On n'évoque pas souvent la catégorie des films-tuto, ces films qui vous donnent un cours particulier en 1h30 ou 2h, font de vous des experts à moindre frais. En 1955 le célèbre alpiniste Gaston Rébuffat, dont il est inutile de rappeler les nombreux exploits (disons simplement qu'il fit partie de l'aventure de Victoire sur l'Annapurna, déjà évoquée ici, mais c'est loin d'être sa seule prouesse), co-réalise son deuxième film documentaire sur la montagne, Étoiles et tempêtes, tiré d'un bouquin qu'il fit paraître l'année précédente, où il se met en scène, filmé par son ami George Tairraz, en moniteur d'escalade du violoncelliste comédien Maurice Baquet. Le film est moins un pur film de grimpe, même si on ne voit que ça à l'image pendant 90 minutes, qu'un manuel d'escalade pour les nuls. A travers une succession de courtes saynètes tournées sur un ton de comédie potache, Maurice Baquet joue le rôle de l'apprenti étourdi mais vaillant, et Gaston Rébuffat celui du maître patient et souriant.
Les deux nous éclairent sur tout ce qu'il y a à faire et à ne pas faire en montagne, comment placer ses pieds et incliner son buste sur la paroi selon le profil qu'elle présente, comme faire des nœuds, comment descendre en rappel et j'en passe car j'ai vu le film il y a un petit moment et ne me souviens pas de tout (je ne savais pas que j'allais voir un film-tuto et n'avais pas prévu le calepin et le crayon gras de rigueur), le tout appuyé en voix off par le guilleret Baquet, dans un tutoriel illustré qui vous épargnera bien des bévues et autres chutes mortelles sur les cimes escarpées lors de vos prochaines excursions cet été. Ne me remerciez pas.
Sorti l'an dernier de l'arrière-pays chinois, Le Retour des hirondelles de Li Ruijun nous offre un autre type de leçon filmée, moins rieuse il faut bien le dire, un peu plus longuette (2h15 qu'il faut avoir devant soi) : comment construire une maison avec trois fois que dalle. Le film nous raconte l'histoire de deux pauvres hères unis par un mariage arrangé qui arrange bien leurs parents. Lui (interprété par Renlin Wu), vieux garçon, paysan, plutôt taiseux, vit comme il y a soixante ans, travaille les terres, exploité, comme tous les gens du coin, par un gros bonnet en grosse bagnole qui n'est autre que son propre frère, et achève de se vider en donnant régulièrement des litrons de son sang pour sauver son autre frère ; elle (interprétée par Hai-Qing), vieille fille, fut tellement battue par ses frères et sœurs quand elle était gosse qu'elle est maintenant infirme, boiteuse et incontinente. Ça ne part pour être la comédie du siècle. Et comme si ça ne suffisait pas, les deux personnages, rescapés de la chienlit de leur vie, courbant le dos non seulement sous les difficultés quotidiennes (on penserait presque à L'île nue parfois, en mille fois moins beau) mais aussi sous les moqueries, affrontent des séries d'ennuis, comme la destruction de leur maison par un propriétaire soucieux de toucher la prime promise par L’État après toute démolition de biens immobiliers particuliers vouée à rendre le sol mieux disponible.
Qu'à cela ne tienne, nos deux tourtereaux éclopés, qui finissent par nouer une belle relation platonique d'amitié solidaire, vont se monter une maison à eux. Avec les matériaux donnés par le monde, vu qu'ils brûlent le peu de pognon qu'ils gagnent lors de prières aux anciens, afin que ces derniers partent au ciel avec un peu de blé de côté. Or rien ne nous est ôté du déroulé de cette construction, de la fabrication des briques à leur opération de séchage et de protection contre les intempéries en passant par leur élévation, le placement des gouttières faites maison à l'aide de tessons de bouteilles cassées, le déroulage du toit de chaume avec échafaudage de fortune et contribution d'une bourrique bien pratique, déco intérieure à la fin des fins (qui se résume à un truc en plastique accroché au mur et une boîte en carton percée de plein de trous avec une ampoule dedans). Au terme de toutes ces séquences hautement pédagogiques j'étais sur mon portable en train de chercher l'adresse du Weldom ou du Brico Marché le plus proche et de commander des parpaings et une bétonneuse (comme quoi j'avais pas tout pigé au film), mais tout mon projet architectural s'est effondré quand la nouvelle maison toute branlante et toute pimpante des mariés est détruite à son tour... (Spoiler) Suite à leur mort, par noyade pour elle, par suicide pour lui (Fin du Spoiler). Ce film vous filera donc une belle leçon de BTP tout en vous coulant le moral sous une chape de béton armé, sachez-le. Quid d'autres films-tuto ? Vous devez en connaître, c'est sûr.
Étoiles et tempêtes de Gaston Rébuffat et George Tairraz avec Maurice Baquet et Gaston Rébuffat (1955)
Le Retour des hirondelles de Li Ruijun avec Renlin Wu et Hai-Qing (2022)
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