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28 septembre 2021

Crimson Peak

J'ai fait une petite expérience avec quelques scènes de Crimson Peak, ce film de fantômes de Guillermo del Toro sorti en 2015 que tout le monde a zappé. Bon, rien de bien méchant. J'ai juste trafiqué un peu le grain, le contraste, la luminosité, la colorimétrie. En gros, le rendu visuel quoi. Hop hop hop, des broutilles par-ci par-là, des détails infimes. J'ai des logiciels d'édition vidéo assez costauds à la maison, du matos de pointe, et je perds régulièrement un temps fou à faire mumuse avec, au grand dam de mes proches. Je choisis des films desquels a priori il n'y aurait rien à sauver et j'essaie très modestement de les améliorer, d'en faire quelque chose. Bref, après quelques heures de bidouillages sur Crimson's Peaks (j'y ai passé quasiment deux après-midis), j'étais toujours pas convaincu du truc, j'arrivais à rien, j'en tirais que dalle de potable, et ça devenait presque une obsession... Puis j'ai eu l'idée de mettre tout ça en noir et blanc... Et là... Sa race... La révélation.
 
 

 
 
Parfois, c'est dans les choix les plus simples que réside le génie... Imaginez tout ça en mouvement : c'est assez dingue. D'ailleurs, si ça vous intéresse, je peux vous partager mon director's cut sur mon compte Viméo. J'espère que le maestro del Toro ne sera pas en colère après moi mais ces échelles de gris, avec ces effets discrets sur les visages des comédiens, ajoutent une dimension onirique au récit et me transportent vers un espace-temps indéfini. Cela me donne des frissons et me hérisse les poils du bas du dos, très exactement ceux qui s'échappent de ma raie. Bref, rien à voir avec l'ennui terrible et l'envie de crever que j'ai pu ressentir en découvrant la version originale. 
Ces images-là ne semblent pas issues d'un film.
Mais de mes propres souvenirs.
 
De mes propres cauchemars de névrosé. 
 
 
Crimson Peak de Guillermo del Toro avec Jessica Chastain, Mia Wasikowska et Tom Hiddleston (2015)

21 septembre 2021

La Nuée

Plusieurs films en un : aucun n'est franchement raté, aucun n'est vraiment réussi. Mais il ne faudrait pas pour autant tomber à bras raccourcis sur le premier long métrage de Just Philippot sous l'idiot prétexte que quelques médias zélés ont voulu en faire  avec Teddy, film de loup garou rural sorti au même moment le symbole d'un renouveau du cinéma de genre français. Dans le genre, Philippot s'aventure effectivement, mais peut-être trop timidement ou par opportunisme, en tout cas sans l'ardeur attendue chez un cinéaste habité et désireux de s'y spécialiser. Matérialisée par ces sauterelles avides de chair et de sang, l'horreur est ici un simple prétexte à une métaphore dans l'air du temps, somme toute pertinente mais assez convenue, sur la situation du monde agricole et notre société en général, toute commandée par le rendement et la production. L'agricultrice, incarnée avec une belle conviction par Suliane Brahim, est une veuve, mère de deux enfants, dont on devine par le biais d'une allusion dialoguée que le mari s'est suicidé sur son exploitation. Elle en vient à se saigner, littéralement, pour espérer s'en sortir, jusqu'à ce que les fruits bourdonnants de son dur labeur ne finissent par se retourner contre elle et sa famille... Le fantastique vient donc peu à peu parasiter ce qui se présente d'abord comme une chronique agricole actuelle, un drame social et familial réaliste dans la lignée de certaines œuvres récentes (Petit Paysan, Au nom de la terre) s'attachant elles aussi à montrer la précarité paysanne. Le scénario est couru d'avance et le récit est mené d'une façon sans doute trop programmatique, alternant sur un rythme de métronome les scènes de tension domestique, où grandit la folle obsession de la mère et se multiplient les frictions avec son adolescente de fille, avec les percées horrifiques plus ou moins gores, où l'on mesure progressivement la menace écologique que constituent les sauterelles.

 

 
Malgré ses petites faiblesses évidentes, La Nuée se laisse tout de même regarder sans déplaisir et parvient à nous accrocher efficacement. Il y a quelque chose d'assez original pour nous captiver dans ce point de départ, dans cette idée d'une entomoculture novatrice qui tourne mal, remettant au goût du jour de vieilles peurs chères au cinéma d'horreur. Notamment grâce au talent de l'actrice principale, issue de la Comédie Française, on croit en la bataille déraisonnable de cette agricultrice solitaire pour sauver son entreprise de la faillite et l'on se met à espérer que son fidèle ami viticulteur et amant frustré (sympathique Sofian Khammes) la persuade de venir trouver du réconfort dans ses bras. Bien que Just Philippot n'exploite peut-être pas suffisamment le fort potentiel de certaines idées visuelles et sonores (les serres rondes et lumineuses dans lesquelles sont élevées les sauterelles et la stridulation stressante et incessante qui en émane), quelques images de son film restent tout de même en tête et visent juste. On n'oublie guère ces gros plans, quasi documentaires, simples, longs, fascinants, sur les insectes, qui nous permettent de saisir toute leur monstrueuse altérité. S'imprime aussi durablement sur notre rétine cette vision de cauchemar pourtant fugace du corps de notre agricultrice surmenée entièrement recouvert de sauterelles s'abreuvant de sa chair. La conclusion, assez spectaculaire, étonnamment courte, a le mérite de ne pas s'étendre inutilement et recèle une belle trouvaille (qui plus est bien pratique pour se débarrasser d'un coup d'un seul de ces fichues bestioles). Une semi-réussite, donc, mais on relève l'effort et on espère que Philippot saura faire mieux par la suite.
 
