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19 juillet 2023

The Appointment

À l'heure où les tops pullulent toujours autant sur les réseaux, déclinés dans mille variantes au point d'en devenir absurde, repris à toutes les sauces au risque d'en dégoûter le moindre cinéphage, cet obscur film fantastique anglais sorti au début des années 80 pourrait aisément prétendre à figurer en très bonne place dans quelques-uns de ces futiles classements. Par snobisme enquiquineur, je le placerais en effet volontiers dans le top dédié aux plus glaçantes scènes d'accident de voiture, voire dans celui consacré aux meilleures scènes de cauchemars. C'est pas mal, pour le premier et seul long métrage du cinéaste britannique Lindsey C. Vickers, qui a passé sa carrière en tant qu'assistant de réalisation et nous démontre ici qu'il aurait amplement mérité d'être bien plus souvent aux commandes de la mise en image d'histoires sordides issues de son cerveau malade. The Appointment est hélas son seul bébé, mais il mérite franchement d'être redécouvert, et pas seulement pour cet accident de bagnole terrible que tout cinéphile averti citerait donc parmi les plus mémorables jamais filmés. 
 



The Appointment nous captive d'entrée de jeu avec son introduction efficace dont le cadre verdoyant et champêtre contraste avec l'étonnante brutalité (une scène quasiment digne de figurer parmi les meilleures ouvertures du cinéma d'horreur, mais il faut que j'arrête avec ça, je m'agace moi-même...). Une voix off monocorde nous lit un rapport de police succinct concernant la mort inexpliquée d'une jeune fille, disparue à la sortie de l'école alors qu'elle empruntait un raccourci à travers bois pour rentrer chez elle, pendant qu'à l'écran, nous suivons donc cette écolière et voyons l'inexplicable se produire soudainement, dans une ambiance déjà mystérieuse à souhait. Un effet saisissant et surnaturel clôt ces petites minutes inaugurales qui annoncent ces images chocs dont le cinéaste usera avec soin et intelligence dans les pics d'angoisse à venir de son récit. Une ellipse nous projette ensuite trois ans plus tard. Et nous comprenons bien vite que l'étrange scénario de Vickers nous propose une relecture appliquée du complexe d'Électre : un père incarné par Edward Woodward, l'éternel policier aux abois de The Wicker Man, entretient une drôle de relation avec sa fille, joueuse de violon, et celle-ci, profondément vexée, voit d'un très mauvais œil son absence annoncée à son concert de fin d'année. Le papa n'a malheureusement pas le choix : il doit remplacer un collègue et partir en bagnole pour un long déplacement professionnel. C'est tout ce que l'on peut dire pour résumer ce film.
 
 
 

Sous ses dehors nébuleux et ses contours particulièrement difficiles à cerner, le scénar de Vickers s'avère finalement d'une grande simplicité, il est même tout à fait limpide si l'on sait interpréter les ultimes images (ce qui ne demande pas un effort surhumain). Le rapport policier est une fausse piste, l'ellipse initiale est trompeuse, l'atmosphère onirique est un voile enveloppant, l'image, elle, ne ment pas, ou rarement. Le récit se déroule principalement en deux temps, sur une durée somme toute très resserrée : une longue nuit d'insomnie, où l'on se trouve aussi impuissant et désorienté que les personnages en présence, suivie d'un trajet en voiture, où l'on est sur le qui-vive non-stop en raison des visions de cauchemars prémonitoires que l'on aura eues précédemment. Tout le long, Lindsey C. Vickers nous déconcerte par sa gestion du temps. Son histoire pourrait faire l'objet d'un court métrage, mais ce serait gommer tout l'intérêt du film et négliger cet art précieux, ici maîtrisé jusqu'à l'excès par Vickers, celui de la dilatation du temps. Rarement nous aurons autant eu la sensation de partager la couche moite, de vivre la nuit interminable et de se réveiller des rêves si troublants de notre couple en plein tourment nocturne avant-coureur. Une longue partie qui pourrait presque être pénible si elle n'était pas ponctuée par des idées visuelles et sonores superbes, où la mise en scène ingénieuse de Vickers peut compter sur la partition endiablée de Trevor Jones, et si nous ne récoltions guère les fruits de nos efforts lors du suspense cruel que nous fait vivre le réalisateur dans la tortueuse partie suivante, road movie angoissant. 
 
 
 
 
Il paraît que la scène de l'accident de bagnole est devenue virale, qu'elle a été un temps partagée en boucle sur Twitter et compagnie. Elle est en effet d'une telle efficacité qu'on l'imagine aisément fonctionner sortie de son contexte. Mais c'est tout de même dommage. Il faut voir avec quel soin maniaque nous l'amène le cinéaste. Le suspense grimpe progressivement tandis que les éléments des rêves trouvent leur place les uns après les autres. On pense inévitablement à Duel lors d'un bref stop dans une cabine téléphonique, qui pourrait être un temps mort mais n'en est donc pas un, puisque l'on guette l'arrière-plan avec une grande anxiété. Et, lors de l'accident à proprement parler, le temps semble à la fois suspendu et glisser, inexorablement, vers le pire. Là encore, la partition inquiétante de Trevor Jones marche main dans la main avec la mise en scène vicieuse de Vickers, peut-être influencée par Les Choses de la vie de Claude Sautet. La scène est ponctuée d'inserts qui s'impriment sur nos rétines comme autant d'images marquantes, dans un montage ma foi assez virtuose. On n'oublie pas, non plus, cet enchaînement de plans rapides de la voiture tenant en équilibre sur la glissière de sécurité, vue sous différents angles, avant sa chute inéluctable. Un moment de sidération, qui nous scotche et nous laisse coi, le point culminant d'effroi de cette pépite inclassable du cinéma de genre.
 
 
The Appointment de Lindsey C. Vickers avec Edward Woodward, Jane Merrow et Samantha Weysom (1981)

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