Driver, Greta Gerwig et Don Cheadle (2023)

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