 
La Nuée de Just Philippot avec Suliane Brahim et Sofian Khammes (2021)

13 septembre 2021

La Mécanique de l'ombre

Deux ans après avoir fait un « burn-out » de tous les diables (la première scène du film, efficace), François Cluzet est toujours au chômage et essaie tant bien que mal de relever la tête. Il a décroché de son addiction à l'alcool en devenant un pilier des alcooliques anonymes. Contacté par un homme d’affaires énigmatique, il se voit proposer un travail simple et bien rémunéré : retranscrire des écoutes téléphoniques sur machine à écrire. Ayant trop besoin de rebondir professionnellement, Cluzet accepte sans s’interroger sur la finalité de l’organisation qui l’emploie et en respectant ses règles si strictes de confidentialité. Choisi pour son sérieux et sa rigueur, il ignore qu'il devra outrepasser ses fonctions pour ne pas devenir malgré lui l'un des pions d'un complot politique d'importance, à quelques mois des élections présidentielles... 





La Mécanique de l'ombre est le premier long métrage de Thomas Kruithof. Il en a co-écrit le scénario en compagnie de Yann Gozlan, un type que l'on connaît bien par ici et dont on s'est longtemps méfié, puisqu'il est l'auteur de Captifs et d'Un Homme idéal, mais qui montre peut-être des signes de progrès encourageants (le plus sympatoche Burn Out en attendant de découvrir Boîte Noire, qui vient juste de sortir). Fruits de plusieurs cerveaux vraisemblablement désireux de torcher des thrillers à la française de bonne facture, La Mécanique de l'ombre s'avère être une petite réussite, modeste mais appréciable. Thomas Kruithof parvient à développer une ambiance un peu pesante, avec une belle économie de moyens et en s'appuyant surtout sur des acteurs qui prennent leurs rôles au sérieux. François Cluzet n'en fait pas des caisses, il est assez sobre, on est par exemple très loin de sa prestation en roues libres de Blanc comme neige, autre thriller franco-belge plus marrant qu'autre chose (notamment grâce aux coups de sang mémorables de l'acteur branché sur 10 000 volts). Denis Podalydès, qui incarne le mystérieux patron de Cluzet, est également très bon, sur la corde raide, avec sa voix blanche et son visage quasi inexpressif, mais ça fonctionne : le sociétaire de la Comédie Française y est pour beaucoup dans l'ambiance obscure et menaçante qui émane de son étrange organisation. Enfin, Sami Bouajila, traits tirés et visage impassible, campe un inspecteur crédible de la DGSE. 





La Mécanique de l'ombre a aussi la très chic idée de ne durer qu'1h30 et de ne pas se perdre dans une résolution et un final lourdingues. Ce thriller a ainsi le mérite d'être assez resserré, condensé, ce qui contribue à son efficacité et au petit plaisir simple qu'il transmet. On peut critiquer une intrigue finalement bien opaque, mais je préfère largement qu'on nous laisse ainsi plutôt que l'on nous abreuve d'explications absconses. Dommage toutefois que Thomas Kruithof semble se contenter de signer un petit film de genre, qu'il n'ait pas osé davantage, que sa mise en scène, bien que plutôt soignée, ne réserve aucune surprise et qu'il n'aille pas plus loin. Sans cela, son premier film reste une plutôt bonne surprise, 90 minutes pas désagréables, et nous espérons que le cinéaste persévérera dans le genre, avec plus de caractère, plus de panache, mais la même application. 


La Mécanique de l'ombre de Thomas Kruithof avec François Cluzet, Denis Podalydès, Sami Bouajila et Simon Abkarian (2017)

7 septembre 2021

T'as pécho ?

La grande révélation de ce film porte le nom chantonnant de Renély Alfred. Une bouille adorable, une énergie débordante, un pas chaloupé, une lumière dans le regard et surtout beaucoup de bonté, qui émane de chacun de ses regards, de ses gestes, de ses pores. On a flashé sur Renély Alfred, qui dans ce film incarne le meilleur ami du personnage principal, Arthur (Mia Kirshner), un jeune ado découvrant les premiers émois amoureux et décidé à pécho avant la fin de l'année, demandant son aide à la fille qu'il courtise (Ines D'Assomption) afin qu'elle donne des cours de séduction, à lui ainsi qu'à sa petite bande de losers. Petite comédie adolescente qui ne sort guère des sentiers battus mais fait preuve d'une vraie fraîcheur, dont les comédiens et leurs personnages sont tous agréables et qui ne manque pas de faire (sou)rire assez régulièrement, grâce à des dialogues et des situations qui nous tiennent gentiment jusqu'au bout. C'est le premier film d'Adeline Picault, qui a eu la joie de recevoir sur le bout de ses pompes toute une remorque de fumier de la part de la critique professionnelle et surtout amateur, la faute peut-être à des distributeurs qui ont engagé la moitié des internautes du globe pour donner 10/10 au film sur des sites de notation cinéphiles. Revers de la médaille : si le film a été au sommet du top 250 mondial 1895-2020 pendant trois minutes, devançant miraculeusement et à la stupeur des cinéphages en veille du monde entier Shoeshang Redemption et Le Parrain, il a été aussitôt englouti sous des tonnes et des tonnes de haine pure et revancharde voulant rétablir l'équilibre mais remettant en fait les compteurs à zéro. Funeste destin pour un petit premier film franchement sympathique qui ne méritait aucun de ces deux classements dans la fameuse liste des meilleurs et pires films de tous les temps.


T'as pécho ? d'Adeline Picault avec Paul Kircher, Inès D'Assomption, Renély Alfred, Ramzy Bedia et Vincent Macaigne (2020)

3 septembre 2021

Psycho Goreman

A moins que cela soit propre au bled paumé où j'ai grandi, authentique repaire à originaux, je crois que l'on a tous connu, en classe, un gamin un peu louche et rêveur, à l'abord difficile, qui restait dans son coin, ou plutôt dans son monde, et inondait les marges de ses cahiers de créatures et d'horreurs issues de sa propre imagination de déglingué. Un effrayant bestiaire qu'il griffonnait, avec un talent évident, au crayon, quand il ne débordait pas tout bonnement sur la table, attaquée à la pointe de son compas comme pour y laisser l'empreinte indélébile de son univers débridé. Steven Kostanski, le scénariste et réalisateur canadien de Psycho Goreman, devait être un gamin comme ça. Peut-être plus persévérant que la moyenne, il a réussi à faire de sa passion pour les monstres et les délires gores son métier, son gagne-pain. Car on ne doute pas une seconde, devant son sympathique Psycho Goreman, que le gars aux manettes, le cerveau leader de la troupe, est un véritable passionné qui a su emporter dans son sillage toute une équipe d'allumés.


 
 
 
Un soin maniaque, au service d'une imagination galopante, a été apporté aux maquillages, aux effets spéciaux, en bref, à la conception de toutes les créatures plus ou moins horribles, comiques et pathétiques, qui font tout l'intérêt de cette série B d'un autre âge. Il y en a vraiment pour tous les goûts. On imagine les longues heures passées à créer les costumes, à penser chaque détails, à fignoler le moindre petit effet. En tant qu'amateur de cinéma de genre, il y a quelque chose de très plaisant à la découverte de ce beau travail d'artisan, qui fait justement la part belle aux effets artisanaux, manuels, à l'ancienne. Il y a bien quelques passages où les images numériques viennent en renfort ou envahissent carrément l'écran, semblant assumer leur rendu assez cheap, très voyant, mais elles ont surtout l'air là pour valoriser le reste : les aliens, les bestioles, ces monstres qui, eux, sont vrais, en dur, palpables, comme au bon vieux temps. Ils existent bel et bien à l'image, de façon incomparable à ces ignominies en CGI, hideuses et sans âme, qui peuplent et hantent les superproductions aux budgets colossaux. Psycho Goreman (P.G., pour les intimes), le monstre éponyme, super-vilain réveillé par hasard par deux gosses qui en prennent le contrôle car ils détiennent aussi l'amulette au centre de toutes les convoitises, a plutôt fière allure mais il n'est même pas le plus réussi ni le plus original du lot, c'est dire...



 
 
Si on relève et apprécie forcément cette application de dingue apportée aux maquillages et aux effets spéciaux en général, on peut toutefois regretter que Steven Kostanski n'ait pas passé un peu plus de temps sur son scénar... Malgré une bande de personnages, humains ou non-humains, plutôt attachants et assez rigolos (l'autre grande attraction du film est une gamine survoltée, très prometteuse Nita-Josee Hanna, qui vole quasi la vedette aux monstres qu'elle mène à la baguette !), on peine, au bout d'un moment, à se passionner pour leurs mésaventures sans queue ni tête, où le sort de l'humanité, d'autres races inconnues et de toute la galaxie est en jeu. Cette sorte de mélange de Monster Squad, Power Rangers et Evil Dead manque cruellement de consistance pour emballer totalement. Dommage. Steven Kostanski avait plus d'inspiration pour les paroles de la chanson du générique final, bel hommage rappé à P.G., qui lui permet de nous quitter sur une dernière note positive et amusante. On préfèrera donc se rappeler de cela et, surtout, de cette si séduisante galerie d'extraterrestres aux allures et aux tronches impossibles qui font de Psycho Goreman une vraie curiosité, mais peut-être pas le film culte qu'il cherche tant à devenir d'emblée. 


Psycho Goreman avec Steven Kostanski et Nita-Josee Hanna et Owen Myre (2020)